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Petit résumé de 27 siècles de violences maritales

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Emmanuelle Burgaud, professeure en histoire du droit, avec Eric Macé, professeur de sociologie, et Emilie Boutin, chargée de mission égalité femmes hommes à Citoyens & Justice, lors du colloque « Violences de genre, violences intrafamiliales », le 18 octobre 2023 à Paris. 

Crédit photo Stéphanie TROUVE TEMA-AGENCE
Depuis l'invention du droit romain, le statut des épouses et leur protection face aux violences conjugales ne sont pas un long fleuve tranquille. Si on prend du recul… on compte les reculs qui suivent les avancées, comme le démontre la prof d'histoire du droit Emmanuelle Burgaud lors du colloque de Citoyens & Justice sur les violences intrafamililales, organisé à Paris. 

« Je suis venue vous parler de l'évolution de l'encadrement juridique des violences maritales, du VIIIe siècle avant notre ère jusqu’à la fin du XIXe siècle, soit 27 siècles. A propos de violences faites aux femmes, je dois vous dire que j’ai subi des violences aujourd’hui puisque je me suis levée à 3 h du matin pour venir vous voir et que suis atteinte de pneumonie. » Le ton est donné. Emmanuelle Burgaud, maître de conférences HDR en histoire du droit et des institutions à l’université de Bordeaux, va faire ce 18 octobre un exposé magistral… et drôle sur un sujet qui ne s’y prête pas vraiment.

>>> A lire aussi : Violences intrafamiliales, un colloque pour comprendre et agir

Nous sommes à Paris, à l’ouverture du colloque « Violences de genre, violences intrafamiliales : une recherche systémique au service des pratiques » dont les ASH sont partenaires. Organisé par la fédération Citoyens & Justice et le Centre Emile-Durkheim de l’université de Bordeaux, ce colloque débute par une mise en perspective historique passionnante.


A l’origine de la femme objet

On se doute bien que les violences conjugales ne datent pas d’hier, mais on ignore le plus souvent l’encadrement juridique qui les a longuement légalisées. Dans le monde occidental, Emmanuelle Burgaud remonte donc à la création du droit romain dont nous sommes les héritiers.

Ça commence très fort dès la fondation de Rome avec l’enlèvement des Sabines. « Romulus a des guerriers mais pas de femmes. Personne ne veut lui en donner. Donc il va les enlever. La femme est alors un objet d’acquisition qu’on vole ou qu’on achète, raconte Emmanuelle Burgaud. Le statut juridique de la femme c’est alors celui d’un objet de conquête, d’un butin nécessaire à reproduction de la Cité. »

Une fois mariée, l’épouse peut se référer à une formule qui persistera pendant des siècles :

  • le mari doit protection ;
  • la femme doit respect et obéissance.

Un deal pas tout à fait équitable cependant car, si l’épouse lui manque de respect ou lui désobéit « Le mari a alors un droit légal de coercition sur son épouse », détaille Emmanuelle Burgaud. Mais attention, ce droit est encadré par la « loi de Romulus » qui stipule que le mari ne peut appliquer la peine de mort que dans deux cas : s’il y a adultère et si la femme boit du vin (ce qui était supposé provoquer des avortements).

Le tout était encadré par un tribunal domestique où le mari siégeait ou présidait !

Bref, on partait de loin.


« Retourne chez ta mère »

Rome ne s’est pas faite en un jour et le droit romain non plus. La conception du mariage s’affine au fil des siècles. L'empire romain a connu son siècle des lumières avec les Antonins et, au IIe siècle, le droit évolue : « La tutelle perpétuelle des femmes tombe en désuétude et le mariage est un contrat qui nécessite un consentement durable. » Le pouvoir impérial devient protecteur de l’épouse : le mari perd son droit de juridiction domestique (même pour les fautes légères) et ne sera donc plus juge et partie. En cas d’adultère, il ne pourra plus faire justice lui-même.

Mieux, la femme peut répudier son mari sans procédure (et réciproquement) ce qu’ Emmanuelle Burgaud résume ainsi : « Il suffit qu’elle dépose un mot sur la table de la cuisine en lui disant : “Ta tête ne me revient plus, retourne chez ta mère.” Moi, je trouve ces Romains absolument géniaux ! »

Hélas, cette parenthèse enchantée va progressivement s’étioler : la faute au christianisme dont l’avènement va coïncider avec un recul de la protection des femmes face aux violences maritales. A partir du code Justinien au VIe siècle, la femme est soumise à un devoir :

  • de cohabitation ;
  • d’obéissance ;
  • de fidélité.

En conséquence, le mari récupère quelques prérogatives : il peut corriger son épouse indocile et l’enfermer dans un cloître si elle est infidèle. Il est redevenu justicier.


Droit de corriger, devoir de châtier

Justinien est empereur d’Orient. Pendant ce temps, en Occident, ça ne s’arrange pas avec l’arrivée des Barbares. Les Burgondes, par exemple, avaient pour coutume de noyer les femmes fugueuses dans de la boue et, dans les premiers temps mérovingiens, les ethnies pouvaient conserver leurs traditions. A contrario, les Gallo-Romains pouvaient donc toujours se prévaloir du droit romain et la femme pouvait répudier son mari en cas de violence.

L’époque carolingienne se réfère plus strictement aux textes religieux qui stipulent : « Comme l'Eglise est soumise au Christ, que les femmes soient soumises en tout à leurs maris » (Ep 5:22-24). L’époque féodale consacre le retour de l’autoritarisme de l’homme et l’inégalité est consacrée au sein du couple. La femme, considérée comme un être faible, doit obéissance à son mari et le mari a un pouvoir de correction sur son épouse.
Ce droit est plus ou moins encadré à partir du XIVe siècle suivant les régions. Dans les pays de droit écrit, le droit de correction est toléré sauf si « l’injure fut si atroce qu’il y eut mort, mutilation ou fraction de membres, ou que ladite injure eut été faite avec armes émolues » (Bergerac – LXXXII).
Dans les pays de droit coutumier, les ordres du mari ne supportent pas la contradiction et celui-ci a des droits et des devoirs : « Il doit pratiquer un droit de correction raisonnable et il a également le devoir de châtier son épouse désobéissante. » 


Ah ! Ça ira ! Mais pas longtemps…

Le pouvoir marital de « correction » est écorné à partir de l’ordonnance de Blois en 1579.

Si le mari conserve le droit de châtier son épouse, celle-ci peut porter l’affaire devant les tribunaux. Mais les femmes battues doivent apporter la preuve que les violences étaient injustifiées. Bref, une mesure qui ne profite qu’à la haute société.

Il faut attendre la révolution pour un premier changement majeur… et provisoire. Si les révolutionnaires ne s’attaquent pas au droit pénal (les attentats à la pudeur ou les viols sont absents du premier code pénal de 1791), la loi du 20 septembre 1792 légalise le divorce. Les causes peuvent être variées : crimes, sévices, mauvais traitements… mais aussi incompatibilité d’humeur et de caractère !

Napoléon remet de l’ordre dans toute cette révolution et le code civil de 1804 consacre la subordination de l’épouse au sein du couple (C. civ., art. 1388). Et l’article 213 spécifie : « L’épouse doit obéissance à son mari et le mari protection à son épouse. » Tiens, on a déjà entendu ça quelque part, il y a quelques siècles.

Le retour à la monarchie n’arrange rien. Outre la suppression du divorce :

  • le mari  peut continuer à châtier son épouse ;
  • le droit permet aux juges de ramener l’épouse au domicile conjugal « manu militari » ;
  • le code pénal en rajoute plusieurs couches, puisque son article 324, al. 2 stipule qu’en cas d’adultère, le mari est excusé du meurtre de sa femme et son amant (mais juste en flagrant délit quand même) ;
  • si la femme adultère échappe au cocu meurtrier, elle doit passer par la case prison (code pénal, art. 337) ;
  • mais si le mari entretient sa maîtresse au domicile conjugal, il ne sera condamné qu’à une peine d’amende.

On revient de loin. Il faut attendre la loi « Naquet » du 27 juillet 1884 pour réhabiliter le divorce. Puis les avancées sont progressives…

  • 1938 : la femme ne doit plus obéissance à son époux. Elle n’est plus assimilée au fou et au mineur.
  • 1970 : reconnaissance de l’égalité des deux époux dans la direction morale et matérielle de la famille.
  • 1980 : condamnation du viol entre époux par le législateur.
  • 1990 : le crime de viol entre époux est reconnu par la Cour de cassation (5 septembre 1990).


Vers une protection de l’humain

La morale de l’histoire ? C’est que rien n’est acquis. De l’avancée des Antonins aux carcans médiévaux, de la parenthèse révolutionnaire aux rétropédalages napoléoniens et monarchistes, l’évolution de l'encadrement juridique des violences maritales est un mouvement de balancier.

>>> A lire aussi : Violences de genre : dans la tête des auteurs

Lors du colloque, à la question d’une personne dans la salle qui demandait comment faire pour éviter à nouveau de retourner en arrière, Emmanuelle Burgaud a cette réponse plutôt constructive, iconoclaste et finalement assez provoc : « Je suis juriste. Il faut cadrer les droits de la personne : qu’elle soit femme ou qu’elle soit homme. Il y a des femmes qui sont battues. Il y a des hommes qui sont battus et qui le taisent. La personne ne doit pas être prise en tant qu’objet. Notre législation devrait se tourner vers ça au lieu de donner un rôle de faible à la femme. On a besoin bien sûr de la protéger juridiquement parlant. Et l’homme alors, il n’a pas besoin d’être protégé ? Ce n’est ni l’homme, ni la femme, c’est la personne qui doit être protégée J’irai plutôt dans ce sens, dans une protection de l’humain, plus qu’une protection de la femme. »

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