Depuis près de dix ans, 2,4 millions d’euros ont été collectés par le fonds de dotation de La Sauvegarde du Nord auprès de donateurs privés. Une bouffée d’oxygène pour la structure multi-activités aux 1 500 salariés, intervenant dans de nombreux champs du social et du médico-social. « Je veille à ce que le fonds abrite des projets d’envergure, mais aussi des petits projets qui font le quotidien des éducateurs », explique Frédéric Rouvière, directeur général de l’association. Le fonds de dotation de la structure, présidé par l’ex-haut fonctionnaire et dirigeant d’entreprise Louis Gallois (qui fut aussi président de la Fédération des acteurs de la solidarité), a ainsi eu différents usages : aménagement d’un terrain multisports pour un institut thérapeutique, éducatif et pédagogique, bourse pour aider les jeunes sortant de l’aide sociale à l’enfance à réaliser un projet d’avenir, financement de permis de conduire, organisation du projet musical « Opéra-Bus », achat de matériels, voire création ou réhabilitation de structures d’insertion par l’activité économique…
La création de fonds de dotation est devenue courante dans le secteur social et médico-social afin de remédier à la contraction des fonds publics. Qu’il s’agisse de la crise de 2008-2009 ou de l’évolution des modes de financement des tutelles, les motifs pour y recourir sont économiques. « Il nous fallait imaginer des modalités de financement différentes, si on voulait encore être dans l’innovation », explique Frédéric Rouvière. Créé par la loi de 2008 de modernisation de l’économie, le fonds de dotation constitue une formule moins contraignante que, par exemple, la création d’une fondation reconnue d’utilité publique, qui exige des statuts particuliers bouleversant la gouvernance associative(1). Cet outil de mécénat offre la capacité à recevoir dons et legs, une plus grande « flexibilité et autonomie dans la gestion des ressources propres », ou encore la « possibilité d’acquérir des immeubles de rapport », selon la Cnape (Convention nationale des associations de protection de l’enfant), qui consacrait un guide à ce sujet en 2020. Impossible, en revanche, de percevoir par ce biais des subventions publiques.
Ce recours représente un vrai changement de culture pour le secteur. « Quand vous êtes une organisation du secteur médico-social, vous n’allez pas spontanément nouer une relation avec le tissu économique local. C’est très dissonant avec nos valeurs », reconnaît Christophe Llorca, chargé de la communication pour l’association Adages, qui a créé son fonds de dotation en 2009. La démarche représente souvent un risque pour les associations. « Il faut être certain d’avoir un retour sur investissement. Dans le secteur commercial, il est coûteux d’aller chercher un client. L’enjeu est là », explique-t-il. Dans les premières années, Adages y est allée à petits pas, rétive à des investissements en communication pour faire connaître son fonds de dotation. « On a procédé par cercles concentriques, en diffusant l’information auprès des proches des personnes en établissement. Mais les résultats ont été assez décevants. Les années passant, le fait de les solliciter ressemblait à une double peine, et on ne savait pas comment élargir notre audience », reconnaît Jean Ourliac, le président du fonds de dotation de l’association. Depuis sa création, le fonds a permis de collecter 135 000 €. De quoi financer des petits projets d’établissements, comme la fourniture de jouets pour des espaces famille ou des casques de réalité virtuelle.
Aller chercher les entreprises
Les dons des entreprises sont largement supérieurs en valeur à ceux des particuliers. Ils représentent une source de financement majeure des fonds de dotation, lesquels ont la possibilité, de par leur statut, de délivrer une attestation en vue d’une défiscalisation de leurs dons, qu’ils soient monétaires ou sous la forme du mécénat de compétences. Le contexte est d’autant plus propice que les entreprises développent, depuis plusieurs années, des politiques de responsabilité sociale et environnementale.
Certaines associations recrutent ainsi des professionnels connaissant bien le monde de l’entreprise. C’est le cas de l’Adapei (l’Association départementale de parents et d’amis des personnes handicapées mentales) de Loire-Atlantique, qui a embauché une ancienne cadre commerciale de la logistique, Sabrina Warnery. « Il faut savoir parler le langage des entreprises, savoir aller les chercher mais aussi les fidéliser, leur expliquer à quoi a servi leur don », explique la directrice du fonds de dotation « Handicap Agir Ensemble », qui a pu récolter jusqu’à 400 000 € par an, avant l’arrivée de la pandémie. Recrutée sur les fonds de l’Adapei, Sabrina Warnery identifie les donateurs potentiels, en mobilisant aussi les salariés comme les parents, appelés à jouer un rôle d’ambassadeurs. « J’ai mis en place des moyens pour que chacun puisse parler de mécénat, en livrant des exemples de dossiers, de fiches projets, ou en précisant les avantages fiscaux. Certains salariés se prennent au jeu d’aller chercher des dons quand ils développent un projet. De mon côté, j’essaie de persuader le conseil d’administration, comme les parents, que c’est aussi un moyen de nous faire connaître », précise-t-elle.
Plusieurs voies existent pour augmenter la collecte de fonds. Il y a le démarchage direct d’entreprises présentes sur le territoire ou la réponse à des appels à projets qu’elles émettent via leurs fondations. Pour le financement de tablettes et logiciels adaptés destinés à des travailleurs en Esat, Sabrina Warnery, a démarché des fondations associées au monde du numérique, comme l’Afnic, Orange ou Bouygues. Elle s’est aussi rapprochée de la Banque Populaire Grand Ouest pour faire de la collecte en ligne. Autre voie : la vente de produits, comme des impressions 3D répliquant le Grand Eléphant de Nantes pour financer des actions de répit, ou encore l’opération « Brioches solidaires ». Pour entretenir son réseau de donateurs, La Sauvegarde du Nord a de son côté lancé des « rencontres inspirantes », au cours desquelles un projet est présenté aux participants. L’association est allée plus loin en organisant un dîner solidaire en 2021, préparé par un chef étoilé (bénévole) avec l’aide de salariés en insertion. Cet événement, qu’elle compte reproduire deux fois par an, a permis de dégager 28 600 € d’excédents, dont le fonds de dotation pourra disposer librement, contrairement aux dons fléchés. Un « travail de longue haleine », selon Frédéric Rouvière, qui a toutefois le mérite « de réunir nos partenaires présents depuis des années ».
Le risque du « charity business »
Jusqu’où aller dans cette logique ? La Sauvegarde du Nord comme l’Adapei 44 disposent de plus de projets à financer que de fonds disponibles… Les deux structures se montrent toutefois attentives à toute dérive vers du « charity business », qui consisterait à participer financièrement, mais uniquement à des fins publicitaires et « sans adhérer à la cause », comme le résume Frédéric Rouvière. Une parade consiste à développer le mécénat de compétences, une forme d’engagement par la réalisation de missions de plus en plus prisées(2). Mais là aussi, des tentatives d’abus peuvent exister, en lien avec les possibilités de défiscalisation. « Une entreprise a déclaré une valeur qui ne correspondait pas du tout au nombre d’heures effectuées », se rappelle Sabrina Warnery, qui n’a alors pas donné suite. Son association a même défini une charte éthique et déontologique dans laquelle elle s’accorde la possibilité de refuser des dons en cas de risque pour son image. Elle rappelle aussi la législation sur la « contrepartie » d’un don, telle qu’une mention du nom ou d’un logo, la visite d’un établissement ou la mise à disposition d’une salle, qui « ne peuvent correspondre à une valeur supérieure à 25 % des contributions versées ».
Les fonds de dotation offrent aussi l’opportunité « de belles opérations dans l’immobilier », assure Colas Amblard, avocat associé au sein du cabinet lyonnais NPS Consulting. Voilà l’autre usage majeur de cet outil juridique. Le principe ? Transférer du patrimoine immobilier de l’association vers le fonds de dotation, lequelle peut alors percevoir un loyer. La manœuvre se révèle particulièrement utile lorsque le patrimoine immobilier, étant déjà amorti, peut conduire les autorités de tutelle à diminuer leur dotation… « Comme l’association paie un loyer, elle n’affiche pas moins de charges. Les loyers permettent de financer des projets d’intérêt général. C’est donc gagnant-gagnant », affirme l’avocat.