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Insertion : redynamiser les campagnes en formant des réfugiés

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Crédit photo Tim Douet
Dans un petit village de montagne situé entre Grenoble et Valence, l’association Tero Loko embauche des personnes réfugiées aux côtés d’habitants éloignés de l’emploi. L’objectif se révèle double : redynamiser un territoire rural tout en favorisant l’insertion de personnes en situation de précarité.

La lumière perce encore à travers les nuages quand la petite équipe de maraîchage se met en route à bord du minivan. Au loin, derrière les montagnes, l’orage commence à gronder. « Ces poireaux seront prêts entre septembre et octobre », explique Narcisse, concentré sur sa tâche. A ses côtés, Faith l’observe et reproduit le geste, prenant soin de respecter l’écart de 60 centimètres entre chaque plant. Tous deux sont en contrat à durée déterminée d’insertion (CDDI).

S’il joue aujourd’hui le rôle de mentor, Narcisse n’avait jamais travaillé dans les champs avant d’arriver à l’association Tero Loko en février 2020. « J’ai surtout exercé dans la vente en intérim et travaillé à l’usine. Pôle emploi m’a parlé de Tero Loko. J’ai pris ça comme une opportunité, c’était l’occasion de sortir de l’errance psychologique dans laquelle je me trouvais depuis deux ans. » Narcisse vit dans la petite commune de Vinay, à 4 kilomètres de Notre-Dame-de-l’Osier (Isère), siège de l’association. Comme tous les salariés en insertion, il peut bénéficier de quatre contrats de six mois au sein de l’association. Faith, elle, est arrivée la veille. Originaire du Nigeria, elle vit à Grenoble depuis deux ans et a été orientée vers Tero Loko par l’association Unis-Cité. « Aujourd’hui, elle apprend aux côtés des plus anciens. Mais, dans quelque temps, c’est elle qui pourra expliquer aux nouveaux », affirme Lucie Brunet, l’une des trois cofondatrices et codirectrices de la structure.

Cette logique de transmission et de solidarité est centrale à Tero Loko. Créée en 2019, l’association membre du réseau Emmaüs a démarré avec cinq salariés en insertion. Elle en compte actuellement 13. A leur arrivée, chacun signe un contrat de 26 heures dans le cadre d’un chantier en maraîchage et en production de pain. Les produits sont ensuite vendus sur le marché ou distribués chaque semaine aux adhérents de l’association. Le reste du temps est consacré à l’élaboration d’un projet professionnel et aux démarches nécessaires pour reprendre pied. Pour cela, les salariés sont encadrés par cinq permanents. « L’association veut répondre à un double enjeu : d’un côté, l’insertion de personnes réfugiées ou désocialisées éloignées de l’emploi ; de l’autre, la redynamisation économique, sociale et culturelle d’un territoire rural », poursuit Lucie Brunet, un brevet professionnel de responsable d’exploitation agricole en maraîchage bio en poche.

Dès le départ, le projet s’est construit avec les habitants du village, et particulièrement avec le maire du village. Mais aussi avec Cyril Meyer-Guengo, maraîcher bio installé depuis dix ans, devenu l’un des salariés permanents de l’organisation. « Ici, on est dans la monoculture du noyer. Il y avait donc un réel besoin de développer le maraîchage. On a ensuite créé un marché pour commercialiser nos récoltes, ce qui a permis de fédérer les artisans et les commerçants du coin », se réjouissent les fondateurs. Toutefois, le choix de s’installer dans un territoire rural pour accueillir des réfugiés n’était pas anodin. Rares sont les associations et structures d’insertion présentes dans les villages de montagne. Et pour cause : lorsqu’ils arrivent sur le territoire, les personnes migrantes sont généralement hébergées dans des grandes villes afin d’y réaliser toutes les démarches administratives nécessaires. Beaucoup y retrouvent également des proches ou de la famille. « Or nombre d’entre eux vivaient à la campagne avant d’arriver en France et ont envie de retrouver ce mode de vie. D’autant plus lorsqu’ils ont déjà obtenu le statut de réfugié. Et contrairement à ce qu’on peut penser, en étant dans un village, ils sont souvent moins isolés car on cherche vraiment à recréer une communauté de liens », soutient Lucie Brunet.

C’est le cas de Mahmoud. Le sourire aux lèvres, l’homme de 47 ans est devenu l’une des figures de Tero Loko. S’improvisant guide au milieu des serres, il liste fièrement les fruits et légumes qui poussent dans chacune d’entre elles : haricots rouges et verts, carottes, poivrons, basilic, tomates, aubergines ou pastèques. « Je suis à Tero Loko depuis un an et demi, et c’est ici que j’ai appris à parler français. En arrivant, je ne savais dire que “bonjour” ! » Parti d’Afghanistan il y a plusieurs années, il vit en France depuis bientôt quatre ans. « Je suis passé à Dubaï, en Iran, en Grèce. J’étais dans le business de tapis », souffle-t-il doucement. Il réside désormais dans un petit appartement de Tullins, le village d’à côté.

Aidant et aidé

D’autres, comme Faith, font le trajet depuis Grenoble tous les jours. La jeune femme a trouvé une chambre en foyer près de la gare et, chaque matin, elle met son réveil entre 5 h et 5 h 45 pour attraper le premier train. Une navette vient ensuite la récupérer à Vinay pour l’emmener jusqu’aux locaux de l’association. « Nous ne sommes pas en politique prioritaire de la ville donc moins de choses sont déployées. Mais, du coup, tout le village s’implique », observe joyeusement Sophie, stagiaire auprès de Cyril. Assise à la table du déjeuner que partagent tous les salariés de Tero Loko, Maryse, habitante de Vinay et retraitée, est devenue administratrice de l’association. Ancienne directrice de ressources humaines, elle donne un coup de main à la comptabilité. « Depuis longtemps, j’avais envie d’être utile. Mais il y a de la réciprocité, eux aussi nous apportent énormément. »

Car l’autre particularité de Tero Loko réside bien dans la mixité sociale. « La présence des réfugiés permet de sensibiliser à l’accueil des habitants qui n’ont jamais été confrontés à la question de l’immigration », explique Fanny Auber, codirectrice, chargée de l’accompagnement au logement et de l’insertion sociale et professionnelle. Une diversité qui fonctionne au sein même des bénéficiaires. « Nous voulons créer un cercle vertueux où chacun est à la fois aidant et aidé. Pour des personnes en perte de repères, c’est une source de motivation de se retrouver face à des réfugiés qui n’ont qu’une envie, travailler. Et, dans le même temps, les premiers deviennent les “sachants” face aux réfugiés, qui ont énormément de questions sur la France. Et ça marche ! », s’enthousiasme Fanny Auber.

Les cheveux gris coiffés en mulet, une robe à fleurs et le regard pétillant, Marilyn se présente à son tour : à 52 ans, elle est la « doyenne ». « Au départ, je pensais que c’était réservé aux migrants », se souvient celle qui raconte avoir eu une vie normale. Mariée, deux enfants, une activité à son compte de téléprospection, avant qu’une rupture ne fasse voler cette vie en éclats. « Je me suis retrouvée seule, j’ai vécu un gros clash dans ma tête, ça a été très dur. Je ne supportais plus le monde individualiste dans lequel je vivais. Quand j’ai trouvé Tero Loko, ça m’a redonné de l’espoir. J’ai le sentiment de recommencer une nouvelle vie. » Depuis décembre, la salariée en insertion a créé sa micro-entreprise.

A Tero Loko, la journée est rythmée par les impératifs de production et de livraison. Les cagettes chargées de fruits et légumes, Sophie et Lilas prennent la direction du fournil, à quelques kilomètres de là. Elles partent récupérer les miches de pain pour compléter les paniers, avant d’aller les livrer en ville. En arrivant le long d’un chemin de terre, une odeur de feu de bois se dégage de l’arrière-jardin. C’est chez un couple de particuliers qui mettent leur four gracieusement à disposition que les salariés produisent le pain. Tout en pétrissant dans un nuage de farine les 10 kilos de pâte crue du lendemain, Umbadi jette un œil aux larges brioches chocolatées enfournées quelques minutes plus tôt. Il travaille au fournil depuis le 10 janvier. « Ça me plaît, mais surtout l’hiver, quand on est au chaud derrière les fourneaux ! », sourit le salarié. Ce jour-là, il est seul en boulangerie, encadré par Adeline Rony. La coordinatrice a travaillé pendant cinq ans dans un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada). En 2018, elle décide de passer son CAP boulangerie, après plusieurs stages chez des paysans boulangers du territoire et des boulangers bio. Elle lie aujourd’hui ses deux expériences. « Pour la reconstruction personnelle, ça aide beaucoup d’être dans le “faire”. »

Sortir de l’urgence

Pour certains, travailler en boulangerie était un projet avant Tero Loko ; d’autres découvrent tout en arrivant. « Dans les deux cas, ça leur permet d’expérimenter et de voir s’ils trouvent ça trop dur ou si ça leur plaît », complète Adeline Rony. Derrière elle, de gros pots contenant des graines de lin, de sésame, de chanvre ou de tournesol jouxtent des sachets de farine de blé bio. Ici, les salariés travaillent de 9 h à 17 h, excepté un jour, de 7 h à 17 h. « Ceux qui se destinent à autre chose apprennent aussi à lire et à compter en français. Ce sont des compétences transférables à d’autres métiers », ajoute la salariée. Deux ans après le lancement de Tero Loko, les premiers salariés sont tous partis. Certains ont poursuivi dans la même voie, comme Alex, parti travailler dans une biocoop, ou Abdu, embauché en contrat à durée indéterminée comme vendeur de fruits et légumes dans un magasin bio. D’autres, encore, poursuivent leur projet professionnel initial. Le passage par Tero loko leur aura permis de retrouver confiance en eux et la motivation de se lever à nouveau le matin. C’est le cas de Narcisse, qui souhaite se reconvertir dans la maintenance et le conditionnement des appareils en économie circulaire.

« Notre mission principale est de lever tous les freins à l’insertion, continue Adeline. L’accompagnement global qu’on propose ici aux réfugiés, personne ne le pratique. Certains chantiers d’insertion refusent les personnes qui ne parlent pas un mot de français, ce n’est pas notre cas. On ne dissocie pas le travail, la langue, le logement. » L’accompagnement global, c’est le leitmotiv de Tero Loko, dont l’objectif est de permettre aux personnes accueillies de sortir de l’urgence sociale pour pouvoir entrer dans une dynamique de reconstruction et de projection. Outre l’accès à un emploi et à un salaire, l’association propose quatre heures de cours par semaine ainsi que des ateliers. En ce moment, des bénévoles proposent par exemple des sessions de cuisine pour apprendre à travailler les produits des paniers solidaires. Enfin, les permanents accompagnent les salariés en insertion dans la recherche d’un logement stable. C’est le rôle de Fanny Auber. « Nous essayons d’offrir plusieurs possibilités : l’accueil chez un habitant du village, la recherche d’un appartement privé ou social, ou encore la mise en place d’un agrément d’intermédiation locative pour les personnes qui ne sont pas tout à fait autonomes. »

Deux ans après son lancement, Tero Loko ne cesse d’avancer. Afin de réduire les contraintes de mobilité liées à l’emplacement, l’association travaille au projet de construction de logements sur place. Plusieurs acteurs sont impliqués, dont la mairie de Notre-Dame-de-l’Osier et le bailleur social Pluralis. L’idée étant de proposer des appartements en logement social mêlés à des logements inclusifs pour personnes âgées, lesquelles seraient accompagnées par le personnel de l’Ehpad situé sur la commune. Les fondatrices espèrent également réunir en un seul et même endroit toutes les activités (cours, serres, maraîchage et fournil). Pour l’heure, de grands barnums ont été dressés et les étals installés sous la grange pour se protéger de l’orage. Le marché festif organisé une fois l’an se tient le soir même. Les salariés se répartissent les rôles. Adef se place au stand de pain avec Lucie ; Mahmoud, derrière les légumes, avec Marilyn et Sophie. A leurs côtés, habitants et bénévoles ont eux aussi monté des stands de poterie ou de tissus recyclés. Ensemble, ce soir-là, tout le village incarne la doctrine de Tero Loko : un lieu de rencontres, d’ancrage et de cultures.

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