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Le poids des mots dans la relation éducative

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Crédit photo Frédéric Cirou / AltoPress / PhotoAlto via AFP
Recueillir les mots des personnes accompagnées revêt une importance considérable dans la relation éducative. Pour en saisir toutes les nuances, deux psychologues ont mené des entretiens auprès de professionnels du champ de la protection de l’enfance.

« “Je suis ce que je dis que je suis, tu es ce que je dis que tu es.” L’heure est à l’auto et à l’hétéro-nomination dans une collusion du dire et de l’être. Le discours contemporain promeut l’identité univoque au détriment des identifications diverses et variables. Les diagnostics, assignés par l’individu lui-même ou par un praticien – tels les “Je suis hypersensible ; tu es HPI ; je suis bipolaire ; tu as une dysphorie de genre, Je suis entendeur de voix” –, prennent valeur de vérité indiscutable et éteignent toute possibilité de parole.

“Je dis ce que je fais, je fais ce que je dis.” Les protocoles et procédures standardisés, prévus pour tous, envahissent les institutions et les soumettent à un supposé idéal de transparence. Les professionnels y sont contraints par des dispositifs administratifs et comptables qui prennent le pas sur la rencontre avec celui qui souffre. Ils sont considérés comme de simples techniciens, des opérateurs de méthodes rééducatives, ce qui éteint le désir et empêche de parier sur les effets de la parole.

Le discours analytique, lui, démontre que le sujet n’est pas maître en sa demeure ; il donne toute sa valeur au symptôme qui est la trouvaille de chaque sujet pour se tenir de façon singulière dans le monde. Le sujet n’est pas d’une pièce, il ne se définit pas d’un mot, il est une énigme à lui-même, énigme qui indique l’écart irréductible entre le corps et le langage. D’être parlant, le sujet ne peut plus être identique à lui-même, il est divisé. ça pense à l’intérieur de lui et au-delà de lui, ça produit des symptômes, des rêves, des lapsus, des phénomènes de corps, ça parle sur lui. Et quand il parle, le sujet de l’inconscient ne sait pas ce qu’il dit.

Des éducateurs font cette expérience quotidiennement. La parole est leur outil principal pour accueillir la souffrance. Ils écoutent, mais pas seulement. Ils soutiennent le questionnement du sujet sur lui-même et, dans le lien de transfert, s’emploient à ne pas suturer la division avec du sens et de la certitude, avec des diagnostics définitifs qui épinglent et figent le sujet. Ces professionnels témoignent de ce que la part de désir vivant, en eux, peut produire de vivant chez les sujets qu’ils accompagnent. Leur souci vise à faire résonner ce qu’il y a de plus singulier chez chacun. Nous avons interviewé plusieurs éducateurs.

Ecoutons-les.

Ophélie et Gaël, éducateurs en internat médico-social

“L’institution est une toile de fond dans laquelle se rejouent des scènes pour le sujet, du quotidien, de la famille. Nous ne pouvons pas être extérieurs à cette scène, cela nécessite de l’engagement pour y introduire du nouveau. Tel enfant dit : ’On dirait que je suis policier et toi tu es le voleur.’ Si nous n’entrons pas dans cette scène, il ne peut traiter sa question. Il faut se laisser diriger, de façon avertie, pour savoir ce qui s’y joue.”

“La parole est notre outil de travail, elle humanise les pulsions, permet de séparer quelque chose dans la relation à l’autre. Faire des demandes, c’est être dans la relation à l’autre, là où parfois certains ont l’air débranchés de cet autre. On essaie d’accueillir la parole comme elle se présente, de ne pas en avoir peur. On cherche ce qu’elle veut dire. Parfois on essaie de la voiler, de la couper, de la ponctuer, de la border.”

“Cet enfant, présenté par les parents comme “celui qui parle trop”, a repris cette assignation comme ’celui qui doit fermer sa gueule’. Mais dès le début de nos rencontres, il a aussi pu dire : ’Je suis inventeur d’inventions.’ La construction d’objets est venue border cette parole incessante afin qu’il puisse dire.”

“Le symptôme est l’expression d’une souffrance. Nous ne comprenons pas tout ce qui se passe, mais si nous refusons de l’accueillir, nous courons le risque de l’empêcher de s’exprimer. Le but n’est pas de le faire taire mais que l’enfant trouve sa solution pour qu’il soit plus acceptable socialement. Nous ne rééduquons pas les enfants.”

Yolaine, éducatrice en AEMO judiciaire

“On affirme parfois des choses sur soi sans en être certain pour essayer de s’en convaincre ou essayer de convaincre l’autre. Mais quand on affirme quelque chose de cette façon, c’est enfermant. Pendant ma formation d’éducatrice spécialisée, on nous disait qu’il fallait aller en entretien avec une idée de ce que l’on allait dire, avec un objectif précis. Je me suis rendu compte en exerçant que, justement, je me rendais à beaucoup d’entretiens sans objectif. Quand on a un objectif, particulièrement dans le cadre judiciaire, on n’entend pas ce que l’autre veut dire car cela ne correspond pas à notre attente. Par exemple, dans le cadre judiciaire, il est indispensable de se décaler de la parole du juge, de lui rendre sa valeur d’équivoque. On ne pourrait pas travailler si on réduisait les personnes à ce qui est écrit dans un jugement, à ce qui est dit d’eux !”

“Dans l’institution où je travaille, la parole est centrale. Il y a toujours un questionnement sur ce qu’on fait de la parole des personnes que l’on rencontre. Parfois, les professionnels ont des réactions un peu immédiates, ils auraient tendance à utiliser cette parole-là. Prendre une parole au pied de la lettre nourrit l’angoisse du professionnel et génère des passages à l’acte. D’où la nécessité de parler avec l’équipe afin de maintenir un écart entre ce que dit une personne et son ’être’.”

“C’est dans la surprise que l’on rencontre l’autre, quand on a accepté d’entendre autre chose et de ne pas s’arrêter à un premier jugement sur lui. Savoir repérer dans le discours de l’autre ce qui se dit derrière ce qui s’entend est essentiel. Ne pas en rester à ce qui est énoncé en première ligne, mais entendre la petite phrase qui a été dite à côté et qui a fait surprise, bref, discerner dans la parole les dits importants. Cet usage de la parole permet de nuancer les cases dans lesquelles on serait tenté de mettre les personnes et permet d’ouvrir vers un ’vous n’êtes pas que cela, vous ne vous réduisez pas à cela, autre chose est possible’.”

L’Ecole de la cause freudienne organise ses 52es journées d’étude les 19 et 20 novembre 2022, sous le titre “Je suis ce que je dis – Dénis contemporains de l’inconscient”. Elles se tiendront en visioconférence. Ces journées mettront en avant les questions que chaque professionnel rencontre dans sa pratique. »

Pour aller plus loin : debat.ash@info6tm.com

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