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Jeunes de 16 à 25 ans : une résidence sociale pour briser le déterminisme

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Residence Sociale du Fort Saint Antoine

Kelly, 17 ans, est arrivée en octobre 2021 et s'est installée dans un lumineux studio de 21m²

Crédit photo Edouard Hannoteaux
Partant du postulat que les besoins éducatifs ne s’arrêtent pas à la majorité, la fondation Apprentis d’Auteuil a ouvert en juin 2020 une résidence sociale à orientation éducative. Etablie à Toulon, cette structure d’un nouveau genre permet aux jeunes de 16 à 25 ans de bénéficier d’un accompagnement individualisé sur leur lieu de vie.

« Les détails font la perfection, et la perfection n’est pas un détail. » Tel pourrait être le leitmotiv de Frédéric Baudot, directeur de la première résidence sociale à orientation éducative (RSOE) de l’Hexagone. L’ancien éducateur et directeur de maison d’enfants à caractère social (Mecs) semble avoir fait sienne la citation attribuée au célèbre peintre italien Léonard de Vinci. Ici, rien, ou presque, n’a été laissé au hasard. Des noms de philosophes placardés sur les portes aux tableaux représentant la côte varoise dans l’escalier, en passant par le ginkgo biloba, une espèce d’arbre préhistorique, planté dans la cour, tout est prétexte à susciter la curiosité ou à embellir les lieux. « Nous sommes allés chercher du mobilier avec de la gueule, s’enthousiasme le directeur en nous présentant l’établissement. Lorsqu’on donne du beau, les résidents se sentent bien et respectent les lieux. »

Ouverte en juin 2020 par Apprentis d’Auteuil, sur les hauteurs de Toulon (Var), cette structure expérimentale s’adresse aux jeunes de 16 ans à 25 ans en emploi ou en apprentissage. Elle dispose de 43 studios destinés aux sortants de l’aide sociale à l’enfance (ASE), aux jeunes suivis par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et à ceux issus du droit commun. Si son format administratif est celui d’un foyer de jeunes travailleurs (FJT), car les autres résidences sociales ne permettaient pas d’accueillir des mineurs, son fonctionnement diffère à bien des égards. A commencer par le système d’admission. Contrairement à un FJT classique, face à deux candidats d’âge et de solvabilité identiques, la RSOE recevra celui issu d’un parcours de vie complexe, sans garantie ni recours familial solide. « Nous cherchons à rétablir l’égalité des chances. Nous voulons que chaque locataire soit à même de réaliser des choix qui le détachent d’une reproduction de destins pouvant se perpétuer de génération en génération », appuie Frédéric Baudot. Autre particularité : le jeune doit afficher une volonté de s’engager dans la démarche éducative de l’établissement. « A 21 ans, ils sont nombreux à avoir encore besoin de transmissions éducatives. Nous demandons une dose d’humilité de la part du candidat à ce niveau-là », poursuit le directeur. Pour apporter un accompagnement « cousu main », chacun des 12 membres de l’équipe affiche un versant éducatif. « Peu importe notre casquette, le travail du lien avec le jeune arrive en premier lieu », rapporte Françoise Prost, infirmière au sein de la RSOE depuis août dernier. « Lorsque je vais désherber, je sollicite les résidents. Même s’ils ne participent que dix minutes, cela permet de les responsabiliser, illustre de son côté David Jacquemard, chargé de la logistique et de la maintenance du site. De la même manière, nous faisons de la pédagogie sur l’entretien des studios, le ménage, le respect du matériel. »

Les professionnels sont par ailleurs disponibles durant une large plage horaire. Un roulement de 7 heures à 23 heures et pendant les week-ends est organisé pour que les jeunes puissent solliciter le personnel sur leur temps libre. Des veilleurs de nuit font également office de relais éducatif en dehors de ces horaires. Arrivé il y a un an et demi, pour bénéficier d’un accompagnement administratif concernant son titre de séjour, Mohammed* apprécie cette « proximité ». « Au lieu de voir une assistante sociale seulement une fois par semaine, ici je peux avoir un vrai suivi et discuter avec l’équipe n’importe quand. Les choses avancent beaucoup plus vite », salue le jeune homme de 22 ans. « Quand on rencontre des problèmes, en général, c’est vite réglé », appuie Kelly, qui a intégré les lieux à l’automne.

« L’affaire de tous »

L’idée de créer cette résidence sociale à orientation éducative a germé dans la tête de Frédéric Baudot, il y a plusieurs années, avant que l’Insee ne publie des données mettant en lumière la grande précarité des jeunes sortant de l’aide sociale à l’enfance (ASE). « Un jour, j’ai croisé un jeune qui, deux ans plus tôt, avait quitté un établissement dont j’avais pris la direction, se remémore le directeur avec détails. Lorsque je lui ai demandé ce qu’il devenait, il m’a expliqué attendre ses 25 ans pour toucher le RSA. J’ai pris en pleine poire le déterminisme social qui déclasse les jeunes passés par l’ASE. D’autant plus que cette personne cochait toutes les “cases” à sa sortie. Elle avait un emploi, un logement, était en couple et avait renoué le dialogue avec sa famille. » De cette rencontre, le professionnel a imaginé une structure « décloisonnée » rassemblant toutes les institutions amenées, à un moment ou à un autre, à prendre en charge ces jeunes. Il a ainsi conditionné l’ouverture de la RSOE à la contribution financière ou humaine de neuf acteurs : la direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS), la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM), l’agence régionale de santé (ARS), la PJJ, la région, la Caisse d’allocations familiales (CAF), le conseil départemental, la métropole et la ville de Toulon. Ce schéma a par exemple permis le financement en intégralité par l’ARS du poste d’infirmière dans l’établissement. « Ce qui arrive à ces jeunes est l’affaire de tous, soutient Frédéric Baudot. J’ai voulu sortir de la logique des tuyaux d’orgue qu’on connaît dans l’administration française. »

Environnement apaisant

La RSOE se distingue également par son architecture singulière. Erigée en lieu et place d’une ancienne école, elle a été conçue sur-mesure. Exit les modèles symétriques, les vis-à-vis ou les couloirs interminables, place aux alcôves, à une multitude de pièces à vivre et à de spacieuses terrasses. « Les jeunes ont été habitués à des formats de type hospitalier, pointe le directeur. Dans les structures comme les CHRS [centres d’hébergement et de réinsertion sociale] ou certaines Mecs, la dimension collective est prédominante. Certes, nous gardons cet aspect, mais je voulais d’abord que les jeunes se sentent bien chez eux. » L’aménagement a notamment été pensé pour offrir aux résidents un choix important de pièces à vivre, qu’ils peuvent occuper selon leurs besoins du moment. Au total, cinq espaces communs leur sont dédiés, parmi lesquels un centre de documentation et d’information (CDI), avec des livres et des jeux de société, une salle consacrée aux débats et une pièce informatique disposant d’une large baie vitrée. Sur une petite colline boisée du terrain, des tables et des chaises ont aussi été installées. « Mine de rien, on a tout ce qu’il nous faut ici », lâche Mohammed dans un sourire.

L’agencement est par ailleurs propice à faciliter la rencontre avec l’équipe éducative. « Nous avons mis un bureau par étage, là où se trouvent les studios. Je ne voulais pas créer une entité administrative dans un coin et des lieux de vie dans un autre », rapporte Frédéric Baudot, qui confesse avoir été maudit par l’architecte, en travaillant à éviter certains écueils propres aux structures sociales et médico-sociales. « Lorsqu’on a un projet ambitieux, il faut que le bâti le soit aussi. Bien sûr l’architecture ne fait pas tout, mais cela vient servir le projet. En enlevant le précaire, l’insalubre et le dégradé, cela favorise nécessairement la qualité de l’accompagnement », précise-t-il.

En soirée ou les week-ends, l’équipe propose des activités en fonction des envies et des besoins exprimés. Des ateliers d’orthographe, de relaxation ou de maîtrise de certains outils numériques sont ainsi organisés. Mais il n’est pas toujours évident de mobiliser les troupes. Comme en ce vendredi d’avril, où l’infirmière a préparé un quiz interactif autour de la sexualité. Alors qu’une dizaine de participants se sont portés volontaires, seules deux ou trois personnes sont effectivement présentes à l’heure du rendez-vous. Boissons fraîches et petits fours ne suffisent pas à attirer les foules. Visiblement habituée, la professionnelle se résout à téléphoner aux retardataires pour les remobiliser. Au bout d’une trentaine de minutes et d’arrivées au compte-gouttes, la salle finit par se remplir. Ces temps de convivialité sont autant d’occasions de poursuivre le travail éducatif et de faire passer des messages. « Sur certains sujets, nous devons être présents, sans être trop intrusifs », résume Françoise Prost, pour qui les ateliers représentent un bon compromis. « Et puis, les jeunes sont issus de cultures très différentes, poursuit-elle. Du fait de cette diversité, il est important d’avoir des approches diversifiées. » Le questionnaire sur la sexualité permet ainsi d’aborder des sujets tabous ou méconnus comme la transidentité, l’excision ou l’anatomie du clitoris. A l’aide de leurs portables et sous des pseudos loufoques, les résidents répondent aux questions dans une ambiance bon enfant. Celles-ci sont parfois moins évidentes qu’elles n’y paraissent. « Que définit la sexualité ? », « Qu’est-ce que le consentement ? », « Quelle est la taille moyenne d’un clitoris ? » … Les commentaires fusent et débouchent sur des explications détaillées de l’infirmière. L’exercice semble finalement avoir fait mouche puisque la jeune assemblée accepte d’enchaîner sur deux autres quiz, cette fois sur les traumatismes et les addictions.

Essaimer le concept

A terme, l’objectif de la direction est de modéliser ce projet de résidence pour que des structures du même type essaiment un peu partout sur le territoire. « Nous voulons que n’importe quelle association, pas nécessairement Apprentis d’Auteuil, puisse un jour répondre à un appel à projets pour les RSOE », expose Frédéric Baudot. Afin de consolider l’approche, une étude d’impact social est menée avec la participation des résidents. Celle-ci a déjà permis de mettre en place des ajustements, notamment concernant l’engagement demandé aux jeunes dans la démarche éducative. « Au départ, nous étions beaucoup moins pointus là-dessus dans le processus d’admission, confie le directeur. Certains résidents nous ont un peu pris pour une structure hôtelière, il fallait aller les chercher tout le temps. » A l’inverse, l’équipe se montrait très exigeante sur l’absence de soutien familial du jeune comme critère d’entrée et a fait preuve de plus de souplesse sur ce point. « Au fil de l’eau, nous nous sommes aperçus qu’il s’agissait d’une approche incomplète. Plus qu’une absence totale de soutien familial, il est aujourd’hui question de l’impossibilité pour le jeune d’y recourir de manière stable, précise-il. Typiquement, si un candidat évolue dans une famille toxique, cela ne doit pas l’empêcher d’être accompagné chez nous. » L’étude a également mis en exergue l’importance de renforcer la pédagogie sur tout ce qui trait à l’administratif. « Beaucoup de jeunes ont une méconnaissance complète des prérequis minimaux pour s’en sortir, que ce soit la CAF, la sécurité sociale, le loyer ou les impôts. Nous avons fait de cet axe une priorité », soulève Frédéric Baudot. En passant devant le bureau de l’équipe éducative, une résidente confirme ses dires. « J’ai reçu ce papier. Qu’est-ce que c’est ? », demande-telle en montrant son avis d’échéance de loyer. « Il y a une réelle difficulté pour les jeunes sortant de l’ASE à 18 ans, observe Coralie Fromentin, assistante sociale. Ils ne sont pas équipés. De nombreuses choses ne leur ont pas été transmises dans les institutions car ce n’était pas la priorité. »

Afin de compléter son approche, la structure s’apprête également à ouvrir sept places de foyer-soleil au centre de Toulon et cinq places d’intermédiation locative destinées aux jeunes qui sont davantage autonomes ou à qui le collectif ne correspond pas. Si ces nouveaux dispositifs fonctionnent, ils seront intégrés au modèle de la RSOE. Début 2023, la direction prévoit de rencontrer le ministère des Solidarités et de la Santé pour porter cette expérimentation et permettre sa généralisation.

Notes

* Prénom d’emprunt.

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