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Prison : « La réinsertion, une fiction nécessaire » (sociologue)

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Crédit photo DR
Spécialiste du monde carcéral depuis trente ans, Corinne Rostaing, maître de conférences en sociologie et anthropologie, analyse le processus de dégradation qui touche aussi bien les personnes détenues que toutes celles et ceux qui travaillent en prison ou en subissent le stigmate à l’extérieur.

Actualités sociales hebdomadaires : En quoi la prison est-elle une institution dégradante ?

Corinne Rostaing : Contrairement à des institutions telles que la justice que je qualifie d’« honorables », la prison est associée à des valeurs négatives : le crime, la peur, la sanction. Elle est dégradante, d’abord, par sa mission, réduite à un rôle de gardiennage des individus. Elle l’est ensuite vis-à-vis des détenus, doublement disqualifiés socialement et moralement par leurs actes, qu’on laisse vivre dans des conditions indignes. Enfin, en raison de la stigmatisation qui touche les personnes incarcérées pendant leur peine et après leur sortie. Mon hypothèse est de dire que le décalage persistant entre la prison et les exigences démocratiques tient à une dimension morale de l’institution carcérale. On accepte que la personne incarcérée perde sa dignité et on accepte aussi de faire travailler les personnels dans des conditions très dévalorisantes.

Selon vous, cette dégradation touche non seulement les détenus mais aussi toutes les personnes qui les côtoient…

La prison assume une action méprisable bien que légitime dans un espace démocratique : celle de garder des individus que la Justice a décidé de priver de libertés, en déléguant aux surveillants la mission de les maintenir enfermés contre leur gré. Ces derniers souffrent d’assumer les besognes relatives au gardiennage, l’intrusion dans les cellules, la surveillance par l’œilleton, les fouilles. Dans un contexte de surpopulation, leur fonction se résume à des tâches peu valorisantes, sans la contrepartie positive qui serait de participer à la réinsertion. Leur métier est peu connu et reconnu. Beaucoup n’osent pas dire où ils travaillent et enlèvent leur uniforme avant de quitter la détention. C’est la même chose pour les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) et pour les travailleurs sociaux, qui disposent de très peu de moyens pour assurer leur mission. Les proches sont également stigmatisés. Ceux qui côtoient le monde carcéral subissent une forme de « contamination ».

Vous insistez sur la dérive sécuritaire de l’institution. Peut-on parler en ce sens d’échec de la prison ?

Absolument. On le voit d’abord au taux de récidive : en France, près d’une personne sur deux est réincarcérée. A l’origine, la peine de prison visait à donner au détenu le temps de se transformer. Mais la réinsertion est aujourd’hui une fiction nécessaire que l’on brandit pour faire accepter le pendant sécuritaire. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : l’administration embauche près de 30 000 surveillants, contre 5 000 CPIP. Au Canada, on observe le phénomène inverse : le pays compte davantage de travailleurs sociaux que d’agents pénitentiaires, qui ne représentent que 42 % du total. Ici, on rend les prisons étanches et on applique des mesures de sécurité maximale à la majorité des détenus, pourtant condamnés pour 70 % d’entre eux pour des délits. Tous les détenus sont soumis à une suspicion d’évasion ou de dangerosité. Dans la réalité, il existe plus de tentatives de suicide que d’évasion, le taux de suicide étant six à sept fois plus élevé en prison qu’à l’extérieur.

Les transformations à l’œuvre depuis trente ans n’ont-elles rien changé ?

Les conditions d’incarcération se sont améliorées (télévision et douche en cellule dans les nouvelles prisons), l’organisation a ouvert ses portes à de nouveaux acteurs (Education nationale, santé). On a reconnu des droits aux détenus, créé des parloirs familiaux, mis en place des mécanismes indépendants de contrôle extérieur (contrôleur général des lieux de privation de liberté, défenseur des droits). Dans le même temps, l’institution carcérale reste de façon immuable un lieu d’indignité. La surpopulation dans les maisons d’arrêt oblige des personnes à vivre à deux, à trois, parfois à quatre dans 9 m2. La promiscuité entraîne des conflits sur la propreté de l’espace, l’hygiène corporelle, l’absence de vie privée. Puis il y a l’ennui, l’inactivité pendant 22 heures sur 24. L’occupation des détenus est une règle inscrite dans la loi « pénitentiaire », mais il n’existe pas assez d’activités, ni de formation, ni de travail.

Vous insistez sur l’infantilisation dont font l’objet les détenus…

L’amélioration du confort en prison représente un progrès, mais c’est l’impossibilité de participer à la vie ordinaire qui constitue la peine privative de liberté. Quelles que soient les avancées, un décalage permanent existe entre la routine carcérale et la « vraie » vie. En prison, le téléphone portable et l’accès à Internet sont interdits, les détenus vivent uniquement entre adultes du même sexe, dans un monde artificiel dénué de nature. Les personnes m’ont souvent dit que l’inconfort des prisons n’était pas le principal problème, mais davantage cette dégradation de l’image de soi, accentuée par la déresponsabilisation vécue au quotidien. La prison, c’est l’empêchement d’agir en permanence. C’est une sujétion au personnel pour chaque geste : ouvrir une porte, envoyer du courrier, passer un coup de téléphone. Les détenus sont dans une dépendance aux autres, et cette impossibilité d’agir s’avère très difficile à vivre pour un certain nombre d’entre eux.

En quoi la prison est-elle la « gestion des illégalismes populaires » ?

La prison est une institution pauvre qui gère une population pauvre. Les délits commis par les personnes issues de classes défavorisées, les infractions aux biens sont plus durement sanctionnés que les affaires commises par les classes favorisées. La détention provisoire est également plus fréquemment prononcée pour les personnes fournissant peu de garanties : absence d’un logement à son nom, d’un emploi stable, de liens familiaux. Ainsi, les inégalités sont cumulatives : la probabilité d’être incarcéré augmente fortement pour un homme jeune issu de milieu populaire et de nationalité étrangère. On n’arrête pas de créer de nouveaux délits mais la peine de référence reste la prison, au détriment de sanctions plus réparatrices. Les personnes souffrant d’addictions et de problèmes psychiatriques sont aussi surreprésentées. Finalement, la prison est la voiture-balai de l’exclusion. Elle préserve la société en enfermant des gens qui n’y ont peut-être pas leur place.

Peut-il en être autrement ?

Il existe des solutions, mais celles-ci supposent de replacer la mission de réinsertion au cœur de l’institution. C’est une autre façon de penser la peine. Une véritable politique volontariste doit être impulsée pour permettre aux personnes de se reconstruire et de recouvrer de la dignité. Si toute institution vise sa propre conservation, n’oublions pas que la prison n’a pas une totale autonomie. Elle dépend des décisions politiques, des lois, de la justice et des magistrats. La changer, c’est aussi ne pas l’exclure en la reléguant en périphérie des villes. La prison ne constitue pas un monde à part, elle fait partie de la société.

 

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