L’inquiétude est palpable au sein des milieux associatifs exerçant dans le champ de l’asile. L’arrivée en tête du Rassemblement national (RN) au premier tour des élections législatives anticipées a plongé directions, professionnels et responsables de structures dans un épais brouillard.
Pour les travailleurs sociaux, difficile de se projeter dans un contexte professionnel où les valeurs iraient à contre-courant de celles des financeurs. Faute de visibilité et certainement par peur des représailles, plusieurs organisations ont d’ailleurs fait le choix de ne pas répondre à nos sollicitations pour l’instant.
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Les acteurs craignent en particulier les restrictions des droits liés à l’asile, la politique de priorité nationale ou les sanctions pour les employeurs de personnels en situation irrégulière. « Les équipes sont inquiètes pour les personnes qu’elles accompagnent et sur l’arrivée d’éventuels changements de politiques publiques », pointe Florian Guyot, directeur général de l’association Aurore. « Le principe d’inconditionnalité de l’accueil, qui constitue notre raison d’être, pourrait être attaqué. Son maintien est pourtant une nécessité absolue. Il s’agit du socle d’une société solidaire et fraternelle ! »
Durcissement juridique et budgétaire
Même angoisse du côté de Forum réfugiés. Directeur général de l’association, Sylvain Wozniak anticipe surtout une remise en cause des droits fondamentaux. « On peut craindre que les partis d'extrême droite qui associent l’immigration à l’insécurité souhaitent prendre des mesures limitant le droit de demander l’asile ou plus largement les droits des demandeurs d’asile et ceux des étrangers. Cela créerait une catégorie particulière de personnes aux droits réduits et aux obligations augmentées. En somme, une catégorie de seconde zone. »
Des appréhensions renforcées par un secteur déjà confronté au durcissement du cadre légal à la suite de la promulgation en janvier dernier de la loi « immigration, intégration, asile ». Bien installées dans le champ social, les tensions budgétaires aggravent le phénomène et donnent le sentiment d’aller droit dans le mur. « Nous n’avons pas été revalorisés au regard de l’inflation. Les budgets restent donc extrêmement tendus. Et il en est de même pour les trésoreries », détaille Florian Guyot.
Accroissement du clivage idéologique
Au sein des associations, les conséquences potentielles de la mise en œuvre de ce programme sont déjà anticipées : baisse de moyens, changement des règles de fonctionnement et transformation de lieux d’accueil en lieux d’enfermement et de contrôle. « Sans changer la Constitution, de nombreux biais de contournements législatifs et règlementaires permettent déjà d’attenter aux droits des personnes étrangères », alerte Fanélie Carrey-Conte, secrétaire générale de La Cimade. « Une vingtaine de lois se sont succédé sur les questions migratoires ces quarante dernières années. La dynamique de durcissement est autant valable en France qu’en Europe. »
Jean-Philippe Turpin, directeur d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) géré par La Cimade à Béziers (Hérault), abonde : « On se doute bien que des changements concrets de notre travail adviendront si le RN gouverne. D’autant plus que les jalons sont posés. » Il poursuit : « Nous ressentons déjà un glissement. Des personnes étrangères ont vu leur renouvellement de titre de séjour refusé pour des motifs de troubles à l’ordre public. Et ce, parce qu’ils ont volé à manger il y a quelques années, alors qu’ils étaient sans papiers. Les placements en rétention sont aussi beaucoup plus fréquents lors des sorties de prison. Cela devient une norme qui concerne même des individus sans nationalité. »
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Précarité, santé, scolarité… La tendance est déjà à l’exclusion et à la stigmatisation des personnes étrangères. « Les professionnels et les personnes accompagnées font preuve de courage dans leur mise en œuvre des projets sociaux », explique le directeur général d’Aurore. « Aujourd’hui, dès lors que nous installons un centre, nous faisons face à la défiance des riverains ou de l’entourage régional. Qu’en sera-t-il demain ? Sera-t-on en capacité d’ouvrir des structures et celles qui existent seront-elles maintenues face à la pression ? »
Phénomène de glissement
Les disparités territoriales, déjà sources d’inégalités, risquent, elles aussi, de s’accroître. Garants de la protection de l’enfance, certains départements pourraient, par exemple, décider de faire baisser les prix de journée des structures dédiées à l’accompagnement des mineurs non accompagnés (MNA). Sans moyens éducatifs suffisants pour les opérateurs, les mineurs isolés seraient plus vulnérables face à une éventuelle entrée dans la délinquance ou aux réseaux de traite des êtres humains. « L’ouverture de dispositifs particuliers pour les MNA n’est pas à exclure. C’est assez facile avec des populations très précarisées qui peuvent être différenciées sur des critères ethniques par exemple. Mais ce ne serait bien sûr pas dit comme cela. C’est beaucoup plus insidieux », indique Jean-Philippe Turpin. « Mais même un gouvernement RN ne peut pas se passer des Cada, c’est un bon endroit pour contrôler les demandeurs d’asile », relativise-t-il, cynique.
Sylvain Wozniak conclut : « Avec plus de 100 millions de déplacés dans le monde, la question migratoire est légitime. Le principal problème est qu’elle se concentre sur la peur et l’émotionnel. L’Italie souhaitait se débarrasser des personnes étrangères. Les régularisations n’ont pourtant jamais été aussi nombreuses que depuis l’arrivée au pouvoir de la Première ministre très à droite, Giorgia Meloni. »
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