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Tribune libre : après les émeutes, la protection de l'enfance interpellée

Crédit photo Maurizio Orlando / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
Pour gérer notre « hétérogénéité », nous devons actualiser le modèle français d’intégration. Le travail social communautaire est souvent ignoré en France quand il n’est pas soupçonné, à tort, d’encourager le communautarisme. Pour Jean-Claude Sommaire (1), c’est pourtant une ressource que le secteur de la protection de l’enfance devra s’approprier. La prévention spécialisée – qui a su par le passé construire des réponses originales pour répondre aux problèmes des jeunes en voie de marginalisation – dispose de tous les atouts pour œuvrer dès maintenant à la promotion d’un « empowerment à la française ».

Une onde de choc de forte amplitude

Depuis longtemps, le sociologue de la jeunesse Olivier Galland appelle l’attention des pouvoirs publics sur l’échec du « modèle d’intégration à la française », alors que notre pays est celui qui a, proportionnellement, le plus grand nombre de descendants d’immigrés en Europe, la majorité d’entre eux étant issus de son ancien empire colonial.

Par ailleurs, dans son ouvrage Le déni des cultures, publié en 2010, sur la base d’une enquête effectuée auprès de 4 500 adolescents, le sociologue Hugues Lagrange écrivait déjà, qu’à conditions sociales identiques, les adolescents éduqués dans des familles maghrébines ou des familles du Sahel étaient beaucoup plus souvent impliqués comme auteurs de délits que les adolescents élevés dans des familles autochtones. Il appelait alors à ce qu’un soutien spécifique soit apporté à ces familles, souvent partagées entre abattement résigné et accès de violence, qui vivent mal leur échec éducatif.

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Une fois les tensions retombées, il serait donc utile de mettre en œuvre des actions spécifiques de prévention sociale ciblées sur ces publics en rappelant que, dans le monde anglo-saxon, on considère qu’un dollar dépensé en « prévention » ce sont cinq dollars d’économisés en « réparation ».

Reconnaître la réalité pluriculturelle de notre société

La France est un vieux pays d’immigration, porteur depuis la fin du XIXe siècle d’une tradition républicaine assimilationniste qui a longtemps bien fonctionnée. Ce n’est plus le cas aujourd’hui car nos jeunes compatriotes, issus des immigrations post-coloniales, doivent se construire une identité complexe, incluant « l’histoire qui les a précédés ». Une histoire que leurs parents ne leur ont pas raconté et qu’ils peuvent alors facilement instrumentaliser, en se référant uniquement à la colonisation et à l’esclavage.

Or si l’on veut que ces jeunes générations adhèrent aux valeurs communes, il faut que leur héritage familial, en matière culturel et religieux, tout en restant soumis à la critique propre à toute société démocratique, ne soit plus ni ignoré, ni stigmatisé.

Pour permettre à notre pays de mieux gérer son « hétérogénéité », il nous faut actualiser notre « modèle français d’intégration » pour l’adapter au temps présent.

Répondre à la délinquance précoce des jeunes

Notre souci légitime de ne pas « stigmatiser » les familles d’origine maghrébine et sub-sahariennes ne doit plus faire obstacle à la prise en compte, avec tact et mesure, de leurs difficultés à éduquer leurs enfants.

Sachant que ces populations courent plus de risques que la majorité autochtone de voir leurs enfants tomber dans la délinquance, il va falloir mettre en œuvre, avec elles, des actions de prévention précoce adaptées aux spécificités de leur communauté comme cela se pratique couramment dans beaucoup de pays d’immigration.

Développer le travail social communautaire

Largement ignoré en France, voire soupçonné, à tort, d’encourager le communautarisme, le « travail social communautaire », pratiqué dans ces pays, part du principe que beaucoup d’hommes se reconnaissent dans des « communautés » ethniques, culturelles, et religieuses. Au sein de ces communautés, ils vont pouvoir développer « un pouvoir d’agir ». L’objectif est que leurs membres soient moins isolés et plus solidaires entre eux, afin d’accéder plus facilement à l’éducation, au logement, à l’emploi et, plus globalement, à une qualité de vie meilleure.

Il n’a pas vocation à se substituer au travail social individuel classique, ni aux diverses formes d’interventions sociales collectives. Mais il peut les compléter et les enrichir dans le cadre d’une redistribution des responsabilités de chacun.

Il implique cependant une redéfinition du rôle et des méthodes d’intervention des professionnels et des bénévoles de terrain comme l’ont relevé, en 2016, les conclusions d’une recherche-action, financée par plusieurs ministères.

Faire évoluer la protection de l’enfance

En effet, nombre de problèmes traités aujourd’hui par les acteurs sociaux, à travers des prises en charge individuelles, sont en fait des problèmes collectifs qui gagneraient à être d’abord examinés dans le cadre de démarches collectives. De même, les institutions publiques ne peuvent pas à elles seules régler toutes les situations. Pour agir efficacement, elles doivent s’appuyer sur les ressources des personnes, des groupes, et des communautés.

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L’action éducative en milieu ouvert (AEMO) devrait notamment réfléchir à des mesures collectives associant groupes de parents et groupes de jeunes appartenant à une même communauté pour :

  • restaurer le rôle et la place des parents d’origine étrangère vis-à-vis de l’école, de la police, de la justice et des divers intervenants sociaux (en apprenant à ces derniers à travailler avec eux sans les infantiliser) ;
  • créer des réseaux d’entraide entre parents d’une même communauté (maghrébins, africains sub-sahariens, etc.) pour lutter contre les dysfonctionnements familiaux d’origine culturelle (violences intra-familiales spécifiques, perte d’autorité parentale, « absence » des pères, etc.), prévenir le décrochage scolaire et les comportements à risque, maintenir le lien avec les jeunes en rupture, et conforter toutes les formes d’entraides communautaires, notamment pour les familles mono-parentales ;
  • faire évoluer les « traditions », éducatives et culturelles, qui posent problème : « l’honneur » des familles, l’éducation « petit prince » des garçons, la surveillance phobique des filles, les mariages arrangés, etc. ;
  • la question des « garçons », à qui on laisse tout faire dès le plus jeune âge, mériterait d’être l’objet de travaux d’étude spécifiques. Problématique difficile, car la place respective des hommes et des femmes diffère profondément entre notre société et les cultures d’origine de la majorité des migrants que nous accueillons aujourd’hui.

Développer la prévention spécialisée

Au sein de la protection de l’enfance, les éducateurs de rue de la prévention spécialisée interviennent spécifiquement, sans mandat nominatif, auprès de jeunes en situation de rupture sociale.

En 2009, le Conseil technique de la prévention spécialisée a publié un très intéressant rapport intitulé « La prévention spécialisée à l’heure de la diversité culturelle : état des lieux, questionnements, initiatives, projets innovants en matière de développement social communautaire » dont il serait utile, aujourd’hui, de mettre en œuvre les propositions qui sont plus que jamais d’actualité.

Le rapport proposait notamment :

  • de développer la prévention spécialisée dans tous les territoires relevant de la politique de la ville, afin d’y renforcer les actions à finalité éducative ;
  • de renforcer sa fonction d’expertise sur les problématiques interculturelles de ces quartiers auprès des élus et de ses partenaires ;
  • d’accroître sa capacité à prévenir et à accompagner les situations de crise.

(1) Jean-Claude Sommaire, ancien secrétaire général du Haut Conseil à l’intégration (HCI) et ancien président du Conseil technique de la prévention spécialisée (CTPS). Ces deux instances ont disparu respectivement en 2012 et en 2015.

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