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Isolement : Des travailleurs sociaux à la rencontre des aidants

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Educatrice, Prescillia Depres, intervient comme "relayeuse" pour offrir du répit aux aidants.

Crédit photo Christian BELLAVIA
Tous les ans, le bus de la Compagnie des aidants sillonne la France. Objectif ? Rompre l’isolement des personnes qui accompagnent leurs proches, les informer sur les aides dont elles peuvent bénéficier, leur proposer des solutions de répit.

Á Toulouse, le soleil brille en ce jour d’automne. Les passants flânent, s’arrêtent, lisent les panneaux d’information accrochés devant le bus, étonnés d’apprendre qu’« aidant » soit un statut à part entière. Pour Djamila, 59 ans, concierge à deux rues de là, qui suspend sa marche entre deux courses, prendre soin de sa mère paraît naturel : « Je m’occupe d’elle comme elle a pris soin de moi quand j’étais petite, c’est un plaisir. » Depuis dix ans, sa maman, alitée, ne bouge plus, ne parle plus et s’étouffe régulièrement. Djamila doit aspirer les glaires qui l’encombrent. Elle bénéficie d’une aide de quatre heures par jour et négocie actuellement une rupture conventionnelle avec son employeur pour se consacrer à son rôle de proche aidante. « Je vis avec la maladie », dit-elle en souriant avec énergie. Près d’elle, Juliette, une jeune femme d’à peine 18 ans, évoque son père, malade de la sclérose en plaques. « Je le vis bien, je l’ai toujours connu comme ça. Je suis venue ici pour ma mère, en burn-out, qui s’occupe de lui. »

Après avoir visité plusieurs villes, en octobre dernier, le bus argenté de la caravane « Tous aidants » s’est installé au cœur de la Ville rose, à deux pas de la station de métro Jean-Jaurès, la plus fréquentée de la métropole. « Nous informons les aidants de solutions existant sur leur territoire et essayons de sensibiliser le public à cette problématique », relate Claudie Kulak, cofondatrice de la Compagnie des aidants. L’idée a germé il y a dix ans, lors d’une rencontre avec un des prestataires de services intervenant auprès de sa tante handicapée qu’elle-même accompagnait. « Je lui ai avoué que j’étais crevée. Il m’a répondu : “Bienvenue chez les aidants !” » Puis, il lui a proposé de participer à une réunion avec d’autres femmes qui éprouvaient les mêmes difficultés. « Quand elles parlaient, elles me racontaient ma vie », se souvient Claudie Kulak. Une vie d’épuisement, de « culpabilité de ne pas en faire assez », d’isolement quand les amis ne passent plus à la maison, de difficultés à trouver du soutien… Ancien chef d’entreprise, son mari projette alors de constituer une grande communauté composée de proches aidants qui partageraient leur expérience.

Aujourd’hui, la Compagnie des aidants propose sur son site 18 tutoriels destinés à promouvoir les « bons gestes ». Mis au point par des infirmiers, des ergothérapeutes et des aidants, ces outils expliquent par exemple comment utiliser un lève-personne ou comment relever quelqu’un qui a chuté. Neuf autres seront bientôt mis en ligne, traitant des accidents vasculaires cérébraux (AVC), de la schizophrénie, de la dépression, de la santé des aidants et, pour les cinq restants, du handicap. Des conseils souvent indispensables car 80 % des soins aux personnes dépendantes à domicile sont dispensés par des aidants. Selon l’institut de sondage Ipsos, en 2020, en France, 11 millions de personnes (dont 500 000 âgées de 18 à 24 ans) ont aidé un proche. La majorité étant des femmes. Dans 83 % des cas, l’aidant appartenait au cercle familial : une fois sur deux, il s’agit d’un de ses parents. La principale cause de dépendance est l’âge, suivie de la maladie et du handicap. Actuellement, 72 % des personnes aidées vivent dans leur propre logement, contre 62 % en 2010.

Orienter et soutenir les aidants

A chaque étape du tour de France qu’elle réalise de l’été à l’automne, la Compagnie recrute des assistantes sociales pour orienter les proches aidants vers les associations locales qui pourraient les soutenir. Aujourd’hui, Christophe, un Franco-Canadien de 67 ans, vient chercher des conseils avec Christine, son ex-compagne et désormais amie aidante : « J’ai eu un accident de vélo très grave. Je ne pouvais plus ni parler, ni marcher. J’ai tout réappris, je me suis reconstruit. » Il s’inquiète pour elle. Sans famille, elle est la seule personne dont il se sente proche. « L’assistante sociale que nous venons de rencontrer nous a donné des contacts pour que Christine puisse parler de ce qu’elle ressent et de ses besoins », précise-t-il, rassuré. Dans le bus, Claudie Kulak se souvient d’une femme rencontrée à Lyon, qui lui avait appris qu’outre son fils de 38 ans atteint d’un cancer, elle soutenait ses parents âgés et sa belle-sœur schizophrène. « Elle est tombée dans mes bras en pleurs. Nous avons discuté longtemps pour dresser le bilan de toutes les aides dont elle pouvait bénéficier. »

Sentiment de culpabilité

Mais l’articulation entre la famille et les professionnels ne s’avère pas toujours évidente, selon Stéphanie Rocher, assistante sociale en libéral. « La famille se sent parfois dépossédée quand quelqu’un de l’extérieur intervient », reconnaît-elle. Cela a été le cas de Fernande : « J’ai gardé pendant deux ans une ordonnance destinée à un infirmier que je n’arrivais pas à appeler. » Pourtant, son conjoint, atteint de DLFT (dégénérescences lobaires fronto-temporales, caractérisées par la mort progressive des neurones) requérait une surveillance constante. « Pour mieux aider mon mari, j’ai suivi une formation sur la maladie d’Alzheimer, dont les symptômes sont assez proches des DLFT. On m’a donné des astuces », souligne Fernande. Mais malgré l’obtention de 36 heures d’aide par mois, elle a fini par craquer. « Je ne pouvais pas dormir », confie-t-elle. Amaigrie, épuisée par ce mari qui ne se souvient plus du nom des objets courants, ne la reconnaît pas et « redevient un enfant », elle a dû se résoudre à le placer dans une institution en avril dernier. Toutefois, ce qui l’a décidée n’est pas la charge de travail mais le risque qu’il puisse tomber de la fenêtre : « On habite au quatrième étage, je me sentais responsable de lui. »

Si l’aidant éprouve parfois des difficultés à déléguer l’accompagnement d’un proche, le phénomène se vérifie encore davantage quand il s’agit d’un petit. « En général, avant l’âge de 12 ans, une mère ne parvient pas à lâcher son enfant », confirme Rosie Moreno, de l’association Agir avec amis, parents et professionnels pour les personnes en situation de handicap(Agapei, ex-Adapei). Située dans le Gers, la Haute-Garonne et le Tarn, l’Agapei accueille 2 200 personnes dans 60 établissements et emploie 1 800 salariés. En compagnie d’Alain Blanc, parent comme elle d’un enfant handicapé, Rosie Moreno représente l’association dans le cadre de la Caravane des aidants. « Nous sommes ici pour réorienter les parents vers des structures adaptées », précise Alain Blanc. A la retraite, il consacre désormais davantage de temps à l’association : « Je suis papa d’un enfant autiste dépendant pour tous les actes de la vie. Quand le handicap nous est tombé dessus, je me suis dit qu’il fallait trouver une solution de répit avant que notre couple tombe à l’eau. A l’époque, ça n’existait pas, nous avons dû attendre qu’il soit pris en charge en journée dans un institut médico-éducatif. »

Baluchonnage et relayage

Depuis une dizaine d’années, le baluchonnage s’est propagé en France de manière un peu informelle. Ce dispositif, inventé au Canada, consiste à remplacer l’aidant à son domicile par un professionnel pour lui permettre de s’absenter quelques heures, voire quelques jours. Encadré à titre expérimental par la loi Essoc du 10 août 2018, il devrait être reconduit jusqu’à la fin 2023, selon le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) en première lecture.

Educatrice spécialisée pendant vingt ans, Prescillia Despres s’est, quant à elle, installée comme relayeuse à temps plein à Toulouse. « J’interviens temporairement à domicile, je me suis spécialisée en gérontologie et handicap », explique-t-elle. Avant toute prestation, elle rencontre la personne qu’elle va accompagner pour évaluer ses attentes. Un bilan valable un an et qui sera réévalué l’année suivante. La professionnelle propose des forfaits de dix heures ou pour des week-ends, du vendredi au dimanche soir. Récemment, elle s’est occupée d’un enfant « un peu volcan » et a canalisé son énergie par de la lecture et des jeux de société. « J’ai tenu compagnie à une dame en attendant que son mari rentre de l’hôpital, raconte-t-elle encore. C’est lui qui s’occupait d’elle au quotidien » Celle qui a mesuré le poids de la culpabilité chez les aidants collabore avec une psychologue formée à la gestion des émotions. Cela peut aider les familles à accepter le placement d’un proche trop dépendant dans un Ehpad.

Tout près d’elle, sous le barnum de la Compagnie des aidants, Argana Bessière, coordinatrice médico-sociale, et Farida Mesbahi, éducatrice spécialisée, travaillent à l’Institut des jeunes aveugles (IJA) de Toulouse. Cette institution a été choisie par l’agence régionale de santé (ARS) pour développer deux unités de répit en Occitanie. L’une s’adresse aux jeunes âgés de 12 à 20 ans et atteints d’une déficience intellectuelle ou de troubles autistiques ; l’autre, à des personnes porteuses d’un handicap rare, sans limite d’âge. Mis en place en 2020, le dispositif destiné aux jeunes a permis d’en accueillir 44, dont 9 sans accompagnement médico-social, 27 suivis par un service d’éducation spéciale et de soins à domicile(Sessad) ou un pôle de compétences et de prestations externalisées (PCPE) et 8 accueillis dans un établissement. La prise en charge s’étend au maximum sur 60 jours par an. « Nous recevons de nombreux appels de familles qui ont besoin d’un temps de pause car beaucoup de jeunes sont sans structure », souligne Argana Bessière. Une équipe pluridisciplinaire se réunit et cherche la solution la plus adaptée. « Souvent, la réponse se trouve dans le collectif entre aidants et professionnels. Nous passons notre quotidien à créer et inventer », commente cette dernière.

Encore trois étapes, et la caravane « Tous aidants » aura bouclé plus de 14 000 km depuis son démarrage en 2018, et réalisé 7 200 entretiens. « Nous sommes aussi là pour faire de la pédagogie. Dans notre société, nous ne parlons pas suffisamment de la perte d’autonomie, ni de la vulnérabilité », conclut Claudie Kulak.

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