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Accidents du travail : agir sur les facteurs organisationnels

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Crédit photo Mediaphotos - stock.adobe.com
Selon l’assurance maladie, l’hébergement des personnes âgées et l’aide à domicile font partie des activités générant le plus d’accidents du travail pour les salariés. Malgré leurs efforts, les directions se trouvent dans l’impasse face à leur fréquence, générant des journées d’absence. Pour Stéphane Coillard, docteur en sciences de gestion et auteur d’une thèse soutenue à l’université de Pau et des Pays de l’Adour, divers facteurs comme le marché du travail, la géographie, mais aussi l’autonomie et le soutien dans le travail contribuent à la hausse ou à la baisse de la sinistralité.

Actualités sociales hebdomadaires - Pourquoi vous être intéressé à la question des accidents du travail ?

Stéphane Coillard : Malgré les progrès accomplis grâce à l’ergonomie, la fréquence des accidents du travail a recommencé à augmenter. On peine à en expliquer les causes, alors même que l’environnement comme les conditions de travail s’améliorent globalement de façon continue. Ma thèse m’a permis d’accéder aux données d’accidentologie de 1 100 établissements et services sanitaires et médico-sociaux en Nouvelle-Aquitaine, fournies par la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat). J’ai pu croiser ces chiffres avec des variables locales telles que le taux de chômage, le niveau de revenu moyen, la taille des établissements, ou encore des facteurs de type organisationnel tels que le temps de travail, la qualité du management, ou le soutien social… C’était l’opportunité d’analyser le phénomène des accidents du travail sous l’angle des sciences de gestion plutôt que de l’ergonomie, afin de proposer de nouvelles solutions aux employeurs.

Comment les accidents du travail sont-ils habituellement gérés ?

Les accidents les plus courants sont des chutes de plain-pied ou des mouvements qui entraînent des blessures comme des entorses, des déchirures musculaires… Les victimes vivent souvent ces accidents comme une fatalité, le résultat d’un système où elles ont manqué de chance et ont échoué à se protéger individuellement. Les réponses apportées par les établissements, elles, sont essentiellement techniques : elles visent par exemple à prévenir les chutes causées par les glissades en marquant les endroits mouillés, ou à installer des rails de portage afin de réduire le port de charges lourdes. Les employeurs continuent d’investir dans des solutions ergonomiques, au prix d’investissements élevés. Ils recourent aussi aux formations pour prévenir les risques professionnels, mais celles-ci doivent être démultipliées pour avoir un réel impact. Les directions négligent, en revanche, les facteurs organisationnels, alors que ce levier pourrait constituer une source de progrès efficace et moins coûteuse.

Quels sont les résultats de vos recherches ?

Dans des établissements à caractéristiques similaires, on constate d’importants écarts dans la fréquence des accidents. Ils peuvent être liés au marché du travail et à la localisation territoriale. Un haut niveau de chômage tend à accroître l’occurrence des accidents du travail tandis que les bas revenus des salariés les conduisent à poursuivre ou reprendre le travail rapidement, malgré les effets néfastes des accidents. La précarité des emplois dans des zones économiquement sinistrées peut aussi encourager la prise de risque. Les aires les plus rurales présentent une augmentation forte du taux de gravité des accidents du travail car le personnel y intervenant, notamment dans l’aide à domicile, est plus âgé et moins formé. Par ailleurs, les temps partiels qui caractérisent cette activité augmentent la sinistralité. D’où l’importance de développer des temps pleins et d’éviter la baisse d’activité. Au-delà de ces variables extérieures, on observe aussi un effet lié à la taille des établissements : la fréquence des accidents augmente avec les effectifs, au-delà du seuil de 25 salariés, dans le cas des Ehpad, par exemple. Par leur management de proximité, les petites structures sont davantage susceptibles d’apporter du soutien à leurs salariés. Ce qui joue un rôle protecteur. A l’inverse, dans le cas de l’aide à domicile, les structures qui comptent moins de 15 employés tendent à connaître davantage d’accidents en raison du manque de personnel susceptible d’apporter du soutien.

À l’échelle des employeurs, qu’est-ce qui peut faire la différence ?

Ma thèse m’a permis d’explorer le poids des variables organisationnelles dans les accidents du travail. Il est très frappant de constater qu’ils sont plus fréquents lorsque le travail est exclusivement dirigé par des ordres et procédures, sans autonomie. A l’inverse, les établissements à faible sinistralité orientent davantage leurs services vers les usagers, laissent plus de place à la relation entre employé et bénéficiaire, et par voie de conséquence, renforcent leur capacité de décision individuelle et/ou en concertation avec les collègues. Par ailleurs, les salariés ayant l’intention de quitter leur emploi connaissent moins d’accidents, car ils veillent à leur employabilité. D’où l’intérêt à laisser vivre l’intention d’évoluer sur le plan professionnel afin de réduire la sinistralité, en donnant accès à la formation professionnelle, par exemple.

Comment cela se traduit-il dans le management au quotidien ?

Les établissements qui enregistrent peu d’accidents du travail ont un discours clair sur leurs attendus, tout en accordant de l’autonomie à leurs salariés. Dans ces configurations, les employés réalisent les tâches prévues dans leur fiche de poste. Une aide à domicile à qui une personne âgée demandera de changer une ampoule pourra refuser en ayant la confirmation et l’appui de sa hiérarchie. Dès qu’on sort du cadre habituel des missions, les risques d’accident augmentent et le stress s’accroît lorsqu’on abandonne les salariés à eux-mêmes. L’absence de directives peut en effet cacher plusieurs objectifs implicites multiples voire contradictoires : être au service exclusif des bénéficiaires, être rentable, ne pas avoir d’accidents… Il en résulte de la confusion chez les professionnels, qui ne savent plus pourquoi ils font certaines choses.

Quelles sont vos préconisations pour réduire les accidents ?

Dans le secteur de l’aide à domicile, une mesure prioritaire consisterait à se rapprocher le plus possible du temps plein pour réduire l’incertitude professionnelle et le sentiment de précarité, générateurs de risques. De ce point de vue, la comptabilisation des temps de déplacement qu’intègrent certaines structures d’aide à domicile, grâce au soutien des départements, est encourageante. L’intégration des temps d’échange dans ces emplois, encore peu courante, serait aussi intéressante. Corollaire du temps plein, la nécessité de répéter les gestes professionnels afin de réduire les risques d’accidents implique d’en valoriser le sens. Cela signifie, par exemple, de présenter la toilette comme une action rendant de la dignité aux personnes plutôt que comme une tâche humiliante. Enfin, les employeurs doivent sortir de cette vision faussée de cette autonomie qui consiste à livrer les salariés à eux-mêmes. Les objectifs fixés aux salariés doivent être clairs, sans injonctions paradoxales.

Vous soulignez également l’enjeu de la culture professionnelle…

Mes résultats montrent que l’abnégation est associée à l’accident pour les employés mais pas pour les employeurs. Mon hypothèse est que les employeurs doivent porter un projet fort au service des bénéficiaires mais qu’ils ne doivent pas contraindre les employés à se sacrifier au profit de leurs bénéficiaires. Au contraire, les employés doivent travailler dans un cadre régulé par une fiche de poste, des missions, des tâches, un cadre professionnel qui les protège de demandes incongrues, de tension de rôle, de doutes sur le sens de leurs actions. L’abnégation doit être forte pour l’établissement et faible pour les employés. L’inverse crée les conditions d’un maximum de prise de risque et d’accidents. Ces deux messages, qui paraissent contradictoires, peuvent être compatibles. On observe une telle culture chez les pompiers : leur objectif est de sauver des vies, mais à condition d’abord de pouvoir se protéger eux-mêmes.

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