Recevoir la newsletter

Comment prévenir la prostitution des mineurs

Article réservé aux abonnés

Crédit photo BORIS ROESSLER / dpa Picture-Alliance via AFP
Longtemps invisible, la prostitution des mineurs – des garçons mais surtout des filles – est devenue un sujet de préoccupation majeur pour les pouvoirs publics. Parce qu’il touche en particulier des jeunes en situation de vulnérabilité, ce phénomène doit être mieux appréhendé par les travailleurs sociaux, et en particulier par la protection de l’enfance. Ancienne directrice d’une structure suivant les personnes qui se prostituent, la consultante et formatrice Stéphanie Gaudillat accompagne des établissements cherchant à mieux appréhender ce sujet complexe.

Actualités sociales hebdomadaires - Les travailleurs sociaux sont-ils suffisamment armés face à la prostitution des mineurs ?

Stéphanie Gaudillat : Ce problème a été longtemps minimisé, entre autres par les acteurs de la protection de l’enfance. La formation initiale des travailleurs sociaux ne traitait d’ailleurs pas, jusqu’à récemment, de ce sujet jugé trop sensible ou idéologique. L’ampleur du phénomène aujourd’hui, amplifié par Internet, a cependant conduit l’ensemble des acteurs à sonner l’alarme. Cette prise de conscience était nécessaire car les associations savent que la plupart des prostituées adultes l’ont d’abord été mineures. Il y a là un enjeu majeur de protection et de prévention car les professionnels constatent que les victimes sont de plus en plus jeunes, parfois âgées de moins de 10 ans. Dans les foyers, les travailleurs sociaux se sentent submergés par ce phénomène. Au point que certains établissements refusent d’accueillir des jeunes filles en prostitution, de peur qu’elles ne « contaminent » les autres. C’est alors la double peine pour les victimes. Les fugues régulières et prolongées de ces jeunes peuvent également entraîner leur exclusion des dispositifs. Pour éviter la stigmatisation et le refus d’accueil, la tentation est de passer la prostitution sous silence au moment d’une orientation. Mais on tombe alors dans l’écueil inverse puisqu’en ne nommant pas, on en complique la prise en charge.

L’offre de formation est-elle au point ?

Le plan national contre la prostitution des mineurs a eu pour effet la production de ressources auparavant quasi inexistantes et d’une offre de formation encore en construction. Cependant, il faut les adapter aux besoins des travailleurs sociaux car les apports théoriques seuls ne suffisent pas. La formation et le soutien des professionnels doivent aller de pair. Il faut pouvoir travailler à partir de cas pratiques, et leur offrir des espaces de parole et d’élaboration afin qu’ils puissent reconnaître et surmonter leurs difficultés : le sujet peut fasciner, sidérer, effrayer ou dégoûter.

Dans quelle mesure l’image de la prostitution entrave-t-elle sa prise en charge ?

Certains estiment que les jeunes d’aujourd’hui n’ont pas le même rapport au corps, sont prêts à n’importe quoi pour un iPhone. Ces représentations nourrissent le fatalisme face au phénomène. La prostitution ne relève pas de la libre sexualité ; elle est le résultat de vulnérabilités. On oublie trop souvent que derrière cette prostitution se cachent clients, proxénètes et pédocriminels. Ce sujet est fantasmé, entouré de secret, de mensonges, de manipulations. Notre société euphémise, voire glamourise, la prostitution : on met en avant les « sugar daddies », on banalise la marchandisation du corps. Cet imaginaire gomme la réalité de ce que vivent les jeunes victimes, c’est-à-dire la violence des passes, parfois assortie d’actes de torture, les menaces, les nombreux problèmes de santé… Et faute d’une bonne compréhension des conséquences psycho-traumatiques de la prostitution, comme l’absence apparente d’émotion ou la dissociation qu’elle peut entraîner chez les victimes, le risque est de passer à côté de jeunes en danger.

Comment mieux repérer les situations de prostitution ?

Toute fugue, parce qu’elle nécessite de l’argent et/ou un hébergement pour durer, constitue un risque de prostitution. D’autres signes alertent, comme le fait d’avoir plusieurs téléphones, d’être appelé sans arrêt, ou encore de « claquer » de l’argent. La prostitution entraîne très souvent chez les jeunes des addictions pour tenir, des troubles alimentaires ou du sommeil, une hygiène et apparence négligées ou l’excès inverse. En abordant ce sujet, on constate un « effet d’éclairage » parmi les professionnels. Ils se sentent plus sûrs de leur repérage. Se pose alors la question du recueil de la parole des victimes. Certains moments, comme les retours de fugue, sont propices pour nouer un dialogue : c’est pourquoi il paraît important de former non seulement les éducateurs spécialisés, mais aussi les personnels d’accueil ou les surveillants de nuit des foyers.

Par quels moyens engager un dialogue sur un sujet aussi délicat ?

Se montrer sidéré ou gêné par les révélations d’une victime peut la conduire à retomber dans le silence. Il faut donc avoir les bons mots, mais ne pas non plus hésiter à rappeler la loi qui interdit aux adultes d’avoir des relations tarifées avec des mineurs. Une bonne connaissance de la prostitution, des mécanismes d’emprise ou du rapport à l’argent peut permettre aux travailleurs sociaux d’engager un dialogue franc avec les victimes. La santé constitue une autre entrée très pertinente. La prostitution entraîne en effet des problèmes de sommeil, des pathologies somatiques, ainsi que des addictions, la fourniture de drogues étant un moyen de capter les victimes. Travailler à partir de la santé permet de rendre visibles et compréhensibles les conséquences physiologiques et traumatiques de la prostitution.

Comment prévenir l’entrée en prostitution ?

Cela devrait passer avant tout par une prise en charge des conséquences des abus sexuels, qui sont courants parmi les enfants placés et s’avèrent être le principal facteur fragilisant qui favorise l’entrée en prostitution. La prévention passe ensuite par l’éducation à la vie affective et sexuelle, qui permet d’aborder notamment la notion de respect dans les relations amoureuses. Un aspect essentiel quand on sait que les violences de couple commencent dès l’adolescence. La prévention secondaire consiste à avoir des professionnels en capacité de repérer les signaux d’alerte et d’oser en parler. S’appuyer sur des partenaires extérieurs, sujet que l’on aborde également en formation, s’avère également essentiel.

Dans votre ancien emploi, vous avez créé une équipe mobile de lutte contre la prostitution des mineurs. En quoi ce dispositif a-t-il consisté ?

Nous avons mis en place ce dispositif dans le cadre d’un appel à projets qui nous a apporté les moyens dont nous manquions jusqu’alors pour répondre aux nombreuses demandes de conseil et de soutien de travailleurs sociaux. Nous avons démarré par une sensibilisation de trois demi-journées auprès de plus de 150 professionnels en protection de l’enfance du territoire de la métropole de Lyon, au départ, principalement des professionnels en foyers confrontés à des situations complexes puis des acteurs de la prévention, de l’Education nationale également. L’objectif était de créer une culture commune comme préalable à une meilleure prise en charge des jeunes en prostitution sur ce territoire. Nous proposions ensuite un étayage sur des situations en cours d’accompagnement et l’animation ou la co-construction d’ateliers auprès des jeunes.

Quelles méthodes ont fait leurs preuves pour sortir de prostitution ?

C’est un parcours qui prend du temps, parfois des années. A cet égard, les sorties sèches de l’aide sociale à l’enfance posent problème. Une chose est sûre : plus on agit tôt, plus on favorise la prise en charge des conséquences de la prostitution et donc une sortie durable. Beaucoup d’expérimentations se mettent actuellement en place, telles que des séjours de rupture spécifiques ou des modalités d’accueil plus souples. La diversité des projets est à saluer, car ce qui marche pour un jeune ne va pas nécessairement fonctionner pour tous.

Que peuvent faire les cadres des établissements sociaux ?

Encourager les projets d’accueil adaptés à cette problématique, parfois expérimentaux. Et surtout soutenir les équipes dans une posture de protection des mineurs victimes de prostitution, en faisant notamment accompagner les pratiques, ou l’invention de pratiques, des professionnels afin de répondre à ce défi majeur.

Formation

Société

Protection de l'enfance

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur