Plus de 120 000 travailleurs sociaux se consacrent à l’accompagnement des personnes en situation de handicap. Mais le nombre des salariés de ce secteur eux-mêmes atteints d’une incapacité reste mal connu. En 2017, la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) estimait à 4,5 % la part des travailleurs en situation de handicap dans les administrations publiques, l’enseignement, la santé humaine et l’action sociale, sans distinguer chaque secteur.
« Concernant les données, on revient de loin », confirme Marie Naas, responsable innovation et développement de services d’Objectif emploi des travailleurs handicapés (OETH), l’association chargée de la politique handicap du sanitaire, du social et du médico-social. Sur le périmètre de l’accord OETH (1), dont relèvent Nexem, la Fehap et la Croix-Rouge française, « on compte 20 000 personnes avec le statut de travailleur handicapé, sur un total de 600 000 salariés. » L’objectif de l’accord est d’inscrire durablement le taux d’emploi de ces travailleurs au-delà de 6 %. Il s’élève à 6,38 % pour l’année 2020. Cet accord est un outil qui a fait ses preuves pour améliorer le taux d’emploi des travailleurs en situation de handicap, estime Guillaume Boucheron, responsable protection sociale et santé au travail chez Nexem : « Il s’adapte aussi bien aux besoins des structures et des personnes qu’aux évolutions du cadre juridique. »
Préparation aux concours d’entrée
Les obstacles à l’emploi des travailleurs en situation de handicap dans le secteur social restent toutefois nombreux. En premier lieu, ceux de la formation et du diplôme, essentiels dans les métiers du social. Pour pallier ce problème, l’OETH a mis en place avec l’Unaforis le dispositif Oasis handicap (2). « Le but est d’accompagner les personnes en amont des formations diplômantes, en consolidant leur projet professionnel, en les préparant aux concours d’entrée », explique Marie Naas.
Beaucoup de personnes inscrites dans ce dispositif sont d’anciens professionnels qui, à la suite d’accidents du travail, se sont retrouvés inaptes. C’est le cas de Julienne Corréa, 49 ans. Aide-soignante, elle s’est gravement blessée au poignet droit. Elle est aujourd’hui en dernière année de formation d’éducatrice spécialisée. L’ancienne soignante suit ses études en alternance, en travaillant avec des jeunes garçons de 13 à 16 ans au sein d’un centre éducatif fermé pour mineurs.
Son handicap, elle l’a évoqué dans sa lettre de candidature. « Nous avions une politique de recrutement en apprentissage et le profil de Julienne, son parcours et ses valeurs nous intéressaient », raconte Nabil El Gazi, son tuteur d’alternance. La jeune éducatrice le reconnaît : elle a de l’appréhension concernant son poignet, notamment si des épisodes de contacts physiques se présentent. « C’est un risque pour tous les professionnels dans ce métier. Moi, je n’ai pas plus de craintes pour elle », tranche son tuteur.
Mettre en avant l’expérience
Quelles solutions pour améliorer l’emploi des travailleurs en situation de handicap ? Tous les acteurs interrogés apportent d’emblée la même réponse : « montrer que c’est possible ». Parmis les actions de visibilité, l’opération Duoday vise à intégrer, le temps d’une journée, une personne en situation de handicap en duo avec un professionnel. « Si la sensibilisation des employeurs à ce sujet est importante, rien ne vaut l’expérience », souligne Marie Naas.
Une expérience qui, en plus d’encourager les employeurs, peut stimuler les candidats au travail social. Lucas (3), 25 ans et atteint d’un handicap réduisant sa mobilité, avait fait une croix sur son envie d’être éducateur avant de rencontrer un professionnel malvoyant. Depuis, il est devenu assistant social. « Derrière un bureau, on ne voit pas que je peine à marcher. C’est avec ma bouche et mes mains que j’aide et accompagne les autres. »
Lutter contre les idées reçues
Malgré tout, dans le secteur, les travailleurs en situation de handicap affrontent beaucoup d’idées reçues. « On a à l’esprit que c’est le public qui est en situation de handicap, pas les salariés », explique Marie Naas. Pour pallier ces obstacles, certains adhérents de la Fehap ont mis en place des mesures spécifiques pour recruter et accompagner les salariés en situation de handicap : aménagement de poste, mise en place de référent handicap... « Ces mesures ont été largement facilitées par l’accompagnement de l’association OETH, à travers le conseil et le versement d’ aides financières », précise la fédération.
Face à la pénurie de personnel et aux difficultés de recrutement, « Les employeurs ont tout intérêt à s’ouvrir à la diversité des travailleurs, estime Marie Naas. Les personnes en situation de handicap peuvent apporter beaucoup avec leur vécu. » Mais Guillaume Boucheron nuance : « Si le déficit d’attractivité du secteur peut nous pousser à réfléchir pour améliorer l’intégration de ces salariés, notre politique volontariste est bien plus ancienne. Après tout, cela fait trente ans que nous signons l’accord OETH ! »
(1) L’accord OETH est le premier accord relatif à l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés du secteur sanitaire, social et médico-social privé non lucratif. Il couvre aujourd hui plus de 17 500 établissements et services et 600 000 salariés.
(2) Ce dispositif « Orientation accompagnement secteur de l’intervention sociale » a été mis en place en 2015.
(3) Le prénom a été changé.