" Un pas en avant, deux pas en arrière ? ". C'est la question que se posent assistantes familiales et maternelles face à la posture de la première ministre. Celle-ci s'est en effet engagée quant à une garantie d'accueil du jeune enfant au cœur d'un service public qui lui est destiné. Sur fond de grandes disparités territoriales et d'une nette perte d'attractivité de ces métiers.
Le doute s'installe : le président Macron avait déjà promis, sous le précédent quinquennat, un nombre conséquent de nouvelles places. Dans la réalité, à peine la moitié ont vu le jour, alors que du côté des assistantes maternelles, lesquelles constituent le premier mode de garde, on s'attend à un départ massif à la retraite... tandis que 10.000 professionnelles manquent déjà à l'appel dans les crèches ! Autre constat des plus préoccupants : la crise de recrutement sévit chez les AF.
Les unes et les autres s'inquiètent par conséquent du décalage entre l'annonce de la première ministre et les déclinaisons concrètes. Ainsi celle-ci n'a pas fourni de détails sur l'approfondissement de la formation. Elle a aussi remis à une date ultérieure la question sensible de la revalorisation salariale à l'heure où l'insuffisance du pouvoir d'achat défraye la chronique.
Si notre propos concerne les assistantes familiales, il semblait incontournable de brosser le tableau général, état d'esprit compris, au sein duquel leur spécificité s'inscrit.
L’appauvrissement d’une profession
Il y a péril en la demeure. En effet, le secteur social est traversé par une crise de recrutement inédite. « La loi a rendu obligatoire, et tant mieux, la rémunération des stages. Mais les services n'en ont plus les moyens. Cela impacte bien sûr le cursus des élèves, d'ailleurs de moins en moins nombreux. Ce délaissement s'explique : une fois sur le marché du travail, les salaires sont trop bas et ne permettent pas, surtout dans les grandes villes, d'accéder à la location. N'ayons pas peur des mots : on s'oriente vers une tendance au sein de laquelle les usagers, souvent travailleurs pauvres, sont pris en charge par des accompagnateurs qui se trouvent dans une situation comparable », fait remarquer une formatrice en analyse des pratiques. Laquelle va du général au particulier.
« Les AF sont de plus en plus seules face au déficit d'embauche des autres acteurs, source de turn-over, alors que dans le même temps, les contraintes s'accroissent. Ainsi subissent-elles, comme tout à chacun, le diktat managarial qui consiste à...passer plus de temps à rendre compte qu'à faire proprement dit », précise-t-elle.
Alors que les AF accueillent des enfants "de plus en plus cassés" sur fond de fermeture des MECS, plus coûteuses mais nécessaires pour certains mineurs, et de misère de la pédopsychiatrie. Sans pour cela bénéficier de supervision individuelle comme les autres acteurs. « On leur demande d'exécuter alors qu'elles sont seules à la tête de leur entité », ajoute notre interlocutrice pour illustrer les contradictions.
Enfin, la société se judiciarise. Dans cette mouvance, certains parents portent plainte à chaque interprétation d'une défaillance. Dans ce cas de figure, le service placeur prend un avocat, mais l'AF, encore une fois seule, est obligée souvent d'en prendre un à son propre compte. Dans ce contexte, « il n'est pas étonnant que leurs propres enfants n'envisagent plus de prendre la relève, comme cela s'est pratiqué pendant des années », conclut-elle.
« La moyenne d'âge des AF est de cinquante six ans »
D'emblée, Thomas Bals, président de l'Adepape 64 illustre les propos de la formatrice. « Nous avons de plus en plus à faire à des interlocuteurs nantis d'une moindre formation, tels que les moniteurs-éducateurs qui font du bon travail, mais dans leur domaine. Quel soutien attendre de jeunes qui sortent de l'école sans rien connaître de l'accueil familial ? Les enfants, par ailleurs, n'investissent plus le référent qui est là pour trois mois, turn-over oblige. Les gamins ne comprennent plus rien aux changements de posture successifs », explique-t-il.
Ainsi a-t-il accueilli un mineur qui n'avait plus de contacts avec sa mère depuis deux ans et demi. Le référent de l'époque a lancé une procédure relative au délaissement parental. Du coup, la mère est réapparue de façon épisodique, puis de nouveau plus rien. Les intervenants suivants n'ont pas emboîté le pas du premier. "Nous sommes tous, en principe, garants du parcours de l'enfant à nos places respectives. Quid de la cohérence du service placeur face aux dégats psychiques provoqués par l'absence de cette dernière », s'insurge-t-il.
Et de formuler d'autres inquiétudes. « La moyenne d'âge des AF est de cinquante six ans. Or, les campagnes de recrutement n'ont pas donné grand chose, en brossant, sans doute, un tableau trop idyllique. C'est pourquoi beaucoup abandonnent en cours de formation, ce qui s'ajoute aux cessations dès les premiers mois d'embauche », précise Thomas Bals.
Certes, des immersions chez une AF ont lieu quand elles sont recrutées. Dans ce contexte, « pourquoi ne pas envisager ce même dispositif avant l'embauche pour avoir, avant cette dernière, une vision plus précise ? On pourrait aussi recruter pour les week-ends et les vacances, d'autant que plusieurs départements n'ont pas mis en place le week-end dit de répit », propose-t-il. Cela permettrait aux candidates d'essayer sur un temps court et privilégié, tout en permettant aux chevronnées de souffler. Dans un contexte où la taylorisation s'ajoute à une moindre qualification et un turn-over des référents. « Ils avaient seize situations il y a dix ans et quarante aujourd'hui. Ils gèrent les urgences au détriment du soutien », constate-t-il.
Une note d'optimisme toutefois : certains juges, face à la dégradation générale, commencent à recevoir les AF au cours des audiences.
« Une initiative qui mériterait d'être élargie », conclut-t-il.
« Un enfant ne prend pas rdv pour faire ses crises »
Pas gâtées non plus sur le plan matériel, les AF ? Sûrement : « Avec quatorze euros à peu près d'allocation d'entretien conjugués aux disparités territoriales, les collègues, avec l'inflation, suppléent de plus en plus de leur poche. D'autant que moult produits ne sont tout simplement plus remboursés. »,constate Marie Noelle Petitgars, présidente de l'Anamaaf, amère.
Cerise sur le gâteau : elles ont été exclues de "la prime Ségur", alors qu'elles avaient, pendant le confinement, les enfants 24h sur 24 ! Une note d'humour: « Leurs troubles diminuaient souvent en l'absence de visites médiatisées », plaisante-t-elle à partir d'une observation objective. Par ailleurs, certains départements n'hésitent pas à appliquer la double peine. « Non contents de développer le parrainage pour contrer la crise de recrutement, certains d'entre eux détournent la loi par le biais des avenants au contrat de travail. Ces derniers permettent en effet de ne pas être liés si une place n'est pas occupée, alors que la loi prévoit une protection d'une partie de la rémunération pendant la période de latence » ajoute-t-elle.
Sujet sensible par excellence : les informations préoccupantes. « Nous sommes bien sûr inflexibles si l'AF ou son époux ont commis un acte répréhensible. Mais 90% des IP ne sont pas fondées, et heureusement ! ». Cela se déclenche souvent quand un gosse, par révolte, veut faire capoter un placement. En tous cas, les résultats sont désastreux : retrait du mineur, AF jetée en pâture, humiliations se succèdent alors.
Sur un autre plan, le désert pédopsychiatrique contribue largement au désenchantement. « Un enfant ne prend pas rdv pour faire ses crises », plaisante-t-elle pour illustrer la difficulté à trouver des interlocuteurs dans ce domaine.
Une contradiction d'envergure : les départements rendent la vie des AF de plus en plus difficile, alors que la dynamique inverse s'imposerait pour favoriser le recrutement !
Face à ce constat, aux disparités territoriales dont la mise en place, très inégale, du projet personnalisé pour l'enfant (PPE), et à l'enjeu, elle formule une "sortie de crise" pertinente, en disant tout haut ce que beaucoup pensent tout bas :
Le retour de la protection de l'enfance dans le giron de la compétence Etat.