Dans quel contexte ce nouveau statut de co-formateur délivré à des personnes en situation de handicap intellectuel s’inscrit-il ?
Alexandra Caspar : Au centre de formation Etapes, nous nous intéressons depuis longtemps à la question de la pair-aidance. Et en tant que membre du Collectif des organismes de formation experts en pédagogie spécialisée (Cofeps), nous réfléchissons également aux problématiques en lien avec l’inclusion. Cette co-formation de personnes en situation de handicap s’inscrit dans un mouvement où ces dernières sont autoreprésentantes de leur situation. Devenir formateur, en binôme avec un formateur professionnel, est l’une des casquettes de l’autoreprésentation, mais est aussi incluse la participation à des réunions, à des groupes de travail ou à des groupes de pilotage de projets. Cette philosophie peut se résumer par le slogan de l’association Nous Aussi, issue de l’Unapei : « Rien pour nous sans nous ! ».
Comment avez-vous choisi ceux qui allaient devenir co-formateurs et pour quels types de formation ?
A. C. : Nous nous adressons à trois types de publics. Le premier regroupe des demandeurs d’emploi, des salariés et des apprentis ayant une reconnaissance en tant que travailleurs handicapés. Nous les accompagnons pour qu’ils puissent construire un projet professionnel en adéquation avec leur problématique de handicap. Nous travaillons également avec des professionnels – travailleurs sociaux, aides à domicile, professionnels de santé ou de la petite enfance – afin de les aider à mieux accompagner les personnes en situation de handicap. Le troisième public auquel s’adresse Etapes, ce sont les travailleurs en établissements ou services d’aide par le travail (Esat). Une équipe de formateurs se rend régulièrement dans les Esat, pour permettre aux travailleurs de monter en compétences sur des axes très professionnels – apprendre à utiliser une balance compteuse, un tire-palettes – ou sur des axes plus sociaux comme la citoyenneté, la vie affective, relationnelle et sexuelle… Parmi ces travailleurs d’Esat, nous en avons repéré qui avaient un potentiel, des compétences en termes de compréhension et de transmission plus importantes que d’autres. C’est grâce à ces rencontres que nous avons pensé à ce projet innovant de la co-formation.
En quoi diffère-t-elle de la pair-aidance ?
A. C. : Les personnes que nous accompagnons ont des savoirs expérientiels. Nous reconnaissons qu’elles sont expertes de leur situation. La pair-aidance permet de conseiller un collègue ou quelqu’un à qui l’on ressemble dans une situation que l’on a déjà vécue, afin de le guider et de lui éviter des écueils. Il s’agit par exemple d’aider quelqu’un à prendre le bus, de manière très opérationnelle. La co-formation monte encore d’un cran, grâce à la valorisation de leurs connaissances, à chaque fois en lien avec le sujet de la formation, ainsi qu’à leur capacité à échanger à propos de leur handicap et des difficultés qu’elles ont pu traverser. Ces personnes partagent aussi bien leur vécu que leur savoir. Elles sont réellement actrices des formations qu’elles coaniment.
Comment ces formations se sont-elles déroulées ?
Maëva Gross : Ma formation s’est déroulée sur cinq journées de six heures. Chacune était consacrée à une thématique bien précise : comprendre le rôle et les missions du co-formateur, identifier les expériences utiles à la formation, prendre du recul sur la question sociale du handicap, savoir préparer une formation et connaître les techniques d’animation. Je me suis spécifiquement formée pour être co-formatrice en méthode Falc. J’ai moi-même pu former des professionnels et des personnes accompagnées à la traduction de textes, parce que j’ai appris les 53 règles qui permettent de simplifier les mots et les idées. Comme nous nous répartissons bien les rôles avec mon co-formateur, je sais comment et quand intervenir. Je ne stresse pas trop, parce que le travail est bien préparé en amont.
A. C. : Chacun des quatre co-formateurs intervient sur un ou plusieurs thèmes prédéfinis qu’ils ont eux-mêmes choisis. Maëva, par exemple, est sollicitée pour tout ce qui touche à la sensibilisation au handicap dans les entreprises, mais aussi sur la formation Falc, ainsi que sur les formations en conseil de la vie sociale. Un autre co-formateur n’intervient que sur la méthode Falc et deux autres se sont spécialisés sur la formation à l’autodétermination. La formation de base des co-formateurs est tout simplement une formation de formateur, mais avec un contenu adapté aux personnes en situation de handicap. Le premier module, « J’apprends à me connaître, je reconnais ma valeur », utilise un panel classique d’outils pédagogiques tels que « l’animation brise-glace » où les quatre futurs coanimateurs doivent partager leurs parcours de vie, identifier leurs qualités et leurs motivations, brosser leur portrait. Il est important de se connaître, surtout lorsque l’on parle de son handicap. D’autres modules permettent d’apprendre à partager son expérience, à communiquer, à s’adapter à son auditoire ou encore à poser sa voix.
Que vous a apporté cette formation ?
M. G. : Depuis que je me suis lancée, en mars 2022, j’ai vraiment l’impression d’avoir davantage confiance en moi. J’ai aussi appris à parler en public. Le fait que je sois moi-même en situation de handicap rassure mon auditoire. Ce duo formateur-co-formateur plaît à tous les publics. Les uns comprennent mieux ce qu’est le handicap et les autres se sentent pris en compte.
A. C. : Cette formation favorise la montée en compétences des co-formateurs, car ils sont valorisés. Au fil du temps, formation après formation, les co-formateurs parviennent de mieux en mieux à relativiser leur parcours de vie et de handicap et à prendre du recul sur leur propre vie. Le choix de la co-formation représente aussi une nette plus-value auprès du public auquel nous nous adressons : bien souvent, lorsqu’on est un professionnel – formateur ou professionnel de terrain –, on ne se trouve pas en situation de handicap. Lorsqu’ils écoutent Maëva, dans le cadre d’une sensibilisation au handicap, ils bénéficient d’éléments hyper-concrets, très parlants, très vivants pour appréhender un monde qu’ils ignorent.
Quel est l’impact de ces binômes sur la pratique des formateurs classiques ?
A. C. : La démarche est très intéressante, car les formateurs sont obligés de modifier leurs pratiques et de se décaler par rapport à leur posture initiale. Ils précisent néanmoins que ce travail à deux est fatigant, parce qu’ils ne peuvent pas simplement dérouler leur support avec leur expérience et leur expertise. Ils doivent à la fois prendre en compte les stagiaires et leur binôme. Mais ils sont vraiment contents de le faire, parce que c’est très enrichissant. Un ajustement se fait au fil des formations. Il faut que chacun s’adapte à l’autre. Nous consacrons beaucoup de temps à la préparation, au face-à-face pédagogique et à l’ingénierie. Sans oublier la phase de bilan, où l’on réfléchit aux améliorations potentielles. Maëva, par exemple, a tendance à parler très vite en public, on travaille alors sur ce point pour qu’elle ralentisse son tempo.
Pensez-vous former bientôt de nouvelles recrues ?
A. C. : Oui, nous allons rechercher de nouveaux co-formateurs, les quatre déjà en place sont très sollicités. Leurs agendas sont pleins ! Maëva travaillant au centre de formation en tant qu’agent d’accueil, nous la détachons facilement. On module son emploi du temps pour qu’elle puisse intervenir aisément. Mais pour les autres qui travaillent en Esat, qui sont rémunérés pour la mise à disposition de leurs employés, ce n’est pas toujours simple. D’autant que la formation ne se limite pas au temps de face-à-face. L’idée est donc de repérer de nouvelles personnes, afin que nous soyons plus réactifs.