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Violences sexuelles : prendre en charge les auteurs déficients intellectuels

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Crédit photo asiandelight - stock.adobe.com
Comment traiter les agresseurs sexuels présentant un handicap intellectuel ? Alors que la loi du 17 juin 1998 a institué l’injonction de soins, le sujet s’est imposé au sein de l’unité régionale de soins aux auteurs de violences sexuelles (Ursavs). Adossée au centre hospitalier universitaire de Lille, cette structure a développé une formation spécifique, centrée sur les liens entre déficiences intellectuelles et abus sexuels. Formatrices, l’infirmière psychiatrique Christelle Pot et la psychologue clinicienne Delphine Dieulle insistent sur la nécessité, pour prévenir de tels actes, de mieux en comprendre les causes.

Actualités sociales hebdomadaires - Pourquoi avoir créé une formation sur les auteurs de violences sexuelles déficients mentaux ?

Christelle Pot : Une part des personnes sortant de prison pour des crimes ou délits d’ordre sexuel, accompagnées par l’Ursavs, souffre de déficiences intellectuelles. Et depuis plusieurs années, nous recevons de la part d’établissements ou services spécialisés des demandes de soins à destination de personnes en situation de handicap ayant eu des comportements problématiques. Il était donc important d’ouvrir cette formation aux structures sociales et médico-sociales qui sont en contact quotidien avec ces personnes. Leurs personnels peuvent être confrontés à des pratiques s’apparentant à de l’exhibitionnisme, surprendre des rapports relevant potentiellement d’agressions sexuelles, voire de viols, qui peuvent être traumatisants pour les victimes comme pour les équipes. Même s’il revient à la justice de juger de tels actes, les structures médico-sociales doivent savoir analyser ce genre d’événements pour mieux mettre en place des actions de prévention.

À qui s’adresse en priorité cette sensibilisation ?

Delphine Dieulle : Nous recevons de nombreux professionnels issus des établissements sociaux et médico-sociaux : éducateurs spécialisés, aides médico-psychologiques, psychologues, assistantes sociales… On peut aussi avoir des établissements de soins, des professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse, des tuteurs et curateurs. Cette diversité de métiers est importante pour agir ensemble sur ces comportements. Mais aussi pour prendre du recul sur des événements dont ils ont pu être témoins, et sortir de la représentation classique de l’agresseur.

Vous soulignez la persistance de représentations erronées autour de la sexualité de ces personnes…

D. D. : La sexualité des personnes présentant des déficiences intellectuelles peut être vue comme complètement pulsionnelle et donc difficile à contrôler. Ou, à l’inverse, être totalement niée, comme si elles étaient d’éternels enfants n’ayant pas besoin de connaître une certaine forme d’affectivité ou de sexualité. Loin de ces représentations en noir et blanc, leurs rapports à la sexualité sont multiples : certains la vivent seuls tandis que d’autres vont avoir une vie de couple classique.

C. P. : Le tabou autour de ce sujet est patent, tant parmi les soignants que dans les familles, qui conduit parfois à ne pas considérer le droit à la sexualité de ces personnes déficientes intellectuelles. Cette vision de « l’ange et la bête » empêche l’éducation. Quand elles arrivent en foyer médicalisé, par exemple, elles peuvent se livrer à des pratiques d’exhibitionnisme qu’il convient de recontextualiser. Il faut alors leur apprendre ce qu’est l’intimité.

Comment les établissements gèrent-ils ces cas de violences sexuelles ?

C. P. : Les institutions se montrent souvent mal à l’aise face à de tels événements. Les professionnels du secteur médico-social ne sont pas toujours formés pour analyser ce qui s’est passé, recueillir la parole de la victime, se retrouver face à la police… Certaines structures mettent le sujet sous le tapis, sans dénoncer les faits. A l’inverse, celles qui judiciarisent ce type d’affaires excluent de leurs établissements les auteurs des faits. Ils se retrouvent éjectés vers d’autres structures, sans que celles-ci, d’ailleurs, soient toujours prévenues. Le risque est alors que ces auteurs de violences, qui bénéficient de non-lieux en raison de l’absence d’intentionnalité, ne reçoivent pas d’accompagnement approprié.

Que peut-on expliquer des violences sexuelles commises par des déficients intellectuels ?

D. D. : Ce qu’on veut souligner dans cette formation, c’est l’importance et la nécessité d’évaluer, afin de donner du sens aux violences observées. On trouve trois pistes d’explication. Certains auteurs ont eux-mêmes été victimes de violences sexuelles. Le psychotraumatisme subi peut alors éclairer leur conduite et ce type d’actes. Une autre partie des faits est liée à une méconnaissance, à un manque d’informations sur la sexualité. Le fait d’être aidé dans sa toilette, dans l’habillage, induit dans ce cas un rapport à la pudeur et à l’intimité qui n’a pas pu se construire complètement. Une troisième explication tient aux conséquences mêmes des déficiences intellectuelles, qui empêchent de bien comprendre les émotions de l’autre, de se mettre à sa place. On retrouve ces particularités, entre autres, chez les personnes avec des troubles du spectre autistique. Parfois, ces trois types d’explication se combinent. L’origine du handicap intellectuel, qu’il soit de naissance ou la conséquence d’une absence de soins ou de maltraitances, est également à prendre en compte.

Comment se structure votre formation ?

C. P. : Avant la formation, je passe une demi-journée avec les participants pour identifier leurs questions, problématiques et besoins spécifiques, liés par exemple au secret médical ou à la confidentialité des procédures judiciaires. La formation dure ensuite jusqu’à quatre jours. Elle peut réunir les salariés de différentes structures ou s’organiser au sein d’un établissement. Elle se décline aussi selon le public concerné : mineur ou majeur. On aborde, d’une part, les représentations de la sexualité chez les personnes déficientes intellectuelles auteures de violences et, d’autre part, la dimension partenariale qu’exige la prise en charge globale des violences sexuelles. Une autre partie de la formation est consacrée aux mécanismes de passage à l’acte susceptibles d’expliquer les violences sexuelles commises par des personnes ayant ce profil. Le travail sur les émotions et l’empathie constitue un autre pan important. Enfin, nous nous intéressons aux outils d’éducation, d’évaluation et de soins.

D. D. : Nous consacrons également du temps aux psychotraumatismes qui peuvent induire des comportements sexuels problématiques, qu’il s’agisse de mise en danger de soi ou d’agression d’autrui. Ce sujet, sur lequel les recherches scientifiques ont avancé ces dernières années, demeure méconnu d’une grande partie des professionnels. Des auteurs de violences sexuelles ayant une déficience intellectuelle peuvent avoir été eux-mêmes victimes. Les états de stress post-traumatique peuvent engendrer des reviviscences, des cauchemars. En agressant à leur tour, ils recherchent une « déconnexion » liée à leur propre traumatisme.

Quels soins apporter aux auteurs de violences sexuelles ?

D. D. : Pour les auteurs victimes d’agressions, il convient de traiter l’état de stress post-traumatique et d’accompagner la reconnaissance du statut de victime. Ce travail peut être long en cas d’amnésie liée à de tels événements. Si l’acte s’explique par des limites intellectuelles, il s’agira de travailler sur les émotions, l’empathie, les habiletés sociales, l’éducation à la sexualité, le consentement… En fonction du degré de déficience intellectuelle, il faudra adapter l’accompagnement. Un entretien classique expliquant le consentement est insuffisant : il faut proposer des outils visuels, des vidéos, et aller jusqu’à l’usage de pictogrammes, autant que nécessaire, en cas de déficiences sévères. Il existe plein d’outils et notre formation permet de passer en revue tous les supports disponibles.

Comment mettre à profit votre formation sur la durée ?

D. D. : Il faut parler d’éducation sexuelle et affective aux personnes en situation de handicap. Ce n’est pas « leur mettre des idées dans la tête ». Ils ont un corps comme tout le monde et le droit à une vie sexuelle épanouie. Il faut qu’ils aient la possibilité de poser leurs questions. Malheureusement, le droit commun ne sera pas toujours suffisant et adapté à leur niveau de la déficience. En cas de comportement problématique, il est extrêmement important de proposer un accompagnement à la personne, au-delà de l’aspect purement légal.

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