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Insertion et précarité alimentaire : un food truck pas comme les autres

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food truck Secours fraternel

Devant le food truck du Secours fraternel, Karibou Ali, chargée de mission, et Pierre Keita, éducateur

Crédit photo Marta NASCIMENTO
Né d’un partenariat entre l’association Le Secours fraternel et la protection judiciaire de la jeunesse, un food truck expérimental propose aux bénéficiaires d’un hôtel social de l’Essonne des plats sains et équilibrés. En cuisine : des jeunes en rupture, pour qui cette initiative représente une voie d’insertion. Encore à ses débuts, le dispositif devrait prendre de l’envergure dans les mois à venir.

Aux abords d’une départementale, coincé entre un Buffalo Grill et une station-service, l’hôtel social F1 de Savigny-sur-Orge (Essonne) accueille tous les jeudis sur son parking le food truck du Secours fraternel et de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Passé midi, en cette fin octobre, Pierre Keita, éducateur, et les jeunes Salim(1) et Kebba s’affairent dans l’habitacle. Après avoir passé un coup de serpillière, changé une bouteille de gaz et réchauffé les plats, ils entament de concert la confection des barquettes repas. Au menu, aujourd’hui : salade, dos de lieu noir, purée de pommes de terre, petits pois et sauce à l’aneth. Les dizaines de box en carton recouvertes de papier aluminium n’attendent plus que les familles hébergées à l’hôtel.

Issu d’un partenariat entre la PJJ et l’association Le Secours fraternel, ce projet de food truck lancé en avril dernier se fonde sur deux objectifs. Le premier est d’apporter une nourriture équilibrée aux personnes habitant en hôtel social, qui, très souvent, ne disposent pas de cuisine pour se préparer à manger. Le second : permettre à des mineurs sous main de justice suivis par la PJJ ou à des jeunes accompagnés par d’autres associations du territoire de se réinsérer via un projet pédagogique.

« Ce dispositif est proposé à nos jeunes les plus en rupture, dans le cadre légal d’un stage avec Le Secours fraternel. L’idée est de leur redonner envie, confiance en eux, et qu’ils basculent sur des rythmes quotidiens, explique Emilie Mankassa, responsable de l’unité éducative d’hébergement collectif (UEHC) d’Epinay-sur-Orge, l’une des deux unités constituant l’établissement de placement éducatif (EPE) de l’Essonne. Cela les aide à retourner sur une voie d’insertion, grâce à une action sociale valorisante. Beaucoup d’entre eux ont connu les hôtels sociaux avec leurs parents. Ils sont sensibilisés à ces situations-là. » Présent pour la quatrième fois, Salim confirme : « Cela fait plaisir d’aider les gens. Donner ces repas aux bénéficiaires de l’hôtel a du sens. Ce sont de bons moments pour moi. » Si ce mineur non accompagné compte reprendre une formation dans un domaine totalement différent, ce n’est pas le cas de Kebba qui, pour sa part, a rejoint le projet par le biais du Secours fraternel. « J’avais déjà de l’expérience dans des restaurants avant de venir ici. J’aimerais, après mon stage, continuer avec un contrat d’apprentissage en hôtellerie-restauration avec l’association. » Parfois, le food truck est même à l’origine de vocations. « Certains jeunes qui ne sont pas tentés au départ par ce secteur d’activité y prennent goût au fur et à mesure de leur expérience, témoigne Pierre Keita, éducateur à l’UEHC d’Epinay-sur-Orge, qui a démarré à la PJJ en tant que cuisinier. Nous cherchons alors à les inscrire en centre de formation d’apprentis. »

Préparation en amont

Dès midi et demi, les bénéficiaires du 115 hébergées à l’hôtel social – des femmes pour la totalité – commencent à arriver. Elles rejoignent le camion par petits groupes, munies d’un sac en plastique. « J’ai pris à manger pour mes trois enfants et moi. Je viens ici régulièrement », rapporte Fofana. « Cela fait trois mois que je prends des repas au food truck. Tout le monde est très gentil ici », sourit de son côté Rosanna, un plateau chargé de barquettes dans les bras. En plus des repas, Le Secours fraternel entend apporter une forme de soutien administratif et social à ces familles. « Il s’agit de conversations informelles, décrit Karibou Ali, chargée de mission au sein de l’association. Nous ne sommes pas derrière un poste d’ordinateur pour entamer des démarches, mais nous discutons avec les bénéficiaires. Nous essayons de comprendre ce qui ne va pas et d’apporter une réponse adaptée. Certaines, par exemple, ne savent pas lire, alors nous les aidons avec leur courrier, leurs documents administratifs », poursuit-elle. « Au départ, elles ne parlaient pas beaucoup. Nous sommes parvenus à briser la glace au fil des semaines », souligne Philippe Naszalyi, trésorier du Secours fraternel.

Le food truck fait partie intégrante de l’espace de vie sociale (EVS) du Secours fraternel, dont le « pilier fondateur » est une épicerie solidaire. Situé à Ris-Orangis, ce commerce fonctionne selon un mode d’approvisionnement des produits en circuits courts et propose des tarifs entre 10 % et 30 % de la valeur marchande. « Nous accueillons des personnes qui nous sont adressées par les travailleurs sociaux des associations partenaires et par tout autre professionnel œuvrant pour des personnes domiciliées en Essonne », détaille Philippe Naszalyi, également directeur du lieu. Chaque semaine, la conception des repas distribués sur le parking de l’hôtel de Savigny-sur-Orge prend forme dans cette épicerie. Pierre Keita y emmène les jeunes la veille de la distribution pour se fournir en denrées. En fonction du stock, un menu est élaboré. « Parfois, nous complétons par des achats s’il nous manque des ingrédients, pointe Karibou Ali. Nous essayons d’intégrer beaucoup de légumes et de fruits, et également de permettre la découverte de nouveaux produits. Nous recevons par exemple des denrées exotiques que nous essayons d’inclure aux repas. Nous pensons aussi à ajouter des douceurs pour les enfants. » Une fois les ingrédients choisis, direction la cuisine de l’UEHC d’Epinay-sur-Orge. « Nous y réalisons la plupart des préparations chaudes. La purée, le poisson et la sauce à l’aneth ont été cuisinés hier », explique Pierre Keita. Les plats sont ensuite mis en cellule de refroidissement, moment à partir duquel la chaîne du froid est enclenchée. « Nous redémarrons la cuisson le lendemain dans le camion pour qu’ils soient servis à température », note le professionnel. Les repas qui n’ont pas trouvé preneur le jeudi midi sont distribués le jour même par des associations partenaires du Secours fraternel ou retournent à l’épicerie solidaire, où ils sont vendus à des prix très bas.

Bientôt, une cuisine pédagogique

Régulièrement, des ateliers cuisine sont organisés par l’éducateur. L’occasion de transmettre des compétences techniques ou de sensibiliser sur les questions d’hygiène. A terme, une cuisine pédagogique et une salle de restauration devraient voir le jour au sein de l’EVS. « Notre objectif est de pouvoir former les enfants et qu’ils puissent effectuer un tour d’horizon des différents types de services possibles. Une cuisine classique est différente d’une cuisine en food truck. Le service du petit déjeuner ne représente pas la même chose que celui du midi », énumère Philippe Naszalyi. Si la caisse d’allocations familiales doit apporter 250 000 € et la région 150 000 € pour développer ce projet, l’association est pour le moment toujours en recherche d’un local adapté. Parallèlement, un partenariat avec l’organisme de formation Cuisine mode d’emploi(s) devrait se nouer. « Ils proposent un certificat d’apprentissage commis de cuisine, souligne Emilie Mankassa. Les enfants qui accrocheront le plus sur le projet pourront être orientés vers ce procédé d’insertion. Après plusieurs mois, nous voulons permettre des retours sur les dispositifs de droit commun. »

En plus des repas distribués aux publics précaires, le food truck et ses cuisiniers en herbe participent fréquemment à des manifestations en tout genre. Séminaires, cocktails, inaugurations ou fêtes locales, ces événements facturés par l’association revêtent une autre dimension pour les jeunes. « En juin, nous sommes allés à la mairie d’Epinay pour la grande fête foraine des Brandous,. Plus récemment, nous étions aux “Parcours du goût” organisés par la PJJ et à l’inauguration des locaux de la pénitentiaire à Versailles, illustre Pierre Keita. Il y avait une centaine de personnes au total. Les jeunes peuvent ainsi découvrir un contexte plus commercial car, lors de ces événements, nous jouons le rôle de traiteur. Ils doivent gérer la caisse, prendre les commandes. Ils apprécient ces côtés-là. »

Les premières évaluations du projet montrent des difficultés à travailler avec les mêmes jeunes sur la durée. « Nous n’avons aucun mal à les motiver. C’est davantage lié aux échéances judiciaires, éclaire Emilie Mankassa. Avec le CJPM [code de la justice pénale des mineurs, entré en vigueur en septembre 2021, ndlr], les placements des jeunes sont de plus en plus courts. Auparavant, dans le cadre de l’ordonnance de 1945, ils étaient de six mois. Aujourd’hui, les délais sont raccourcis et nous n’avons jamais de certitude, ni de latitude, sur la durée du placement. Les mineurs sont placés jusqu’à audience de culpabilité. Ensuite, nous ne savons pas si cela sera prolongé ou non. »

Une autre difficulté consiste à maintenir une activité tout au long de la semaine. Même si les repas sont préparés la veille, un seul rendez-vous hebdomadaire n’est pas suffisant pour mobiliser les jeunes pleinement, confie Philippe Naszalyi. « Nous devons prochainement nous entretenir avec le 115 afin qu’ils nous attribuent d’autres hôtels sociaux. Nous restons un peu tributaires, car ce sont eux qui connaissent les besoins. » Des discussions ont toutefois été entamées avec le département pour proposer des repas dans un hôtel social hébergeant des femmes victimes de violences conjugales.

Chiffres clés de la PJJ dans l’Essonne

Près de 2 850 jeunes sont suivis par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) en Essonne, pour plus de 4 150 mesures, selon les chiffres 2021-2022 de la direction du ministère de la Justice. Parmi ces mesures pénales et civiles, plus de la moitié (50,5 %) sont des mesures de milieu ouvert, environ 42 % des mesures d’investigation et près de 7 % des mesures de placement (foyers, centres éducatifs fermés, foyers pour jeunes travailleurs, familles d’accueil…).

Notes

(1) Le prénom a été modifié.

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