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Les enfants ont un « scanner affectif » interne très puissant

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Sandrine Porcher

Sandrine Porcher est coach parental, formatrice et auteure de "Parentalité. Se libérer des pièges liés à son éducation" (éd. Chronique sociale)

Crédit photo DR
TRIBUNE - Sandrine Porcher, formatrice, intervient auprès des professionnels dans leur relation aux enfants. Elle explique pourquoi les adultes ne doivent pas dissimuler leurs ressentis au prétexte de vouloir les protéger. Car les enfants ont un « scanner affectif » interne très puissant. Quoi que nous fassions ou disions, ils ne sont pas dupes.

« Les professionnels pensent souvent ;  “Je ne dois pas montrer ce que je ressens à l'enfant, ça ne le regarde pas”, ou bien : “Je ne veux pas risquer qu’il s’inquiète pour moi, c’est moi l’adulte”. Oui, c’est vous l’adulte. Nous sommes d’accord sur le fait que vous êtes responsable de la qualité de la relation avec les jeunes et que vous êtes garant de leur sécurité affective. Pourtant, lorsqu’ils perçoivent vos états internes et que vous leur faites croire que tout va bien, vous leur envoyez des signaux contradictoires.

En effet, si l’enfant vient vers vous parce qu’il pressent que quelque chose ne va pas, qu’il vous le signifie par un contact, un regard ou une question et que vous l’assurez que tout va bien, vous lui transmettez l’idée que son scanner affectif est défectueux et qu’il ne peut donc pas s’y fier. Car il a confiance en vous et va donc vous croire. En grandissant, il apprend à ne plus écouter ses intuitions, sa petite voix intérieure et, devenu adulte, se retrouvera parfois dans des situations qui ne lui conviennent pas alors que, depuis le début, il sentait bien que quelque chose clochait.

Prévenir au lieu de taire

Il est également fréquent d’entendre : “Quand j’arrive au travail, les problèmes de la maison doivent rester à la maison.” Bien évidemment, il ne s’agit pas de s’épancher auprès de vos collègues ou des jeunes sur vos soucis. Si vraiment vous ne vous sentez pas bien, sans doute est-il préférable de prendre un congé, le temps de retrouver la stabilité nécessaire à la réalisation de vos missions. Si vous choisissez d’aller travailler, c’est que vous estimez pouvoir “faire avec”. Alors pourquoi agir comme si tout allait bien ? Qu’est-ce qui vous empêche de prévenir vos collègues (et même les enfants) que vous traversez un moment difficile, que vous êtes plus fatigué que d’habitude et que vous risquez de vous montrer moins patient, plus irritable et que donc vous aurez sans doute besoin de leur soutien.

Ce type de message de prévention vous permettra de vous sentir moins sous pression et vos collègues sauront que les causes de vos réactions sont extérieures. Ils pourront mieux accueillir votre manque de patience et vous proposer de prendre le relais sans se sentir eux-mêmes agacés. Quant aux enfants, ils sentiront que vous êtes “vrai” et qu’ils peuvent donc vous faire confiance. Vous ne pouvez pas empêcher le personnel de s’immiscer dans le professionnel. Faisons bien la différence entre le personnel et le privé. Le privé concerne vos expériences de vie en dehors du travail, votre intimité, et cela ne regarde que vous. Le personnel concerne vos émotions, et cela impacte forcément votre relation aux autres. Alors finalement, qui cherchez-vous vraiment à protéger ? Les jeunes ou vous-même ? Ces derniers peuvent très bien s’accommoder de vos vulnérabilités, à partir du moment où vous en prenez la responsabilité sans leur faire porter.

Bas les masques

Oui, vous êtes l’adulte et l’éducateur, mais vous n’avez pas besoin de porter un masque. Si vous vous contentez de jouer un rôle, vous ne pouvez pas être pleinement présent à la relation à l’autre. Si vous craignez vos émotions, vous serez moins disponible pour accueillir et accompagner les siennes, de peur qu’elles ne réveillent les vôtres. Imaginez qu’un enfant vous confie son inquiétude face au cancer de sa mère. Vous savez qu’elle est gravement malade et ses pleurs vous touchent. Vous sentez vos propres larmes monter et, à cet instant, tentez de les contenir. Votre énergie se trouve alors focalisée sur le maintien d’une attitude que vous estimez appropriée. Mais, de ce fait, vous n’êtes plus disponible pour l’écouter vraiment. Vous faites de votre mieux pour lui cacher et risquez d’avoir une réponse du type : “Ne t’inquiète pas, ça va aller”, en souhaitant passer vite à autre chose.

Ce n’est pourtant pas ce que l’enfant a besoin d’entendre à ce moment-là. Mais comme il a envie de vous croire et qu’il sent que son émotion vous met mal à l’aise, il va lui aussi tenter de contenir ses larmes. Chacun met toute son énergie à refouler ce qu’il ressent et repart en faisant bonne figure, comme si de rien n’était. En refusant de vous connecter à vos états internes, vous avez raté le contact avec lui et l’avez finalement, sans le vouloir, privé d’un moment de partage libérateur. Il s’agit de laisser l’émotion vous traverser afin d’être en mesure d’accueillir pleinement la sienne : “Tu t’inquiètes pour ta maman et c’est bien normal. Je suis touché par ce que tu vis. Je suis là pour toi.”

L’empathie est un soutien puissant à la relation d’aide. Qu’est-ce qui nous pousse donc à vouloir cacher nos états internes ? La pudeur, sans doute. La croyance selon laquelle la vulnérabilité est une faiblesse et que l’adulte doit se montrer fort pour l’enfant beaucoup plus certainement… Et si le courage et la force se situaient plutôt du côté de l’authenticité ? Et si, au lieu de faire croire aux plus jeunes que l’adulte sait, qu’il est infaillible, nous osions être nous-même en assumant nos besoins, nos limites et nos émotions ? Et si nos attitudes devenaient modélisables pour les plus petits ?

L’exemplarité

L’enfant apprend beaucoup en observant et en imitant. Chaque fois que vous êtes capable de poser des mots sur ce que vous ressentez, chaque fois que vous prenez soin de vous dans la relation, tout en tenant compte de lui, vous lui montrez qu’il est possible de se prendre au sérieux et de vivre une relation saine et équilibrée. Si le nourrisson mérite qu’on fasse passer ses besoins avant les nôtres, il va progressivement apprendre à différer ses pulsions pour composer avec le monde qui l’entoure. Ce dont il a le plus besoin pour cela, c’est d’un adulte fiable sur lequel il sait pouvoir s’appuyer. Cette fiabilité est liée à votre congruence, c’est-à-dire à votre capacité d’être, aussi souvent que possible, en accord entre ce que vous pensez, dites, ressentez et faites. Nous parlons également d’“alignement intérieur”.

Ainsi, si vous vous sentez agacé ou démuni face au comportement d’un petit, exprimez-le de manière simple, sans juger ni critiquer ses agissements.

Par exemple, plutôt que de dire : “Je t’ai déjà dit de ne pas grimper sur ce meuble, tu es pénible à la fin !”, préférez : “Tu te souviens, je ne veux pas que tu grimpes sur ce meuble. Je suis fatigué de te le répéter.” Et accompagnez-le vers un espace dans lequel il pourra assouvir son besoin de bouger. Et s’il vous sent fâché et vous sourit alors que vous exprimez votre mécontentement, c’est juste un moyen pour lui de revenir à une relation agréable, ce qu’il a appris quand il a découvert le rôle du sourire social. Il ne se moque pas de vous, ni ne vous provoque. Il a compris depuis bébé que lorsqu’il souriait, il obtenait en général un sourire en retour.

Au contraire, lorsque vous vous énervez, n’ayant pas de mauvaise intention, il ne comprend pas votre réaction et peut donc avoir tendance à reproduire le comportement contre lequel vous luttez, non pour s’opposer, mais pour vérifier ce qui se passe. Et tant qu’il n’aura pas une réponse congruente pour le rassurer, il risque de recommencer. En effet, lorsque vous vous agacez, vous n’êtes plus aligné à l’intérieur et vous n’êtes donc plus stable, ni fiable. L’enfant vous bouscule et vous vous trouvez déstabilisé, déséquilibré, ce qui l’insécurise. Et en grandissant, il apprendra que ce sourire, qu’il souhaitait réparateur, provoque des réactions d’opposition et alimente un jeu relationnel dominant-dominé qu’il n’aura pas envie de perdre.

Bien évidemment, il est impossible d’être en permanence congruent. L’exemplarité n’est pas la perfection. Et il ne s’agit vraiment pas de culpabiliser quand vous n’y parvenez pas.

Pour autant, il semble important de comprendre les enjeux de la congruence dans la qualité de l’interaction et de la viser comme un objectif. Et chaque fois que vous la ratez, vous pourrez revenir après coup sur ce qui s’est passé, vous excuser si vous en éprouvez le besoin, et surtout prendre la responsabilité de la qualité de l’interaction et de la relation. Ainsi, vous lui apprenez que l’erreur est humaine, que nous sommes tous faillibles et vulnérables et que cela n’empêche pas de se montrer courageux, digne, humble et empathique. S’autoriser à être soi, sans faux-semblants, sans non-dits est très libérateur. »

Pour aller plus loin : debat.ash@info6tm.com

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