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Mineurs non accompagnés : quand « citoyens » rime avec « soutiens »

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Le Squat Chemineur

L'équipe des "soutiens" accueille les adolescents qui arrivent.

Crédit photo Tim Douet
A Lyon, faute de prise en charge institutionnelle, 160 mineurs étrangers sont logés et accompagnés par un réseau de solidarité citoyen. Des dizaines d’habitants ont endossé malgré eux le rôle de travailleurs sociaux.

Un groupe d’adolescents en tongs jonglent adroitement avec un vieux ballon de football quand la sonnerie de l’école retentit, à quelques dizaines de mètres. Ici, le terrain de foot est délimité par de larges grilles sur lesquelles sèchent des vêtements. Cachant un peu le terrain vague qui s’étend derrière. De l’autre côté, se trouve l’entrée de « chez eux ». Un bâtiment désaffecté recouvert d’une fresque murale et de tags qui indiquent les pays d’origine de ces adolescents : Guinée-Conakry, Cameroun, Nigeria… Bienvenue au « Chemineur », l’un des deux squats situés sur les hauteurs de la Croix-Rousse, à Lyon, qui hébergent des mineurs isolés arrivés de toute l’Afrique. Le lieu a été créé en 2021 par des habitants pour combler le vide de prise en charge auquel sont confrontés ces jeunes quand l’association Forum réfugiés ne valide pas leur minorité à leur arrivée et qu’ils doivent solliciter un recours. En novembre dernier, a suivi l’ouverture d’un second espace, baptisé « Chez Gemma », à l’initiative de parents d’élèves du quartier.

Le soleil commence doucement à décliner. Bientôt, la fraîcheur de la nuit obligera les jeunes à rentrer pour entamer la préparation du repas. Depuis le mois de décembre, l’eau et l’électricité ont été rétablies au sein du bâtiment. On est encore loin du luxe pour ceux qui, il y a un an, campaient dans le square Gustave-Auguste-Ferrié, sur le plateau de la Croix-Rousse. La première nuit, le 28 mai, ils n’étaient que 16 sous les toiles de tente. Depuis, la liste s’est allongée. Arrivé au squat moins d’une semaine auparavant, Cheik Hamad a quitté son pays, la Côte-d’Ivoire, il y a neuf mois. « Depuis que je suis là, c’est bien plus compliqué que ce que j’imaginais. Nous, on a connu la France à la télé, la tour Eiffel, tout ça. En réalité, on dort dehors », lâche-t-il.

Plus de 160 jeunes pris en charge

Aujourd’hui, 55 mineurs non accompagnés (MNA) dorment au « Chemineur » et 34 sont installés à « Chez Gemma ». Mais aussi une trentaine dans une salle communale de la ville de Lyon, une quarantaine dans un bâtiment et une résidence seniors mis à disposition ainsi qu’une dizaine chez des riverains. Au total, plus de 160 adolescents sont actuellement pris en charge bénévolement par de simples citoyens lyonnais. « En théorie, ces jeunes ont bien un droit au recours, mais si on n’est pas là pour les aider à l’exercer, absolument rien n’est mis en place. Un gamin qui vit dehors est en mode survie. Il ne peut évidemment pas entamer des démarches juridiques et administratives tout seul », déplore Marguerite. A 74 ans, cette conservatrice de bibliothèque à la retraite est l’une des figures du collectif citoyen. Celle qui se fait appeler Margot par tous les habitants du squat a commencé à s’investir en 2018. Aujourd’hui, elle essaie de venir tous les jours, surtout le soir, au moment du repas. « Le social n’est pas franchement mon travail à l’origine, précise-t-elle. Et même si c’est mon choix de m’investir, c’est regrettable de devoir compter sur des citoyens. »

Margot vient à peine de franchir le seuil de la salle à manger que deux jeunes l’interpellent. Ils lui tendent une feuille plastifiée. Il s’agit de la lettre remise par Forum réfugiés. « C’est important pour nous de tenir un registre de tous les mineurs remis à la rue. A chaque nouvelle arrivée dans le squat, on photographie cette lettre datée du jour », explique la bénévole qui, en un an, a recensé 880 jeunes remis à la rue par l’association. Parmi eux, 700 ont formé un recours. La retraitée n’a pas le temps d’allumer la bouilloire qu’une jeune femme entre à son tour dans la pièce. Son sac à main en bandoulière comme seul bagage, elle explique, dans un français balbutiant, ses dernières semaines passées dans la rue. Quelques minutes plus tard, Margot a passé plusieurs coups de téléphone et trouvé un hébergement pour la nuit. « Ici, on accueille uniquement des hommes. Pour les femmes, on cherche d’autres solutions. Heureusement, on peut aussi compter sur un réseau d’hébergement solidaire directement chez des habitants », poursuit-elle doucement.

Comme elle, Sébastien fait presque partie des murs au « Chemineur ». Professeur de maths en disponibilité, il est actif dans le squat depuis le premier jour. Ce lundi soir, il arrive un peu avant 18 h pour accompagner les jeunes aux douches. « On a un accord avec la mairie pour utiliser les douches du stade à côté », explique-t-il. Une heure par jour tous les soirs de la semaine et le matin, pendant les week-ends. « Seule condition : qu’un adulte soit présent pour les accompagner. C’est un peu ridicule, mais on le fait », soupire-t-il. Quelques jours plus tard, c’est au tour de Gérard, enseignant retraité, de venir chercher les jeunes pour les amener aux Restos du cœur. Si les soutiens – comme ils aiment s’appeler, préférant ce terme à celui de « bénévole » – sont toujours accueillis avec joie, Gérard récolte la palme. Il faut dire que c’est lui qui apporte le pain pour le petit déjeuner. Au sein des squats, les jeunes n’ont qu’un seul repas, le soir, qu’ils préparent à tour de rôle par petits groupes. Le midi, quelques-uns d’entre eux déjeunent dans les locaux du Secours populaire, où ils prennent des cours de français.

Au fil du temps, les adolescents ont noué de vrais liens avec leurs soutiens. A tel point que certains, une fois reconnus mineurs et pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, passent encore leur temps libre au « Chemineur ». Comme Khalifat, originaire du Liberia. Vêtu d’un tee-shirt « La casa de papel », skate à la main, le garçon a vu ses 14 ans officiellement reconnus par le juge des enfants après six mois d’attente. Tous les jours, après l’école, il se rend à la bibliothèque du quartier pour faire ses devoirs, puis passe au « Chemineur », avant de rejoindre son foyer à Rillieux-la-Pape, au nord de Lyon. « J’ai suivi mon oncle en Libye en laissant toute ma famille. En arrivant en France, j’ai regretté d’avoir tout quitté parce qu’au moins, là-bas, je ne dormais pas dehors. Puis j’ai rencontré des gens qui m’ont aidé. Des personnes qui téléphonent même à ma famille pour donner de mes nouvelles. » Khalifat pense en particulier à Marianne Talmon. L’artiste peintre et sculptrice de 56 ans, qui habite à deux pas du squat, travaille avec la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) aux côtés d’adolescents en difficulté. C’est avec elle que les jeunes ont égayé le vieux bâtiment de fresques colorées qui racontent leurs histoires et leur exil, de la Guinée-Conakry, du Cameroun, du Liberia ou du Nigeria jusqu’à Lyon.

Et il y a Sophie Boulay. Impossible de raconter cette histoire sans parler de l’engagement de la jeune traductrice de 30 ans auprès des mineurs isolés. Après les premières nuits sous la tente, elle a dormi au « Chemineur » avec les jeunes pendant cinq mois. Initialement, elle voulait rejoindre l’association Utopia 56, à Calais. Finalement, elle n’a pas eu besoin d’aller si loin pour proposer son aide. Elle a repris aujourd’hui son activité de traductrice tout en continuant à s’investir dans l’espace « Chez Gemma », le second bâtiment réquisitionné par le collectif. Pas question pour elle de se reconvertir dans le social. « Je n’aurais jamais la liberté que j’ai ici. J’aurais des délais à respecter, des collègues épuisés… Je ne jette pas du tout la pierre aux travailleurs sociaux, mais j’en connais plusieurs qui se retrouvent à faire des choses à l’encontre de leur volonté », argumente-t-elle. Pour les soutiens lyonnais, la dimension militante et la dénonciation de la non-prise en charge des jeunes migrants par les institutions restent essentielles pour faire avancer les choses. « Même si, au quotidien, on est surtout pris par des histoires d’oignons, de carottes et de pâte d’arachide », lâche Sophie.

Depuis un an, une douzaine de Lyonnais se relaient quotidiennement pour s’occuper des mineurs non accompagnés. Des dizaines d’autres, moins présents sur le terrain, assurent un soutien juridique, administratif ou financier, comme l’association Coordination urgence migrants (CUM). « Nous avons zéro formation. On doit être tour à tour papa, maman, plombier, assistante sociale, cuisinier, organisateur d’événements… », détaille Sam Hévin, 48 ans et père de deux enfants. Salarié d’une coopérative qui vend des fruits et légumes, il fait partie des parents d’élèves derrière « Chez Gemma ». Si l’homme ne s’attendait pas vraiment à devoir un jour veiller sur une quarantaine d’adolescents vivant dans un squat, il assure ne pas voir son engagement comme du travail social. « Je fais mon boulot de citoyen », assène-t-il.

Des professionnels à la rescousse

Dans la cuisine commune, un adolescent surveille une grosse marmite d’où s’échappe une odeur alléchante : poulet, pâte d’arachide, légumes et riz. « Un classique ! », commente Sam Hévin. La nourriture et les produits d’hygiène sont livrés par la Banque alimentaire et la Croix-Rouge et complétés par des dons d’habitants solidaires. « Et quand il manque quelque chose, on met nous-mêmes la main à la poche et on va faire les courses », abonde Margot.

Malgré leurs façades décrépies, les chambres meublées de bric et de broc, les rares WC et l’absence de douches, les squats se sont peu à peu transformés en foyers autogérés. Avec un prix de journée imbattable : les soutiens bénéficient de dons à hauteur de 3 000 € par mois pour un total de 160 jeunes. Soit moins d’un euro par jour et par jeune. Mais les citoyens investis dans ces différents squats lyonnais ne sont pas des professionnels. Et, parfois, leur manque de formation se fait cruellement sentir. Ce fut le cas un samedi de mars, lorsqu’un jeune a tenté de se suicider. La corde avec laquelle il s’est pendu a lâché. Présent ce jour-là, Sam Hévin est encore sous le choc. « Comment réagir face à ça quand on n’est pas formé ? Il y a des moments où je suis à deux doigts d’exploser, confie-t-il d’une voix brisée. Quand tu récupères le garçon en bas, tu essaies juste de ne pas éclater en sanglots. Pourquoi ne peut-on pas avoir des professionnels qui s’occupent de ça ? »

Fanny Pruvost, elle, était absente ce jour-là. Depuis le début de l’année, cette institutrice de métier se rend plusieurs fois par semaine à l’espace « Chez Gemma » et redoute de tels événements. « On est plein de bonne volonté, mais on passe à côté de certaines choses, explique-t-elle. On a une implication personnelle, une grande complicité. C’est différent d’une position professionnelle, qui peut nous faire défaut s’il y a un cas grave à gérer. » Car la détresse des jeunes est quotidienne. Et même quand les situations ne vont pas aussi loin, la désillusion et l’attente, elles, sont omniprésentes. « Bien sûr qu’on est en colère, mais on va faire quoi ? », lâche Franklin. Arrivés du Cameroun, son acolyte Cabrel et lui trouvent le temps long, mais n’en démordent pas : une fois le jugement rendu, ils resteront à Lyon et iront à l’école.

A « Chez Gemma » comme au « Chemineur », plusieurs soutiens se disent « au bord du burn-out ». « Mais si on abandonne, il n’y a personne », déplore Sophie. Depuis un an, le collectif demande à la métropole de Lyon de mandater de vrais travailleurs sociaux. En attendant, il peut compter sur l’appui bénévole de certains professionnels : des hospitaliers retraités, des infirmières, des psychologues et un kiné assurent une permanence santé hebdomadaire. Une dizaine de soutiens, principalement des femmes à la retraite, se chargent d’accompagner les jeunes à leurs rendez-vous médicaux. Pour occuper les adolescents, des professionnels et artisans du quartier proposent également leurs services lors d’ateliers de radio, de dessin et bientôt de sérigraphie. Dans l’immédiat, le collectif a, de toute façon, une autre urgence à gérer. Le mois de juin pourrait en effet signer la fin de l’histoire. Le bailleur, ICF Habitat, qui devait raser le « Chemineur » pour construire des logements sociaux, a fait appel du sursis accordé au squat et demandé une expulsion immédiate. Le jugement sera rendu le 8 juin. Quant à l’autre bâtiment, « Chez Gemma », il bénéficie jusqu’au même mois d’un conventionnement avec le propriétaire, les Hospices civils de Lyon (HCL). La convention pourrait être renouvelée. Sans certitude pour le moment.

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