C’est l’accusation classique brandie par le pouvoir turc pour discréditer ceux qu’il considère comme ses opposants ou simples critiques : « appartenance à un groupe terroriste », un délit puni par une peine minimale de cinq ans de prison. Arrêté par la police et détenu de manière arbitraire depuis le début du mois de juin, le travailleur social Bilal Yildiz, membre du bureau de représentation d’Istanbul de la Fondation des droits de l’Homme de Turquie (HRFT), est jugé depuis le 13 décembre 2022 et risque jusqu’à dix ans d’emprisonnement. La prochaine audience dans ce procès était prévue les 4 et 5 janvier 2023. « M. Yildiz a été détenu dans des cellules surpeuplées qui ne respectent pas les normes régionales et internationales relatives aux droits humains. Il a également été témoin d’actes de torture et de mauvais traitements infligés à d’autres personnes emprisonnées. Une lettre qu’il a envoyée à la HRFT demandant à l’organisation de prendre des mesures contre les actes de torture et de mauvais traitements commis contre lui et ses co-accusés, depuis leur arrestation arbitraire, a été saisie par les gardiens de prison au prétexte d’éviter de “provoquer la panique et le chaos entre les détenus”, comme le justifient les autorités pénitentiaires », dénonce la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), dans un communiqué publié le 6 décembre.
Les associations d’aide aux migrants ciblées par Ankara
Bilal Yildiz n’est pas le seul à comparaître devant la justice turque. L’Association de surveillance des migrations, qu’il a cofondée en 2016, a vu les bureaux et domiciles personnels de ses dirigeants perquisitionnés par la police. Au total, indique la HRFT, « 22 personnes affiliées à l’association, dont Bilal Yildiz, ont été arrêtées arbitrairement et privées de l’accès à leurs avocats pendant 24 heures. Elles ont toutes été interrogées à la fois sur leurs finances personnelles et sur les dossiers financiers de l’association, y compris sur des questions relatives à des paiements destinés aux formateurs et aux hôtels dans le cadre des activités de l’association. » Parmi ces personnes interpellées, six ont été libérées sous contrôle judiciaire, les 16 autres ayant été envoyées dans les prisons de Bakirköy et Marmara.
Le procès de Bilal Yildiz s’inscrit dans le cadre d’un raidissement du pouvoir turc vis-à-vis des associations venant en aide aux migrants, alors que le pays accueille près de 4 millions de réfugiés, la plupart ayant fui la guerre civile en Syrie. Le 17 août dernier, l’ONG Josoor, spécialisée dans l’aide aux migrants victimes de refoulements à la frontière entre la Grèce et la Turquie, avait annoncé sa dissolution pure et simple dans un communiqué publié sur son site Internet : « La décision de mettre fin à Josoor a été dictée par une série de facteurs qui ont mis notre équipe en danger croissant et ont finalement rendu notre travail presque impossible. Il s’agit notamment de la détérioration de la situation en Turquie, de l’érosion de l’Etat de droit en Europe et d’un manque constant de fonds pour soutenir adéquatement notre travail. »
L’association dénonçait notamment les « campagnes d’expulsion à grande échelle vers la Syrie, avec une répression simultanée contre la société civile soutenant les réfugiés et les personnes en déplacement à travers le pays ». Frappée par une inflation hors de contrôle et engluée dans une crise économique sans fin, la Turquie tente de se débarrasser de ses migrants indésirables en les refoulant de force vers les pays voisins. Et souhaite poursuivre sa basse besogne en se débarrassant des témoins gênants que sont les ONG et les travailleurs sociaux.