Recevoir la newsletter

Décrochage scolaire : un collège pour apprendre autrement

Article réservé aux abonnés

Maria Maillé, professeur de français, donne cours à une classe de 4ème. Elle est accompagnée d'Olivier Niglis, éducateur.

Crédit photo Marta NASCIMENTO
Ouverts en septembre, à Cesson-Sévigné (Ille-et-Vilaine), le collège La Hublais et son internat éducatif accueillent exclusivement des jeunes décrocheurs. Pour « réconcilier » ces élèves avec l’école, l’établissement mise sur l’apprentissage du savoir-être autant que du savoir-faire et sur la collaboration entre les éducateurs et le corps enseignant.

« Lorsque je dis : “mon stylo pleure”, il s’agit d’une personnification », rappelle Maria Maillé, professeure de français, à l’intention des dix têtes masquées chargées de trouver une figure de style dans un célèbre poème de Verlaine. « C’est impossible, Madame, un stylo qui pleure », rétorque aussitôt, d’un ton mi-provocateur mi-amusé, un des élèves de la classe de 4e. Des rires et des moqueries fusent, plus ou moins audibles, dans la salle de cours. Alors qu’il déambule lentement entre les tables, Olivier Niglis, éducateur sportif, intervient en plaisantant : « Avec ce que je lis parfois, je suis persuadé que certains stylos doivent pleurer. » Au collège La Hublais, à Cesson-Sévigné, commune limitrophe de Rennes, les binômes composés d’un professeur et d’un éducateur sont monnaie courante. Il s’agit de l’un des dispositifs mis en place par cet établissement de la Fondation Apprentis d’Auteuil dédié aux décrocheurs scolaires, qui a ouvert ses portes en septembre dernier.

Grâce à ce système baptisé « Sas », en référence aux sas de décompression, les 51 élèves du collège bénéficient d’un suivi quasi individualisé. « Comme les profs ont plus de temps pour nous aider, je comprends mieux et je trouve ça plus facile, confie Léa, interne et élève de 4e. Et puis, s’ils sont occupés, nous pouvons demander de l’aide aux éducateurs. » L’idée est de privilégier au maximum l’intégration d’un deuxième adulte en cours plutôt que d’exclure les élèves perturbateurs. « Dès qu’un jeune s’ennuie, il met le bazar, analyse Gabin Brouard, directeur du collège. Il faut surmonter cet obstacle rapidement en s’intéressant à eux, à leurs centres d’intérêt et à leurs problématiques. » Le travail en duo, combiné à des classes à très petits effectifs (entre 7 et 14 élèves), offre aux professionnels la possibilité d’instaurer une nouvelle dynamique. « Avec ces jeunes, la manière traditionnelle ne fonctionne pas, alors j’essaie de créer du lien par le biais de l’humour », explique Olivier Niglis. « Nous prenons le temps de discuter avec eux, complète Maria Maillé. Des cours mais également des sujets qui les motivent pour nouer une relation de confiance. »

Situés au milieu d’un parc verdoyant, dans de vieilles bâtisses appartenant au diocèse de Rennes, le collège La Hublais et son internat de 30 places s’attachent à porter un regard positif sur les élèves et à respecter leur rythme. Ici, les emplois du temps sont allégés. Les cours ne durent que cinquante minutes, les pauses sont régulières et le travail à la maison exceptionnel. « Lorsqu’il y a beaucoup de devoirs, cela crée de la tension au sein de la famille, et les jeunes arrivent avec une boule au ventre le lendemain, témoigne Cécile Cabral-Anjo, éducatrice spécialisée. Nous préférons qu’ils passent des moments bénéfiques avec leurs proches plutôt que se prendre la tête sur des exercices qui ne seront pas réalisés. »

Discours commun

La « posture professionnelle » est également très travaillée au sein de l’établissement. La voix d’un éducateur a ainsi la « même importance » que celle d’un professeur. L’objectif : afficher un discours commun auquel les jeunes peuvent se référer. Pour cela, un seul mot d’ordre : la communication. Les échanges n’ont pas seulement lieu entre les 11 professeurs et les 5 éducateurs, ils incluent aussi le psychologue, l’équipe de direction, le technicien, la maîtresse de maison… « Chacun se tutoie, et la porte de mon bureau reste la plupart du temps ouverte pour que tout le monde puisse y entrer quand il le souhaite », rapporte Gabin Brouard, qui tient à souligner que les problèmes se dénouent aussi bien sur les temps formels qu’informels.

Autant que possible, les 22 adultes présents dans l’établissement cherchent à se montrer soudés. Preuve en est ce lundi matin, dans le petit bureau de la vie scolaire où Maria Maillé entre pour demander conseil sur l’attitude à adopter face à un élève qui lui a tenu tête en chantant en cours. Alors qu’elle est affairée à gérer les absences du jour, Cécile Cabral-Anjo prend le temps de lui répondre. Ensemble, elles échangent quelques minutes et conviennent d’écrire dans la foulée un mail aux parents. « Chacun doit trouver sa place sans empiéter sur le travail de l’autre. Ce n’est pas toujours évident », précise l’éducatrice spécialisée. « Nous essayons de casser les représentations que chacun a de son métier et de l’enseignement, confirme Gabin Brouard. Cela demande de la patience car les enseignants arrivent directement du circuit classique du bassin rennais. »

Pour préserver une unité cohérente, le dialogue avec les familles apparaît également essentiel. « Lorsque nous posons une sanction ou un acte éducatif, nous avons besoin d’un minimum d’adhésion de la part des proches, sinon les jeunes se glissent dans les interstices », pointe Johann Cherdel, chef de service de l’internat éducatif et scolaire. Mais les sanctions sont loin de constituer la seule raison d’échanger avec l’entourage. Psychologue au sein de l’établissement, Vincent Ollivier est lui aussi régulièrement en contact avec les familles pour accompagner au mieux les jeunes qu’il voit en séance, principalement des internes n’ayant plus la possibilité d’être suivis autrement. « En parlant avec des parents, je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup de dramatisation autour du symptôme de leur enfant. En les amenant à prendre du recul, l’intégration dans le collège s’est mieux passée, se souvient le professionnel. Je ne peux pas assurer que tout cela est lié, mais ce qui est certain, c’est que les parents sont extrêmement importants dans l’aide apportée au jeune. Même si les adolescents ont tendance à prendre leurs amis comme référence, ils sont toujours en quête de l’approbation de leurs parents et cherchent à leur montrer qu’ils sont autonomes. »

Souplesse pédagogique

Le collège La Hublais fait partie des trois établissements des Apprentis d’Auteuil uniquement dédiés au décrochage scolaire. La singularité de ces structures leur permet d’innover et de faire preuve de souplesse dans l’organisation pédagogique. Les dispositifs qui portent leurs fruits peuvent ensuite essaimer dans les autres collèges et lycées de la fondation. Gabin Brouard a eu carte blanche en prenant la direction du collège. Parmi les projets qu’il aimerait mettre en place : confier les trois matières scientifiques (technologie, sciences de la vie et de la terre et sciences physiques) à un seul enseignant. En diminuant le nombre d’intervenants, il espère favoriser la communication au sein de l’équipe et enrichir la démarche scientifique. « Si nous lions les trois disciplines, nous amenons à une réflexion globale autour des sciences, au lieu d’avoir un enseignement fondé sur une seule matière », soutient le directeur. Cette initiative pourrait par ailleurs permettre « la reconnaissance de cette matière comme discipline transversale ».

Autre piste de réflexion : abandonner le système de notation. « Selon moi, les notes ne reflètent pas le niveau réel du jeune », soulève Gabin Brouard. Mais le cursus est ainsi fait qu’il reste difficile de s’en passer, tempère le directeur. « Les élèves en auront besoin pour le brevet et pour entrer au lycée. Et puis, pour beaucoup de parents, la note fonctionne comme un repère. » Afin de mesurer l’impact de tous les programmes instaurés, la direction est en lien avec un enseignant-chercheur de l’Université catholique de l’Ouest (UCO). L’objectif de ce travail sociologique est de pouvoir réajuster si nécessaire les dispositifs et de réaliser un partage d’expérience sous forme de livre ou de mémoire.

Reconstruire l’estime de soi

En France, chaque année, entre 80 000 et 100 000 élèves de plus de 15 ans sortent du système éducatif sans qualification. Pour repérer les jeunes en situation de fragilité, les professionnels utilisent des familles d’indicateurs (absentéisme, difficultés scolaires, comportement en classe…). Si elles constituent un bon appui, ces grilles restent encore mal connues, et beaucoup d’élèves sont repérés tardivement dans leur processus de décrochage. Sans surprise, il est pourtant préférable d’intervenir au moment des premiers signes de perte d’intérêt. « Quand le jeune bascule dans la délinquance, il est souvent trop tard », rapporte Gabin Brouard, qui regrette le manque de formation sur le sujet. Une fois l’élève détecté, un travail sur l’estime qu’il a de lui-même est à entamer. « Le manque de confiance en soi joue énormément dans le décrochage scolaire, souligne Julien Pautot, chef de projet “décrochage” chez Apprentis d’Auteuil. Nous travaillons à reconstruire cette estime, mais toujours avec des buts atteignables. Cela n’a pas de sens d’établir 36 objectifs impossibles à réaliser en quatre semaines. »

Une main dans le plâtre et un large sourire collé aux lèvres, Noah témoigne des étapes personnelles qu’il a franchies depuis son arrivée à La Hublais. « Au début de l’année, je faisais n’importe quoi. Je n’avais aucune idée de ce que je voulais faire plus tard. Je changeais tout le temps d’avis », raconte l’élève de 3e avec recul et maturité. Grâce à ses échanges avec l’équipe éducative et à des ateliers consacrés à la recherche de stages, le collégien sait désormais qu’il souhaite « reprendre l’entreprise familiale pour l’amener à l’international ». Pour cela, il envisage de vivre aux Etats-Unis et n’exclut pas d’intégrer une « école prestigieuse ». « Si j’avais dit ça à mon “moi” de 4e, il ne m’aurait pas cru, expose l’adolescent dans un rire. Mais aujourd’hui je m’aperçois que ce qu’on nous propose ici nous est utile. »

Les ateliers d’apprentissage par projet constituent le deuxième dispositif d’envergure mis en place par le collège bretillien. Ils ont lieu trois fois par semaine, en fin d’après-midi, en présence d’un enseignant et d’un membre de l’équipe éducative. L’objectif est d’acquérir des connaissances en travaillant à l’élaboration d’un projet commun. « En fonctionnant ainsi, nous nous rendons compte que les jeunes valident toutes les compétences – français, maths, langues… – alors qu’en classe ils ont plus de mal, observe Gabin Brouard. Nos élèves ont besoin de bouger, de manipuler. Rester sur une chaise plus d’une demi-heure est parfois compliqué pour eux. »

Initialement, ces séances devaient regrouper plusieurs classes et s’effectuer en dehors de l’enceinte de l’établissement, mais la pandémie de coronavirus est venue bousculer les plans de l’équipe de direction. Chaque classe dispose finalement de son propre atelier et les sorties sont repoussées jusqu’à nouvel ordre. A 16 h, aujourd’hui, la classe de 5e a rendez-vous avec deux comédiens d’une troupe d’Angers pour s’initier au théâtre. « Ce que nous allons voir ensemble peut vous donner des clés pour vous exprimer et prendre la parole en public », explique l’un des intervenants après de brèves présentations. Au départ, capter l’attention de chaque élève n’est pas chose aisée, mais, au fur et à mesure, même les plus dissipés finissent par se prendre au jeu. Après plusieurs exercices, les jeunes sont invités à marcher très lentement les yeux fixés au sol et à prendre la « pause de l’état émotionnel » demandé par le comédien lorsque celui-ci frappe des mains. Colérique, joyeux, effrayé, autoritaire, dégoûté… Les représentations s’enchaînent les unes après les autres. Derrière les masques chirurgicaux, s’affichent tantôt des airs renfrognés tantôt des regards pleins d’effroi. Attention, les choses se corsent : soupçonneux. Les sourcils se haussent, les yeux se plissent, les bras se croisent. Séduits, les élèves attendent la prochaine émotion à interpréter. Lorsque vient le moment d’annoncer la fin de l’exercice, la voix pleine d’entrain du jeune Marfred se fait entendre : « Oh non, pas déjà ! Encore une fois ! » Qu’à cela ne tienne, ce sera : fier.

Protection de l'enfance

Reportage

Métiers et formations

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur