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« Territoires zéro chômeur » : une expérimentation en devenir

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Territoires zéro chomeur

Photo d'illustration

Crédit photo DR
Depuis 2016, le dispositif « Territoires zéro chômeur de longue durée » fait ses preuves dans l’accompagnement des demandeurs d’emploi. Fort de ce succès, son expérimentation va être reconduite et étendue. Une urgence pour ses fondateurs, dans un contexte de crise économique et sociale.

Personne n’est inemployable… La devise du dispositif « Territoires zéro chômeur de longue durée » (TZCLD) est la même que celle des entreprises de l’insertion par l’activité économique (IAE). Pourtant, Bernard Arru, directeur désormais retraité de l’association nationale éponyme, tient à le préciser : « Ce n’est pas un petit projet d’insertion. Notre enjeu de créer de l’emploi pour tous sur tout le territoire est très ambitieux. » Pourrait-il représenter une alternative pour lutter contre la crise économique et sociale qui s’annonce ? L’avenir le dira mais, portée par plusieurs associations (ATD quart monde, Emmaüs, le Secours catholique, la Fédération des acteurs de la solidarité) et actée par une loi en 2016, cette expérimentation poursuit son chemin dans dix territoires. Le principe : embaucher en contrat à durée indéterminée des personnes au chômage depuis plus d’un an dans une entreprise à but d’emploi (EBE), où elles sont payées au Smic. Elles doivent être volontaires et habiter dans la commune depuis au moins six mois. Le financement des emplois – qui doivent répondre à des besoins locaux non satisfaits et être sans risque de concurrence avec des emplois existants – est assuré par l’Etat, les conseils départementaux et régionaux, les communautés de communes, les organismes publics et privés ainsi que par le chiffre d’affaires des EBE. Cinq ans plus tard, sur 1 849 personnes s’étant déclarées intéressées par le projet, 1 112 ont un travail. Agées en moyenne de 44 ans, elles étaient le plus souvent sans emploi depuis quatre ans et demi.

En Meurthe-et-Moselle, 38 communes regroupant 11 000 habitants se sont lancées dans l’expérience. Démarré en janvier 2017 avec neuf premiers salariés, l’EBE embauche aujourd’hui 72 personnes. « Au total, près de 100 personnes ont été recrutées, dont une vingtaine ont rejoint les entreprises classiques », précise Aurélie Mathelin, cheffe de projet à Colombey-les-Belles (Meurthe-et-Moselle). Les activités sont diverses : maraîchage, travaux forestiers, recyclerie, services… Une deuxième EBE a même été créée en 2018 avec des éleveurs ovins pour valoriser la laine et, prochainement, une conciergerie rurale devrait ouvrir avec d’autres salariés. A chaque fois, l’idée est de partir des suggestions et des compétences de la personne. Pas toujours évident, selon la cheffe de projet : « Ici, le salarié est proposant. Il n’est pas demandeur d’emploi, il offre une activité. On essaie de renverser la logique, ce n’est pas simple. Les personnes privées d’emploi demandent toujours : “Dites-moi ce que vous voulez que je fasse.” On leur répond : “Dites-nous plutôt ce que vous voulez faire, ce qui vous motive, ce qui manque comme activité dans la commune qui pourrait être utile et qui vous plairait.” »

Maillons invisibles

Et ces besoins ne manquent pas. Les équipes de TZCLD l’ont prouvé pendant la pandémie car, si certaines activités ont été freinées pendant le confinement et que des craintes se sont fait sentir, des services de proximité se sont développés auprès des populations les plus isolées et démunies : épiceries ambulantes, livraison de courses, fabrication de masques, collectes de nourriture pour les associations caritatives… Autant « de maillons et de petits boulots d’invisibles », note Aurélie Mathelin qui, en misant sur le territoire, permettent de vite s’adapter. « La gouvernance locale du projet a permis aux acteurs locaux des coopérations décisives pour réagir rapidement et apporter des réponses urgentes », ont rappelé les organisations fondatrices dans une lettre du 30 avril dernier adressée à Emmanuel Macron, l’appelant au vote rapide d’une seconde loi prolongeant et étendant l’expérimentation. « La loi est annoncée pour la fin 2020, nous sommes prêts à ouvrir l’expérimentation à 116 nouveaux territoires. Sur les dix premiers, trois sont arrivés à l’exhaustivité et n’ont plus de chômeurs sur liste d’attente. Dans le contexte actuel de crise, il est urgent de poursuivre, d’autant qu’on a l’avantage de relier le social, l’écologique et l’économique », affirme Laurent Grandguillaume, président de l’association TZCLD. En attendant, l’initiative essaime en Belgique, où une expérimentation est en préparation à Bruxelles.

Dans cette approche innovante, la place laissée au temps est fondamentale. « Ce qui est bien dans cette expérimentation, c’est que l’on n’est pas dans un rythme imposé par un CDDI (contrat à durée déterminée d’insertion), explique Aurélie Mathelin. J’ai beaucoup travaillé dans le secteur de l’insertion par l’activité économique où une personne accompagnée a six mois pour atteindre tel objectif, un an pour tel autre… Au bout de 24 mois, elle doit sortir du dispositif. Là, il n’y a pas ce couperet, on peut travailler au rythme de la personne, on fait avec elle. Certaines se relèvent très vite, d’autres ont besoin de temps. » Un atout précieux qui permet à chacun de se remettre doucement sur les rails, d’oser prendre la parole, de reprendre confiance, de retrouver du lien social… « Tout le monde a envie d’avoir sa place dans la société, en particulier à travers un travail. Même les personnes les plus cabossées par la vie aspirent à être utiles », souligne Bernard Arru. Et d’ajouter : « Il n’y a pas de pression sur les salariés pour les inciter à retourner sur le marché du travail conventionnel. Certains le peuvent, d’autres pas, alors pourquoi les culpabiliser ? » Mieux : en cas de départ de l’EBE pour un autre travail, le salarié peut y revenir pendant six mois.

Une nouvelle comptabilité

Reste que cette expérimentation a un coût. Il a fallu que ses responsables produisent plusieurs rapports pour prouver sa rentabilité, certes encore fragile. Or la création d’un emploi avoisine annuellement 20 000 € par personne. Soit, à peu près, l’équivalent de la prise en charge par les finances publiques d’un chômeur de longue durée, estimée à 18 000 € en comptant l’allocation, l’accompagnement, les dépenses de santé à long terme et le manque à gagner pour l’économie en matière de recettes (TVA, impôts), puisqu’une personne privée d’emploi consomme moins que les autres. « Tout n’est pas financier, heureusement, déclare Laurent Grandguillaume. “Territoires zéro chômeur” est un tout, dans lequel il faut englober les activités nouvelles qui n’existaient pas dans les territoires et l’impact qualitatif sur les personnes privées d’emploi qui ont retrouvé de la fierté. » Autrement dit par Aurélie Mathelin : « En plus d’inventer de nouveaux métiers, on invente une nouvelle comptabilité. »

Dans son documentaire Nouvelle cordée(1) réalisé en 2019, Marie-Monique Robin a montré comment ce qui était au départ une utopie est devenu réalité à Mauléon (Deux-Sèvres), commune de 8 500 habitants où environ 80 salariés ont retrouvé un emploi. Dans une économie à la peine après le Covid-19, l’aventure pourrait-elle servir de modèle ? « Je le pense profondément. “Territoires zéro chômeur” reprend tous les fondamentaux de l’insertion et fait la preuve que le travail ne manque pas à partir du moment où tout le monde se mobilise », commente Bernard Arru. Toutefois, quelques perfectionnements sont à l’ordre du jour de la deuxième loi. Sa mise en œuvre, par exemple, pourrait s’étaler sur trois ans afin que tous les territoires ne démarrent pas en même temps comme c’est le cas dans la loi de 2016. « Les territoires ne font pas la compétition. Il est fondamental de respecter un temps de maturation du projet afin de commencer quand il est prêt. Il faut faire entreprise dès le départ et ne pas bricoler », confirme Bernard Arru. L’amélioration du management dans les comités locaux, qui rassemblent les différents partenaires locaux et identifient les personnes privées d’emploi, est également priorisée. Mais un point de la future loi fait grincer des dents : à la différence d’aujourd’hui, ce serait Pôle emploi qui validerait les personnes à embaucher dans les EBE. « Il nous semble que cela complexifierait l’expérimentation », s’inquiète Laurent Grandguillaume. Signe des temps : de plus en plus de professionnels très compétents cherchent à intégrer le dispositif. Selon Bernard Arru, « ils préfèrent gagner moins que dans une grande entreprise mais donner du sens à leur travail ».

Notes

(1) Voir ASH n° 3134 du 15-11-19, p. 41.

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