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Demandeurs d’asile LGBT+ : « Mon travail est fortement lié à celui des travailleurs sociaux » (Sophie Kerihuel)

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Sophie Kerihuel défend les demandeurs d’asile LGBT+ devant la Cour nationale du droit d’asile après que l’Ofpra leur a refusé le statut de réfugié.

Crédit photo Sophie Kerihuel
Avocate au barreau de Paris, Sophie Kerihuel défend les demandeurs d’asile LGBT+ devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) après que l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) leur a refusé le statut de réfugié.

Quelles sont les difficultés propres aux demandeurs d’asile LGBT+ ?

Ils doivent affronter les stéréotypes. Il peut s’agir du caractère non efféminé d’un homme ou le fait qu’il soit marié car les juges ne comprennent pas toujours que les garçons homosexuels puissent avoir des enfants. La vigilance se porte aussi sur le vocabulaire qu’utilise le demandeur d’asile. Certains prononcent le mot « PD » , employé dans leur pays, il est donc important de leur expliquer que ce sont des mots inadaptés en France. L’attitude de la personne peut aussi poser problème, une absence d’émotion, par exemple, peut être mal perçue. Plus la personne est accompagnée en amont par des travailleurs sociaux, des avocats, des interprètes ou des médecins, mieux c’est. Il peut s’agir d’une procédure normale où le demandeur comparait devant trois juges ou d’une procédure accélérée -lorsque la demande est tardive ou qu’elle provient d’un pays sûr- qui s’effectue face à un juge unique. Or, certains pays sont considérés comme sûrs alors qu’ils ne le sont pas pour les LGBT+. Le Sénégal qui pénalise l’homosexualité en est un exemple flagrant.

Que conseillez-vous pour appréhender au mieux l’audience devant la CNDA ?

Par principe, les audiences sont publiques. En général, je conseille aux requérants de demander un huis clos. Il est effectivement compliqué de parler de son orientation sexuelle en public, surtout avec des compatriotes derrière soi, comme c’est souvent le cas. Je leur recommande d’assister à d’autres audiences avant afin de mieux appréhender la leur. Les questions posées par les juges de la CNDA sont beaucoup moins précises que celles de l’Ofpra. Du coup, les gens qui n’ont pas forcément de bagages éducatifs ont davantage de mal à s’exprimer. Or, il arrive que les interprètes ne traduisent pas tout car le demandeur va parler longtemps et se répéter. Sur le terrain de l’homosexualité, il est difficile d’aller droit au but. Je demande donc au requérant de dire 3 ou 4 phrases et d’attendre que la traduction soit faite avant de reprendre. De la même manière, quand on choisit une langue auprès de l’Ofpra, elle ne peut être changée par la suite. Il faut rester vigilant car de nombreuses personnes affirment s’exprimer correctement en français mais lorsqu’il s’agit de parler de choses intimes, il y a parfois un blocage. L’idéal est de faire appel à un « interprète de confort », même s’il traduit juste un mot ou une question durant l’audience.

Certaines questions sont-elles sensibles, que dire ou pas ?

Bien qu’ils ne soient pas d’ordre sexuel, les sujets sont très intimes et complexes. Il faut préparer la personne à cela. Par exemple, la conscientisation de l’orientation sexuelle peut être demandée et il faut jouer le jeu. En tant qu’avocat, on peut s’offusquer de ce type de question lors de la plaidoirie mais si la personne répond maladroitement, elle n’aura que ses yeux pour pleurer. Certains n’ont jamais parlé de leur sexualité avant, ils doivent s’entraîner. Les travailleurs sociaux doivent vraiment se focaliser sur le récit et bien reconstruire l’histoire dont la crédibilité est fondamentale. Le but est d’éviter les incohérences entre ce qui a été écrit, le discours et les données disponibles dans les pays d’origine. Il est essentiel que les propos corroborent ce qui a été dit lors de la première demande d’asile déposée à l’Ofpra. Si les demandeurs d’asile ne sont pas bien accompagnés, il n’est pas rare que l’issue du recours soit défavorable. Un dossier de recours de 15 pages sans cohérence à l’oral ne passe pas.

Comment travaillez-vous avec les travailleurs sociaux ?

Mon travail est fortement lié au leur. Quand le bureau d’aide juridictionnelle m’appelle et me désigne comme avocate, je prends contact avec mon client. J’organise ensuite un rendez-vous avec un intervenant social ou un bénévole d’une association afin de clarifier le dossier puis je rédige le recours. Je leur conseille de se rapprocher des associations qui luttent contre les discriminations faites aux personnes LGBT+ car certains juges s’étonnent si la personne n’est pas suivie, particulièrement à Paris. Ils s’interrogent aussi sur l’absence d’attestation validant l’homosexualité que les associations fournissent essentiellement pour la procédure Ofpra. Cela aussi, il faut être en mesure de l’expliquer.

Quels sont les documents essentiels à fournir ?

Il y a des documents qu’il convient de réunir rapidement car ils sont longs à obtenir. C’est le cas des certificats médicaux. Consulter un médecin légiste ou généraliste pour faire constater des mauvais traitements est efficace. De la même manière, les certificats médicaux pour les troubles psychiques sont importants pour le dossier. Cela crédibilise les propos de craintes et de persécution. En revanche, je suis assez frileuse sur la transmission des documents judiciaires obtenus dans le pays d’origine, tels que les avis de recherche ou les mandats d’arrêt. Il n’est pas toujours adéquat de les transmettre car leur authenticité peut être mise en cause en raison du changement de police de caractère ou des nombreuses fautes d’orthographe. Il ne faut pas créer de doute dans l’esprit du juge. Les documents testimoniaux sont aussi cruciaux, qu’ils proviennent d’associations ou de proches. En matière de preuve, les données de la CNDA ne sont pas toujours à jour sur les mauvais traitements. Il faut chercher des articles de presse locaux qui indiquent un lynchage récent sur une personne LGBT+ et l’associer au dossier.

Comment établir la preuve sur la base d’un propos ?

Il s’agit absolument d’apporter la preuve d’appartenance à un groupe social homosexuel qui encourt, de ce fait, des persécutions. Les craintes sont différentes entre un pays qui criminalise et un pays qui ne criminalise pas. Par exemple, dans un Etat où ce n’est pas interdit comme en République démocratique du Congo, l’homosexualité est perçue de façon très hostile par la société. Même quand ce n’est pas pénalisé légalement, il y a souvent une connotation de faute morale ou de maladie. Je demande à mes clients de mettre des mots sur ce qu’ils redoutent. Ils me répondent souvent qu’ils ont peur de la mort. C’est improductif comme réponse. Il faut parler de discriminations subies dans le cadre scolaire ou professionnel, des angoisses de maraboutage ou de sorcellerie. Dès lors que ces méthodes visent à changer l’orientation sexuelle, c’est un traitement dégradant et discriminatoire. Quand on brule ou que l’on fait ingurgiter des potions qui rendent malade, il s’agit de mauvais traitements. Le déshonneur de la famille, lui, est central. Mais il ne doit pas s’agir uniquement de désapprobation. Tout doit être illustré au travers de menaces verbales, meurtres, violences ou mariages forcés. Le juge déteste les généralités. Ces persécutions sont reconnues par la Convention de Genève et elles sont donc retenues par la CNDA.

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