Notre local d’équipe est situé à dix minutes à pied du quartier. C’est un lieu qui nous permet de respirer dans la journée, entre deux moments de travail de rue. La rue, j’en « mange » beaucoup. C’est à certains moments éprouvant, tant les murs, les tours, l’ambiance me renvoient parfois l’enfermement et la violence.
Mais, à d’autres moments, un sentiment de légèreté m’habite. Ces mêmes murs, ces mêmes tours, ces mêmes regards que je peux vivre comme hostiles deviennent parfois plus tranquilles, laissent ressentir l’accueil et la convivialité. J’ai appris que, dans le travail de rue, il importe de parvenir à s’écouter. Quand je dis « s’écouter », c’est être à l’écoute de sa propre humeur tout en prenant en compte l’ambiance du quartier.
Ce mercredi après-midi, c’est presque en sifflant joyeusement que je prends la direction de notre local, pour une petite pause-café. Je quitte la place principale, passe le portail et arrive ainsi sur l’avenue des commerces. Au croisement, il y a une friche, un petit coin de verdure au beau milieu du bruit des voitures et du béton.
Au moment de traverser, j’entends une voix : « Thomas, oh-oh-oh ! Thomas, ouaip ! Thomas ! » Je me retourne et aperçois trois jeunes que je connais bien. Ils sont derrière la grille, au milieu des arbustes. Je m’approche : « Salut les gars, comment ça va ? Mais vous faites quoi, au milieu de la pampa ? » Karim me répond : « On a fait une cabane, viens, tu seras notre premier invité. »
Ils me font rire. Parfois, le quartier peut être vraiment attachant. Je contourne la grille, grimpe sur le muret, me faufile entre les ronces et les rejoins dans un petit espace qu’ils ont dégagé.
Sofiane m’accueille. « Faites place à notre premier invité. Monsieur Jean-Sébastien, veuillez installer Monsieur Thomas. » Les gamins ont trouvé une table et des chaises dans une décharge sauvage. Ils ont installé un salon en bordure de route. Karim, alias Jean-Sébastien, recule une chaise, et s’incline pour me convier à m’asseoir. Yohan, le troisième de la bande, me propose de boire un café imaginaire, que j’accepte volontiers.
« Alors, Thomas, elle est pas trop bien, notre cabane ? Mais faut garder l’endroit secret, sinon tout le monde va venir squatter. » Je réponds à Karim : « Oui, elle est vraiment stylée, votre cabane. Par contre, niveau discrétion… » Je tourne la tête en direction de la rue et croise le regard de passants mi-étonnés, mi-amusés. « Ouaip, t’as raison, on va mettre des feuillages sur la grille », répond très sérieusement Sofiane.
On papote un peu, et je siffle mon café imaginaire. « Bon, les gars, merci beaucoup pour l’invitation et pour le café, mais je dois y aller. » « Ce fut un plaisir. Jean-Sébastien, veuillez ramener Monsieur Thomas à la porte. Et Thomas, pense à nous si tu as une sortie ! » Petit clin d’œil.
Je pars le cœur léger boire un vrai café dans mon local.