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« Le camping résidentiel éclaire la crise du logement »

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Le sociologue Gaspard Lion estime que la précarité de ces habitats se situe moins du côté des conditions matérielles que de celui de l’insécurité des statuts d’occupation.

Crédit photo DR
[ESPRIT OUVERT] Pour son livre Vivre au camping, le sociologue Gaspard Lion a vécu trois ans dans une caravane. Une enquête inédite et passionnante, la première du genre, sur le « camping résidentiel ». Ce phénomène en augmentation touche d’abord les classes populaires, qui ont de plus en plus de mal à accéder à un logement, que ce soit comme locataire ou comme propriétaire.

Qu’est-ce qui vous a poussé à vous intéresser au « camping résidentiel » ?

Ce phénomène est emblématique de la crise du logement, qui touche des catégories toujours plus larges de la population, avec des conséquences de plus en plus sévères et violentes. Environ 15 millions de personnes rencontrent des difficultés en matière de logement, 4 millions d’entre elles sont non ou mal logées, le nombre de sans-domicile a plus que doublé en dix ans… Le parc immobilier traditionnel devient moins accessible aux plus modestes, des statuts d’occupation à faibles droits pour les personnes réapparaissent avec force : hébergement chez des tiers, en meublé, en sous-location, etc. Dans ce contexte, le camping résidentiel s’est très nettement développé à partir des années 2000. Il constitue une porte d’entrée pour comprendre et éclairer le problème du logement, notamment parce qu’il accueille une grande diversité de profils issus des classes populaires. Cette forme d’habitat précaire touche des territoires périurbains et ruraux, très largement laissés dans l’ombre. Or les difficultés en matière de logement ne se concentrent pas exclusivement dans les grandes villes. Si les prix des logements sont moins élevés dans les zones éloignées des centres, ils amputent néanmoins de plus en plus le budget des familles à faibles revenus qui y habitent.

 

Comment avez-vous procédé pour votre enquête ?

C’est une approche de type ethnographique couplée avec un travail d’analyse historique et quantitatif. L’enquête s’est déroulée sur près de dix ans, entre 2012 et 2022. Durant trois ans, j’ai habité en caravane pour passer du temps avec les personnes en question, établir des relations de confiance, saisir leurs trajectoires. Je voulais aussi m’imprégner de l’expérience vécue de ces habitants, très souvent perçus de l’extérieur d’un point de vue misérabiliste. Cela rend compte d’une partie de la réalité, mais écrase complètement la variété des situations, qui peuvent être très contrastées.

 

Combien de personnes vivent actuellement dans un camping à l’année ?

L’ordre de grandeur est d’environ 100 000 personnes. Aux Etats-Unis, 7 % de la population vit en mobile-home ou en caravane, dont une moitié dans ce qu’on appelle des « trailer parks »… C’est énorme ! En Europe, le phénomène concerne la Suisse, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la Belgique. Il est particulièrement prégnant en France, en raison de l’envolée des prix de l’immobilier et, en partie, de l’augmentation des locations touristiques de type Airbnb. Avec plus de 850 000 emplacements, la France dispose aussi du deuxième parc de terrains de camping au monde – après les Etats-Unis –, soit un tiers des capacités européennes.

>>> A lire aussi : Logement : une « bombe sociale », selon la Fondation Abbé-Pierre

 

Qui sont les habitants ?

Le premier profil concerne des personnes en emploi, principalement en couple. La majorité d’entre elles ont quitté le parc locatif pour s’installer dans un mobile-home, souvent dans un camping haut de gamme. Bien qu’elles soient insérées socialement et économiquement, elles n’arrivent pas à accéder à la propriété. Pendant les Trente Glorieuses, beaucoup d’ouvriers ont pu acheter un petit pavillon. C’est de moins en moins le cas depuis les années 2000. L’achat d’un mobile-home constitue une alternative à l’habitat individuel inaccessible, un projet de vie. Le camping est apprécié pour sa convivialité, que les personnes connaissent car elles y ont souvent passé des vacances. A contrario, le deuxième profil, qui comporte plutôt des hommes, s’inscrit dans un parcours de déclassement social. Il témoigne de l’élargissement de la crise du logement à des personnes qui n’auraient pas été affectées il y a quinze ou vingt ans. Le logement constitue aujourd’hui un facteur tout aussi décisif que l’emploi dans la dégradation des conditions de vie. Pour ces personnes qui n’avaient jamais vraiment eu de difficultés de logement avant et qui, pour la plupart, travaillent, le camping engendre honte, repli, stigmatisation, humiliation. D’autant que ce qui représentait une solution provisoire finit parfois par durer.

 

Et la troisième catégorie ?

Il s’agit de personnes très précarisées qui survivent souvent grâce aux minima sociaux ou à la débrouille. Certaines ont connu la rue, les chambres de bonne sans toilettes, la vie au jour le jour, etc., avant de s’installer au camping. Pour elles, une continuité apparaît entre leur logement passé et celui présent. Elles affichent d’ailleurs une satisfaction à vivre là car elles y trouvent la possibilité d’avoir un potager pour réduire leurs dépenses, de déployer une sociabilité, un style de vie populaire et rural auquel elles sont attachées et qui les met à distance des jugements stigmatisants et de la confrontation avec d’autres classes sociales. Le camping leur procure un cadre rassurant et une relative autonomie.

 

Quel est le statut des occupants de mobile-homes et de caravanes ?

La précarité de ces habitats se situe moins du côté des conditions matérielles (certains mobile-homes sont très bien aménagés et disposent du confort d’un logement standardisé) que de celui de l’insécurité des statuts d’occupation. Les gens peuvent être propriétaires de l’habitat, mais jamais du terrain, qui appartient au gérant ou au propriétaire du camping, auquel ils versent une redevance. Par ailleurs, ils relèvent du droit du tourisme, qui n’a pas été pensé pour les protéger à l’année. C’est pareil pour les locataires de caravanes et de mobile-homes, qui sont assujettis au bon vouloir du gérant. Ce n’est pas sans rappeler ce qui existait avant la sécurisation politique du statut de locataire en France. Ils ne bénéficient d’aucune des garanties associées au droit locatif – ni bail, ni aide personnalisée au logement (APL), ni encadrement des loyers, ni trêve hivernale. Les gérants peuvent aussi pratiquer la revente de l’électricité et de l’eau pour se faire une plus-value… Un des points essentiels relève de la précarité foncière : ces habitants peuvent être très facilement expulsés. Or certaines caravanes en mauvais état ne supportent pas d’être déplacées. Quant au mobile-home, il faut un convoi pour les transporter, et cela coûte des milliers d’euros. Lorsqu’un gérant décide de ne plus accueillir des résidents, en général, les plus modestes perdent définitivement leur toit et les autres perdent l’unique patrimoine dans lequel ils avaient investi plusieurs dizaines de milliers d’euros. Tout cela se produit dans une grande invisibilisation.

 

Selon vous, faut-il mettre le logement au cœur de la question sociale ?

Il l’est déjà, même si ce n’est pas verbalisé en tant que tel. Dans les classes populaires, le logement est le premier poste de dépenses des ménages. C’est un facteur de détérioration, de paupérisation même, de leurs conditions d’existence. Il n’y a jamais eu autant de personnes en attente d’un logement social ni autant d’expulsions. Le désinvestissement de la puissance publique dans le logement est encore plus marqué depuis 2017, avec une réduction des APL et des budgets alloués aux bailleurs sociaux.

 

>>> Sur le même sujet : Précarité : quels sont les foyers principalement exposés ?

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