Recevoir la newsletter

Troubles du spectre autistique : à bonne école pour l’inclusion

Article réservé aux abonnés

Lyvia, au centre, fait du sport avec les autres enfants d'une classe de maternelle ordinaire, guidée par Fanny Défont, éducatrice spécialisée

Crédit photo Tim Douet
Depuis 2016, à Vénissieux (métropole de Lyon), l’unité d’enseignement en maternelle autisme de l’école Anatole-France accueille sept enfants de 3 à 6 ans atteints de troubles autistiques. Un dispositif encore faiblement déployé qui allie les approches médico-sociale et scolaire.

Depuis le couloir, on entend à peine quelques bribes de conversation émanant de la salle de classe. La porte est ouverte en grand mais l’ambiance est calme, ce vendredi matin, au sein de l’unité d’enseignement en maternelle autisme (UEMA) de Vénissieux. A l’intérieur, Claire Czekala, neuropsychologue, et Jeanne Frémond, psychomotricienne, sont assises à hauteur d’enfants. Chacune à un bout de la table, leur attention est rivée sur Aris, Lyvia et Gabrielle. « Ce matin, on est presque en sous-effectif », s’amuse la psychologue. D’ordinaire, l’unité compte en effet sept élèves et autant de professionnelles : quatre éducatrices à temps plein, une psychologue à 60 %, une psychomotricienne à mi-temps et l’institutrice. Ce jour-là exceptionnellement, pendant quelques heures, la moitié de la classe assiste à un concert de percussions à l’opéra de Lyon.

Boîtes de jeux rangées dans les étagères, livres de comptines ouverts sur le bureau, gommettes et cubes de couleurs disséminés sur les tables… Au premier regard, tout laisse penser que nous sommes dans une classe de maternelle ordinaire. Seule originalité, les balles de tennis fixées aux pieds des chaises pour éviter les bruits métalliques. Un détail qui n’en est pas un, dans une classe réservée aux enfants atteints d’un trouble du spectre autistique (TSA). « Ces enfants sont généralement soit hyposensibles, soit hypersensibles. Dans le second cas, ils peuvent avoir une réaction très forte aux stimuli sensoriels, particulièrement aux bruits », explique Claire Czekala, également coordinatrice de l’équipe.

Rattachée au service d’éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad) de Villeurbanne mais située au sein du groupe scolaire Anatole-France, au cœur du quartier des Minguettes, l’UEMA de Vénissieux fait partie des cinq unités ouvertes dans le Rhône depuis 2014 pour proposer une réponse adaptée et individualisée à des enfants âgés de 3 à 6 ans diagnostiqués précocement, et dont la sévérité du trouble ne permet pas la scolarisation en classe ordinaire. Encore très rares dans le paysage scolaire et médico-social, elles offrent une prise en charge pluridisciplinaire tout au long de la maternelle. « Chacune va apporter son regard de professionnelle. Je vais par exemple porter une attention particulière à la motricité fine et globale. Mais on cherche surtout à avoir une vraie complémentarité dans le groupe », souligne Jeanne Frémond. Tout en discutant, sa main guide celle d’Aris, 6 ans, concentré à faire entrer de grosses lettres de l’alphabet dans le cadre en bois prévu à cet effet. Pour Aris comme pour Lyvia, elle aussi en grande section, les encadrantes mettent en application des techniques « d’apprentissage sans erreur ». « Certains enfants autistes ont beaucoup de rigidité. On anticipe les erreurs éventuelles pour éviter de les décourager. Ensuite, progressivement, on leur apprend la frustration, mais il faut y aller doucement », détaille la psychologue.

Lyvia s’agite. Une grimace tord son visage. En quelques secondes, son expression passe du rire aux cris. L’heure de la récréation approche et les changements de lieux et d’activités engendrent une poussée de stress. Elle tourne rapidement les pages d’un petit classeur, en déscotche une vignette et la tend à Claire : « tournoyer ». La psychologue soulève Lyvia et la fait virevolter dans les airs. Le visage de la fillette se détend instantanément. La méthode porte ses fruits : à l’UEMA, tous les élèves possèdent leur « classeur de communication ». Un outil mis en place par l’équipe pour interagir et comprendre les besoins des enfants, sous forme de petit guide plastifié aux vignettes détachables. Des besoins essentiels (boire, manger, uriner…) aux jeux (tournoyer, sauter, courir), en passant par les besoins sensoriels (s’isoler, écouter de la musique), tout est fait pour que les enfants puissent entrer en interaction avec leur entourage. « Le but de notre travail est qu’ils réussissent à s’exprimer en généralisant leur capacité de communication, explique la neuropsychologue. On doit sans cesse chercher à comprendre ce dont ils ont besoin. C’est ce qu’il y a de plus difficile, parce que parfois notre instinct est bon mais on peut mal interpréter. Et quand la crise est là, c’est déjà trop tard. »

« Savez-vous planter les choux ? »

Dans la « salle jaune », cerceaux et balles ont été installés pour travailler la coordination entre la vue et le toucher. Patiente, inlassable, Jeanne Frémond encourage Aris et Lyvia à se faire des passes, puis à viser le panier. L’objectif est aussi de favoriser les liens entre les enfants. « Aris, tu donnes la balle à Lyvia. Tu lui donnes. » La psychomotricienne répète la consigne autant de fois que nécessaire et félicite, systématiquement. « On est toujours dans le positif », abonde la praticienne. Pour cela, les équipes recourent à ce qu’on appelle des « renforçateurs » : objets, aliments ou activités utilisés pour motiver les comportements souhaités. « On préfère parler de renforcement plutôt que de récompense », explique Claire Czekala.

En milieu de matinée, Fanny Défont, éducatrice spécialisée, rejoint ses collègues en compagnie de Juwayriya, 6 ans. Les quatre enfants se placent en ronde. L’éducatrice lance « Savez-vous planter les choux ? » sur son téléphone et monte doucement le son. En rythme, les encadrantes encouragent les enfants à taper du pied, de la main, du coude, des genoux. Fanny Défont a été formée à travailler autour de la « structuration ». « On donne une structure à l’environnement de l’enfant et on l’estompe progressivement. Sur le long terme, l’objectif est de les amener à vivre dans tous les lieux de socialisation, car il n’y aura pas toujours nos codes ou nos systèmes d’images. » Ainsi, chaque enfant a deux coréférentes parmi les professionnelles, mais celles-ci s’emploient à tourner régulièrement pour casser les habitudes. A la fin du temps collectif, Lyvia sollicite la vignette sensorielle. Fanny Défont l’accompagne dans une pièce à part et l’installe sur un siège roulant. Pendant plusieurs minutes, la fillette tournoie sur elle-même, un gros âne bleu en plastique dans une main, une petite souris jouant de la musique dans l’autre. Elle répètera cette demande plusieurs fois dans la journée.

La particularité de l’UEMA tient dans le partenariat qui existe entre l’enseignement et le médico-social. Si, dans l’équipe, seule la maîtresse est rattachée à l’Education nationale, in fine, le scolaire reste la priorité. « L’idée est de travailler tous les prérequis : savoir s’asseoir, parler, écouter », abonde Claire Czekala. Dans cette optique, chaque enfant passe d’ailleurs des temps en inclusion au sein des autres classes. A hauteur de leur capacité, de vingt minutes à une matinée entière. Ce vendredi, Lyvia et Aris ont cours de sport avec deux autres classes de grande section de maternelle. Dans le gymnase, tous deux sont accueillis en fanfare par leurs camarades qui les encerclent. Deux petites filles prennent doucement Lyvia par la main et l’invitent à s’asseoir au milieu d’elles sur le banc. En quelques secondes, on ne distingue plus les élèves de l’UEMA du reste du groupe, qui enchaîne tour à tour saut en longueur, élastique et trampoline. « On a formé des binômes ou des trinômes avec certains enfants qui ont vraiment un instinct incroyable, raconte Magali Maulard, éducatrice de jeunes enfants, présente pendant le cours de sport. Au départ, on les a simplement sensibilisés au handicap, on leur a expliqué certaines réactions, etc. Le reste vient d’eux, tout naturellement. »

Depuis un an, l’école expérimente par ailleurs l’« inclusion inversée » : par petits groupes, des élèves des classes ordinaires viennent passer quelques heures au sein de l’UEMA. « C’est un apprentissage de l’empathie et une façon de valoriser certains enfants qui peuvent être violents ou moins bons à l’école. Et de fait, quand on leur demande s’ils ont peur de l’autisme, aucun ne répond “oui” ! », affirme la psychologue. Une position partagée par Carine Bogas, l’institutrice de l’UEMA. « On a tendance aujourd’hui à ne parler de l’inclusion que comme quelque chose de bénéfique pour les enfants porteurs de handicap. Mais l’apport existe dans les deux sens. » Après un poste en institut médico-éducatif (IME) auprès d’enfants autistes plus âgés et trois ans au sein de l’unité, elle affirme ne pas s’imaginer retourner en classe ordinaire.

Une exception dans le milieu

« Les réussites sont assez rares pour être soulignées, et j’insiste pour dire que, presque six ans après son ouverture, notre unité fonctionne très bien. La conclusion est simple : quand on met des moyens humains et financiers, ça marche », s’enthousiasme Laurent Fatet, le directeur de l’école. Un message corroboré par l’ensemble des professionnels de l’UEMA, et d’autant plus martelé que cette structure reste une exception dans le milieu de l’autisme et du handicap en général. « Ici, ce n’est pas exactement du “un pour un”, mais on a les moyens de faire des suivis individualisés. Si un enfant est en crise, on n’est pas obligés de délaisser les autres », appuie Fanny Défont. Les professionnels ne sont d’ailleurs pas les seuls à souligner les effets bénéfiques de l’UEMA. Comme Sébastien Favre, père de Lyvia : « Quand elle est arrivée, Lyvia était toujours en retrait par rapport aux personnes autour d’elle. Maintenant, c’est elle qui engage le regard et même la communication. » Il souffle, avant de reprendre : « Quand le diagnostic tombe, on se retrouve seuls. Pendant des jours, je n’ai pas dormi. Toutes les structures étaient débordées et personne ne nous proposait de solution. Lorsque notre dossier a été accepté ici, on a reçu une écoute de l’ensemble des spécialistes, avec qui on a pu mettre en place une démarche structurée pour que notre fille progresse. » Pour les parents de Lyvia et des autres, la structure offre également l’avantage de rassembler au sein d’un même lieu les professionnels du médico-social.

Mais les places sont rares et ne se renouvellent que lorsqu’un enfant termine ses trois années de cycle. En dehors des UEMA, l’option la plus courante reste la scolarisation en maternelle ordinaire avec le renfort d’un accompagnant d’élève en situation de handicap (AESH). « On manque cruellement de personnels pour accompagner les enfants en difficulté », soupire le directeur. C’est le cas de Rakan, un enfant autiste inscrit en grande section. Quinze heures par semaine, il bénéficie d’une aide. Le reste du temps, il doit se débrouiller seul, et Mathilde, sa maîtresse, aussi. « Il est bien intégré et possède un petit timer pour l’aider à gérer ses rythmes de façon ritualisée. Mais il y a un décalage avec les autres au niveau scolaire, et quand son AESH est absent, je ne peux pas me focaliser uniquement sur lui et délaisser le reste de la classe. Je n’ai ni le temps ni la formation », regrette l’institutrice.

Dans la cour, sous les derniers rayons du soleil, les sept enfants sont maintenant réunis. Lana pose devant l’objectif de l’appareil photo tandis qu’Aris demande au reste du groupe de lui courir après, son casque jaune antibruit sur les oreilles. Le semestre est déjà bien entamé et la question de l’après est désormais dans toutes les têtes. « Les parents placent beaucoup d’espoir en nous, ils voient les progrès de leurs enfants pendant ces trois années. Mais il n’existe pas d’équivalent en primaire », regrette Laurent Fatet. Sur le papier, trois options s’offrent : l’école ordinaire avec un AESH, une unité localisée pour l’inclusion scolaire (Ulis) ou une place en IME. « Cette dernière solution nous apparaît un peu comme un échec. Sans compter les délais et les listes d’attente de ces structures », lâche Claire Czekala. En décembre dernier, tous les parents ont déposé un dossier auprès de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) pour la suite de la scolarité de leurs enfants. « On a gagné deux années de répit. Aujourd’hui, on se retrouve encore une fois dans l’incertitude la plus totale », conclut Sébastien Favre.

Reportage

Autonomie

Protection de l'enfance

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur