Le 18 avril dernier, la Commission européenne débloquait une enveloppe de 23 millions d’euros dans le cadre d’un appel à propositions pour lutter contre le chômage de longue durée dans l’UE. Est-ce le signe que le modèle initié par TZCLD est en train de faire tache d’huile à l’échelle européenne ?
Laurent Grandguillaume: Oui. Des initiatives assez proches ont été mises en œuvre en Autriche, en Belgique wallonne, aux Pays-Bas ou en Italie. D’autres sont en train d’être initiées en Allemagne ou en Pologne. En mai 2023, le Comité européen des régions a adopté le rapport de Yonnec Polet (secrétaire général du Parti Socialiste Européen, NDLR) relatif à la création d’un droit à l’emploi pour toutes et tous dans l’UE qui s’inspire de ce que nous réalisons depuis 2016 avec Territoire Zéro Chômeur de Longue Durée. Ce texte a été soutenu au Parlement par l’eurodéputée néerlandaise Agnes Jongerius et au niveau de la Commission par le Commissaire européen à l’emploi Nicolas Schmit. C’est dans la foulée que la Commission a accepté de lancer cet appel à propositions afin d’initier le projet à l’échelle de l’Union qu’une coalition d’acteurs à laquelle appartient TZCLD appartient se propose de porter sur le terrain. Nous venons d’ailleurs de co-signer un courrier que nous allons adresser à l’ensemble des candidats aux élections européennes afin de les sensibiliser à ce droit à l’emploi pour tous. Cette lettre devrait leur parvenir dans quelques jours. D’ailleurs, une délégation d’une cinquantaine de personnes de la Commission Européenne, parmi lesquels Nicolas Schmit, doit se rendre à Pontchâteau, en Loire-Atlantique, l’été prochain, pour observer comment fonctionne l’un de ces territoires au quotidien.
Justement, quel est le bilan de TZCLD aujourd’hui ?
60 territoires sont actuellement expérimentateurs et une dizaine de plus sont en cours d’habilitation devant le Conseil d’Etat. On devrait en compter 80 d’ici à la fin de l’année. On peut dire que le succès est au rendez-vous-même si j’encourage les territoires candidats à se mobiliser dès maintenant pour être habilités avant 2026 puisqu’à ce moment-là, une troisième loi sera nécessaire pour prolonger l’expérimentation. Nous comptons actuellement 3000 salariés dans les différentes entreprises à but d’emploi (EBE) créées pour porter l’expérimentation. Par ailleurs, les résultats de TZCLD commencent à être interrogés par les différents évaluateurs de l’Etat. L’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et celle des finances (IGF) ont réalisé conjointement une évaluation du dispositif voici quelques mois. Leur rapport a été rendu récemment à Matignon, mais ses conclusions n’ont pas encore été communiquées. La semaine dernière, c’était la Cour des Comptes qui nous auditionnait. Son rapport est attendu en mars 2025.
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De notre côté, nous portons en France le projet de ce « droit à l’emploi pour tous » initié à l’échelon européen. A cet effet, nous venons de publier un ouvrage, Expérimenter le droit à l’emploi, qui rassemble une trentaine de contributeurs parmi lesquels Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France, Olivier De Schutter, ancien rapporteur spécial de l’ONU pour la lutte contre la pauvreté, des présidents d’associations, des chercheurs, la vice-présidente de la Wallonie, etc. Nous souhaitons que la troisième loi TZCLD ne se contente pas de prolonger l’expérimentation mais devienne le point de départ de ce nouveau droit. Pour cela, nous avons mis sur pied un réseau d’une vingtaine d’acteurs de l’insertion en France pour recueillir leurs contributions. Le réseau s’est réuni pour la première fois le 17 avril dernier à Laval. Deux autres réunions ont d’ores et déjà été programmées à l’agenda 2024. Elles se dérouleront le 6 juin à Lyon et le 15 octobre à Troyes.
Disposez-vous de soutiens au Parlement pour porter cette future loi sur le droit à l’emploi ?
Aujourd’hui, près de 300 parlementaires ont apporté leur soutien à TZCLD. L’enjeu désormais, c’est de convaincre le gouvernement…
Quel regard portez-vous sur l’expérimentation que le gouvernement a initié concernant le RSA désormais associé à une quinzaine d’heures d’activité par semaine ?
TZCLD est parti du principe que le chômage ne doit pas être vu comme une situation individuelle mais faire l’objet d’une responsabilité collective. J’en suis personnellement convaincu et c’est pour ça que je doute fortement que les récents discours du gouvernement visant à "responsabiliser" et sanctionner les demandeurs d’emploi soient de nature à résoudre le fond du problème.
De la même façon, j’estime que le débat public se focalise beaucoup trop sur les 800 000 emplois « en tension » qu’il n’y aurait qu’à pourvoir pour résoudre le problème du chômage. C’est oublier que notre pays compte environ 2,2 millions de chômeurs de longue durée (c'est-à-dire sans emploi depuis plus d’un an, NDLR) et que même dans l’hypothèse où ces emplois seraient pourvus demain, il resterait encore plus d’un million de demandeurs d’emploi !
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Dans certains territoires expérimentateurs de TZCLD, on compte environ 30% de sans-emploi qui ne sont ni inscrit à France Travail, ni allocataires du RSA. Ce n’est certainement pas par le contrôle et la stigmatisation qu’on va les remettre à l’emploi ! Ni en les encourageant à créer leur auto-entreprise vu que la moitié des auto-entrepreneurs ne génèrent aucun chiffre d’affaires. On le fera au niveau local par la co-construction de solutions avec l’ensemble des acteurs de terrain : élus, partenaires sociaux, associations, entreprises… sans oublier les chômeurs eux-mêmes.
Quelles sont vos relations avec France Travail qui a succédé à Pôle Emploi le 1er janvier dernier ?
Nous avons rencontré son directeur Thibault Guilluy à plusieurs reprises et je crois qu’il a bien conscience du travail accompli par TZCLD. Mais nos structures se connaissent déjà puisque nous étions déjà partenaires de Pôle Emploi dans le cadre d’une coopération nationale initiée par son ancien dirigeant, Jean Bassères. Sur le terrain, nous avons vocation à travailler en complémentarité, étant donné que le périmètre de nos comités locaux (qui portent sur des bassins d’emploi de 5 à 10 000 habitants) n’ont pas vocation à se télescoper avec les échelons territoriaux que France Travail est en train de développer, ceux-ci portant sur des échelles beaucoup plus vastes. Il est important que le travail déjà engagé auprès de France Travail et des Dreets se poursuive dans l’entente et la complémentarité. Ce n’est pas toujours aisé. Il arrive qu’en matière d’emploi, l’administration estime que c’est à elle de donner les ordres, charge à ses partenaires de suivre. Ce n’est pas ainsi que, pour notre part, nous concevons l’action publique.
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