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MNA : un accompagnement à rebours de l’institution

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Francois Conan, fondateur du lieu de vie et professeur de francais langue étrangère. 

Crédit photo Marta NASCIMENTO
Dans l’Yonne, les éducateurs de l’association Pollen misent sur l’engagement, la confiance et un cadre de vie quasi familial pour aider les mineurs non accompagnés qui leur sont confiés par l’aide sociale à l’enfance.

Dans le petit village de Saint-Sérotin (Yonne), au cœur d’un parc arboré d’une dizaine d’hectares, la vaste maison aux volets bleus du lieu de vie et d’accueil pour mineurs non accompagnés (MNA) de l’association Pollen trône au cœur du brouillard. A l’intérieur, le calme. En ce mercredi matin, la majorité des 11 jeunes âgés de 15 à 21 ans confiés par l’aide sociale à l’enfance (ASE) et qui vivent ici sont au collège ou au lycée. Les autres étudient sur place, dans une salle de classe située dans l’aile droite du bâtiment. Des étagères jonchées de livres, une carte du monde accrochée au mur et un tableau numérique entourent une grande table où sont disposés, çà et là, des trousses, un manuel Bescherelle ou encore L’Odyssée d’Homère. Penchés sur leurs exercices, Rafael, Rodriguo et Darshan(1) se concentrent. La voix de François Conan, directeur et fondateur du lieu de vie, résonne : « J’enseigne à ceux qui sont trop fragiles pour être scolarisés. La lecture, l’écriture, la grammaire, parfois les mathématiques. Il s’agit de les remettre à niveau. Si leur apprentissage s’effectuait en établissement, ils resteraient au fond de la classe », explique l’ancien professeur de français. La durée du temps de classe dispensé ici n’est pas définie. Pour certains, six mois sont nécessaires, pour d’autres, une année. L’objectif étant d’assurer aux jeunes une insertion scolaire et professionnelle rapide.

Pause matinale. Les trois élèves en profitent pour se rendre près des cuisines. Une collation est bienvenue, comme en témoignent les sourires sur les visages. Rafael, le regard malicieux, enchaîne les blagues qui s’adressent autant à ses camarades qu’aux deux éducateurs spécialisés présents. « Je suis ici car l’école est compliquée pour moi. Avant de venir, j’allais être orienté dans un centre pour jeunes à problèmes. Ce n’est pas mon cas. Ce n’est pas partout que l’on trouve des professeurs à la maison, c’est une chance », confie le jeune homme de 15 ans qui, arrivant d’une zone de guerre, n’a jamais été scolarisé. A l’extérieur, le brouillard a fait place au soleil. Mais les trois adolescents ne profitent pas pour autant du parc où des ânes, des chèvres, des poules et des chats cohabitent. Comme les jeunes de leur âge, ils préfèrent se connecter à Internet.

Une respiration dans un temps compté. Car si parler le français et atteindre un niveau scolaire correct sont les priorités, ces jeunes doivent aussi répondre à l’urgence administrative. L’objectif ? Obtenir un titre de séjour en règle lors du passage à la majorité, qui signe la fin de leur prise en charge. « On les prépare à devenir français. Ils ne viennent pas pour un court séjour, assure David Furcy, éducateur spécialisé. Quand ils arrivent, ils travaillent d’arrache-pied pour parler la langue. Ils ont rapidement d’excellents résultats scolaires. L’intégration tient aussi à l’appréhension de la culture pour un projet global de vie. » Pour la régularisation à 18 ans, les formalités sont précises : une formation de six mois, diplômante ou qualifiante, doit être engagée. Si la date d’arrivée sur le territoire est antérieure à leurs 15 ans, les jeunes ont aussi la possibilité de demander la naturalisation. Ces obligations procédurales sont au cœur des préoccupations des jeunes habitants des lieux, bien conscients que les rouages institutionnels impliquent des échéances à ne pas manquer.

Un cadre familial

Provenant majoritairement d’Afrique de l’Ouest, les adolescents reçus par Pollen ont des parcours de vie complexes, jalonnés de traumatismes vécus dans leur pays d’origine ou survenus sur la route de l’exil. S’y ajoute l’angoisse induite par les étapes réglementaires à respecter, qui impose un travail d’élaboration ainsi qu’une « digestion » du passé. « Ils savent pourquoi ils sont partis. Il leur faut malgré tout une période de répit pour se reposer. Le lieu de vie est adapté à cette réalité. Lorsqu’ils débarquent, ils sont déracinés et fatigués par leur voyage », résume David Furcy. Les éducateurs de Pollen travaillent avec eux sur des temps donnés afin de les préserver d’une inquiétude permanente. « Il ne faut pas centrer la vie sur cela, mais en discuter suffisamment pour ne pas avoir à en parler tout le temps. Tout doit être clair pour qu’ils vivent leur adolescence malgré tout », explique Isabelle Bedu, éducatrice spécialisée.

A leur arrivée, les jeunes sont suivis par un psychologue. Chaque semaine, le thérapeute propose des rendez-vous. « Au fil du temps, les enfants arrivent de plus en plus abîmés à cause de l’augmentation du nombre de conflits internationaux, constate le directeur. Comme nous sommes bien identifiés, l’ASE nous confie les cas les plus sensibles. Mais le cadre du lieu de vie leur permet de récupérer. Souvent, les jeunes arrivent après six mois passés à l’hôtel, à Paris, totalement livrés à eux-mêmes. » Rafael est soulagé d’être là : « L’ambiance est familiale. Ce n’est pas le même climat que dans les foyers où je ne me sentais pas à ma place. Les gens sont moins chacun dans leur coin. » Nigériane, Jenifer habite ici depuis deux ans. Si elle reconnaît que la vie en groupe lui pèse parfois, « ça se passe globalement bien et je me sens en sécurité », lâche-telle, souriante.

12 heures. Le retour de l’école de plusieurs jeunes pour déjeuner redonne vie à l’immense maison. Le repas s’organise autour d’une grande table, dans la pièce principale aux nombreuses fenêtres. Chacun se sert à manger avant de gagner sa place calmement. La consigne : discuter exclusivement en français. Les filles chuchotent d’un côté, les garçons de l’autre. La viande, les frites et la salade sont vite engloutis. Les éducateurs spécialisés échangent quant à eux sur les horaires des rendez-vous prévus l’après-midi : piscine pour l’une, kinésithérapie pour l’autre… L’organisation est serrée. Elle s’applique aussi aux tâches attribuées aux MNA : laver la table et faire la vaisselle. Une fois leur repas terminé, les jeunes se lèvent de concert et s’activent jusqu’à ce que la cuisine et la salle à manger soient propres. « Nous misons sur la responsabilité. Personne n’est jamais seul pour ranger. C’est à tour de rôle. Lorsqu’il y a des invités, ils peuvent s’inscrire sur un planning et cuisiner », souligne David Furcy.

Prise de risques

A l’association, l’obligation d’apprendre la natation, le vélo et de pratiquer un autre sport fait aussi partie de l’apprentissage de l’autonomie. Autre levier éducatif : la confiance. Exceptée celle du bureau, où se trouvent les documents administratifs, les portes de l’établissement restent ouvertes. « Nous considérons qu’une porte fermée donne envie de l’ouvrir ou laisse supposer que quelque chose y est caché. Nous faisons le pari de miser sur le risque », pointe David Furcy. De même, les mineurs sont autorisés de temps en temps à se rendre seuls à Paris, durant une journée, en empruntant les transports en commun. « Les institutions ne permettent pas cette latitude, elles ne donnent pas assez de liberté. Ici, nous essayons d’intégrer les jeunes dans une collectivité au sein de laquelle ils disposent d’une vraie place », affirme François Conan. Et d’avouer : « Les débuts ont été compliqués. Les MNA, ce n’est pas porteur. Les départements ne veulent pas un directeur pour seulement 10 jeunes. Notre approche n’a rien d’institutionnel, nous travaillons sur l’idée que les mineurs sont ici chez eux. »

La confiance accordée n’est d’ailleurs possible que grâce aux modalités d’accompagnement pensées par le dirigeant. Pour être recrutés, les professionnels doivent accepter de résider dans les maisons sur la propriété. Si le temps de travail est composé de trois jours par semaine et d’un week-end sur trois, les éducateurs spécialisés sont maîtres de leur niveau d’implication. « Levers, couchers, repas… C’est au travers des actes du quotidien que l’on parvient à transmettre la capacité de faire ses propres choix. Je ne conçois pas le métier autrement », explique Isabelle Bedu, en pleine séance d’aide aux devoirs. Avoir l’ensemble de ses affaires sur place, pouvoir accueillir du monde, partager du temps de congés dans le jardin ou au domicile des jeunes constituent pour les éducateurs autant de moyens efficaces de soutenir les MNA dans leur nouvelle vie en France. « Une des jeunes dont je suis référente me rend visite chez moi, et cela change beaucoup de choses, détaille l’éducatrice. Il faut du temps pour tisser des liens avec ces enfants. Ils ont besoin de m’accueillir à leur rythme. Ils ont quitté leur vie et leur famille. S’installer ici marque un peu plus la distance avec leur passé. Au départ, ils me testent. Ils se protègent de l’abandon. Je dois faire mes preuves. Je vais régulièrement dans leur maison durant mon temps libre. C’est vraiment une posture personnelle. »

Une proximité émotionnelle en marge des pratiques habituelles, où la juste distance reste la règle. Et un accompagnement très exigeant. « Il faut sacrifier une partie de sa vie personnelle pour travailler ici. Ce mode de vie correspond à un profil d’éducateurs dont je fais partie. Ma femme était présente à l’entretien d’embauche. Mais le fait d’avoir un logement indépendant me rassure. Préserver l’intimité et poser des limites est important. On ne peut pas s’entendre avec tout le monde. Le travail est porteur de conflits, donc la stabilité est essentielle pour ne pas craquer », prévient David Furcy. Un modèle atypique qui freine parfois les recrutements, déjà difficiles dans ce secteur. Si les diplômes sont importants, l’expérience et l’engagement priment. « Je recrute souvent des personnes ayant rencontré des problèmes avec l’institution. En entretien, l’adhésion est complexe car les gens sont plus individualistes qu’auparavant. Il est impensable qu’ils vivent à l’extérieur, ce n’est pas le projet », signale François Conan.

Parmi les professionnels, ceux qui réussissent à trouver une juste mesure à leur quotidien restent en moyenne cinq ans. Certains atteignent un ou deux ans, quand d’autres quittent le lieu de vie à l’issue de quelques mois. Ce sont sans contexte les plus investis qui portent le projet. Mais un nouveau virage les attend cet été : le directeur François Conan quittera les lieux et l’une des éducatrices spécialisées reprendra la direction. Pas question d’une embauche extérieure : « La venue d’une personne du milieu institutionnel aurait mené à la fermeture, tant la philosophie est différente », affirme celui qui est propriétaire du bâti.

Le fonctionnement du lieu nécessite environ 200 € par enfant et par jour. « Gestion matérielle, légale, organisationnelle, nous effectuons chaque jour l’inventaire de ce qu’il ne faut pas rater. Nous devons avancer ensemble et rester solidaires. Ce n’est pas un endroit anodin », observe Isabelle Bedu. Pour preuve : « J’apprécie d’avoir ma propre chambre. En foyer d’urgence ou en famille d’accueil, je me sentais seul. Les camarades, ce sont des frères pour moi. Certes, les éducateurs nous soutiennent pour les papiers, mais je ressens un sentiment d’injustice quand un jeune est puni de téléphone », témoigne Badra, 17 ans, arrivé en France il y a trois ans. Une relation presque familiale que le directeur évoque avec une certaine nostalgie : « Nous gardons contact avec les anciens, mais nous voudrions quand même qu’ils reviennent plus souvent. »

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