Recevoir la newsletter

Demandeurs d'asile : La Terre en partage ou la culture de l'intégration

Article réservé aux abonnés

Masud, dans une des serres dédiées au maraîchage

Crédit photo Christian Bellavia
En Haute-Vienne, l’association La Terre en partage réinvente les modalités d’accueil des demandeurs d’asile. Alors que le droit commun les contraint à l’immobilisme, cette association aux pratiques inédites leur propose une immersion culturelle tout en assurant un impact social dans la vie locale.

À la lisière d’une route bordée de champs et de bois de la commune de Saint-Just-le-Martel (Haute-Vienne), deux grands bâtiments s’imposent. Immense édifice monté de vieilles pierres, le premier s’apparente à une grange, quand l’autre se présente comme une grande demeure aux volets vert pâle. « Bon courage ! A tout à l’heure ! », lance depuis le perron un jeune homme souriant à un autre qui quitte les lieux sur un vélo.

Depuis décembre 2018, l’association La Terre en partage investit les dix hectares du lieu-dit Le Mazet. Son ambition ? Expérimenter une nouvelle forme d’accueil pour les demandeurs d’asile durant leur procédure administrative auprès de l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides). Et ceci, afin de leur permettre de débuter leur intégration culturelle sans attendre l’obtention de la protection internationale. « Ici, c’est comme une grande collocation », explique Boris Skierkowski. Cofondateur et coordonnateur du projet qu’il a monté avec son épouse, cet ancien chef d’orchestre est convaincu que l’insertion est plus efficace si elle passe par l’immersion culturelle. « Contrairement aux structures du dispositif national d’accueil, l’intégration s’opère naturellement et à tout moment par le biais d’activités, de cours ou de temps d’échanges », détaille-t-il.

Théoriquement, les requérants à l’asile n’ont ni la possibilité de travailler, ni celle d’apprendre le français durant la procédure administrative, d’une durée moyenne de huit mois. Les 137 046 individus dépositaires d’une première demande d’asile en 2022 (chiffres du ministère de l’Intérieur) se voient contraints de patienter… sans rien faire. Une vie marquée par l’attente. Parmi les primo-arrivants, 55 % s’installent au sein de structures d’hébergement spécifiques telles que les centres d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada), où ils peuvent bénéficier d’un accompagnement psycho-social. Sous-dimensionné, ce contingent contraint les 45 % restants à vivre à la rue, souvent dans des camps de fortune. Près d’un quart d’entre eux ne perçoivent pas l’allocation pour demandeur d’asile (ADA) à laquelle ils ont droit. « C’est une aberration ! Mais selon le gouvernement, il s’agirait de ne pas créer trop d’espoir chez ce public », ironise Boris Skierkowski.

Entretenir des liens informels

Dans la salle d’étude située dans l’aile gauche de la maison, Marie Ferré dispense des cours de français, considéré comme le premier vecteur d’autonomie. Comme elle, une cinquantaine de bénévoles proposent des activités d’accompagnement vers l’intégration : menuiserie, cuisine, sorties culturelles… En ce milieu de matinée, face au tableau, deux jeunes Afghans, Zaki et Sadaqhat, se concentrent. Ici, toutes les personnes étrangères, y compris les francophones, étudient la langue.

Tableaux à craie, appareils électroménagers, matelas… La quasi-totalité des équipements des 500 mètres carrés du lieu de vie émane de dons. En parcourant le rez-de-chaussée où s’empruntent en enfilade le salon, la salle à manger et la cuisine, on découvre une décoration chaleureuse et soignée jusqu’au moindre détail. Posés sur les tables et les buffets, les petits bouquets de fleurs coupées en témoignent. Côté ambiance, rires, musique orientale et effluves de sauce tomate attirent vers la cuisine. Arrivés il y a quinze jours de la frontière italienne, Frank et Ali surveillent la cuisson de deux grosses marmites. Au menu, ce midi : pâtes au pesto et mélange de riz et de haricots verts à la tomate. La gestion de la cohabitation implique un planning strict : ménage et cuisine s’effectuent à tour de rôle.

Outre l’équité autour des tâches quotidiennes, l’objectif est de s’approprier les ustensiles utilisés en France et de se confronter aux différences culturelles : mettre la table, s’asseoir autour, terminer les repas par un dessert… en consommant ce que l’on produit.

Pour les « colocataires », l’entretien du jardin s’avère bénéfique. Autour de la maison, des champs cultivés et de grandes serres font office de décor. Sur les trois hectares dédiés au maraîchage et au bûcheronnage, de jeunes hommes s’activent sous la directive et le regard attentif de Jean-Luc Adamczewski.

A l'entrée du magasin, Jena-Luc Adamczewski échange avec Ali (à droite), arrivé depuis peu, et Jawad
Crédit photo : © Christian Bellavia

« Allume le goutte à goutte. » « Que penses-tu des fraises aujourd’hui ? »… Agé de 73 ans, cet ancien chef d’une entreprise d’horticulture dont la carrière s’est toujours entremêlée avec le travail social officie comme encadrant technique pour La Terre en partage. Les 70 variétés de fruits et légumes bio cultivés impliquent un rythme soutenu. « En arrivant, les demandeurs d’asile ne connaissent pas le nom des outils ni de ce qu’on cultive ici », confie-t-il. « En quatre mois, je les observe déjà communiquer ensemble en français. Mais notre grande réussite, c’est la culture ! » Du semis à la récolte jusqu’à la vente, l’implication des jeunes étrangers les remet en confiance. Une façon de prendre soin d’une santé mentale fragile. Les expériences de vie traumatiques dans le pays d’origine et sur le chemin de l’exil ainsi que l’inquiétude pour la famille engendrent, en effet, de l’anxiété et des problèmes de sommeil. Pour beaucoup, des traitements médicamenteux s’avèrent nécessaires.

L’activité physique et le soin prodigué aux animaux domestiques offrent aussi des bénéfices sur le plan psychologique. « Je peux leur faire confiance. Il n’y a pas de secret, lorsqu’on se sent estimé, le lien se crée naturellement. Le temps passé à travailler la terre permet de se vider la tête et d’échanger de façon informelle. Ils se confient sur leurs sources d’angoisse et sur leurs préoccupations pour l’avenir », explique Jean-Luc Adamczewski, tout en conseillant un habitant des alentours venu chercher des plants de légumes.

Une autre réussite du dispositif tient à son imbrication avec la vie locale. L’auto-alimentation et la vente de produits en circuit court permettent à l’association de générer des fonds propres. L’aménagement en magasin d’une partie de l’ancienne grange permet aux clients de venir s’approvisionner. Culture, vente, accompagnement scolaire… Intégrer le lieu de vie communautaire implique de fournir 15 heures de travaux par semaine.

Un cadre juridique propre

« Il ne s’agit ni de salariat ni de bénévolat mais d’activités solidaires », indique Boris Skierkowski. Aucun cadre légal ne permettant aux demandeurs d’asile d’être salariés, le modèle se calque sur celui de l’association Emmaüs. Organisme d’accueil communautaire et d’activités solidaires (Oacas), La Terre en partage permet aux ressortissants étrangers d’effectuer des missions légalement. « En plus de l’ADA, notre association leur verse 150 € chaque mois », explique son cofondateur.

Le vélo est un vecteur d'autonomie. Un moyen pour les demandeurs d'asile de se rendre à leurs rendez-vous administratifs ou amicaux. 
Crédit photo : Christian Bellavia

Autre credo : l’horizontalité. Après un repas rapidement partagé dans le calme, les 13 résidents se réunissent dans le salon pour le conseil de maison. Liste des courses, rappel des impératifs de formation, réparation des vélos… Chaque semaine, l’organisation du quotidien se discute. Elodie Grosdenier, référente sociale des lieux, annonce la venue d’une infirmière bucco-dentaire pour sensibiliser à l’importance de soins quotidiens. Absent durant trois jours, l’encadrant technique recherche, quant à lui, des volontaires pour l’entretien du potager. Parmi les données partagées, la transparence sur les montants des frais de la vie courante permet de responsabiliser sans infantiliser. Par ailleurs, sur les 12 places que compte le conseil d’administration, trois sont réservées aux résidents.

« Notre particularité est de travailler sur le long terme et de tester pour avancer. Nous privilégions donc l’accueil de personnes qui viennent d’arriver sur le territoire et qui sont orientées par l’Ofii, par des Cada ou par le bouche-à-oreille entre réseaux associatifs, souffle Elodie Grosdenier. Lors de leur départ, elles sont prêtes à vivre de façon autonome. » Avec une moyenne de quinze mois passés sur place, 50 % des usagers obtiennent la protection internationale, contre 29 % ailleurs (chiffres 2022, Ofpra), et 75 % se voient accorder un titre de séjour. Aucun individu ne quitte les lieux sans formation ni contrat de travail.

Inspirations

Insertion

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur