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Réseaux sociaux : renforcer la compétence des professionnels

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Crédit photo Rawpixel.com - stock.adobe.com
Snapchat, TikTok, jeux vidéo, nudes… Les professionnels de la protection de l’enfance sont fréquemment désemparés face à l’univers numérique des jeunes. Selon Thomas Rohmer, fondateur de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (Open), qui organise des formations spécifiques auprès de l’aide sociale à l’enfance, de la protection judiciaire de la jeunesse ou des centres sociaux, l’objectif est surtout d’accompagner les adultes « à faire un pas de côté », pour comprendre ce que ces pratiques numériques révèlent de la réalité des jeunes et ainsi mieux les appréhender.

Comment l’Observatoire de la Parentalité et de l’éducation Numérique est-il né ?

A travers mon travail de sensibilisation au sein de l’Education nationale, j’ai constaté un grand manque d’efficacité autour des sujets qui concernent les réseaux sociaux et autres. L’une des raisons expliquant, selon moi, ce dysfonctionnement était le manque d’implication des sphères parentale et professionnelle. L’impact du numérique sur la construction des jeunes interroge et inquiète bien souvent les adultes. Il vient bousculer le préétabli, en remettant en question des postures éducatives qui sont souvent plus complexes à déployer qu’auparavant. Ainsi, il m’a semblé qu’il fallait tout simplement s’adresser aux adultes en priorité. Quand on y réfléchit, c’est somme toute assez logique puisque ce sont eux qui créent les outils et qui équipent les jeunes. Par conséquent, ils ont peut-être une obligation de penser à la manière de les accompagner. Quand on me demande à partir de quel âge un adolescent peut avoir accès aux plateformes, je rappelle comme point de départ les conditions générales d’utilisation, qui indiquent entre 13 et 15 ans, avec le consentement de la personne exerçant l’autorité parentale. Ces règles montrent bien l’hypocrisie sociétale actuelle, avec des textes totalement déconnectés de la réalité. On ne cesse de faire porter aux jeunes l’incapacité des adultes à faire appliquer des règlements qu’ils ont eux-mêmes décidés.

Le changement de posture des professionnels est-il donc essentiel, selon vous ?

Ces derniers ne sont que les victimes collatérales d’un mode de fonctionnement avec des messages souvent très contradictoires et véhiculés par les médias et par la société. En apportant de la nuance et en étayant notre discours au regard des connaissances, notamment scientifiques sur les enjeux de santé, nous tentons d’amener les professionnels à se forger leur propre opinion, à la fois dans leurs pratiques personnelles et au travail. Notre observatoire produit ses propres études pour aider à alimenter cette réflexion. L’idée est d’inciter les adultes à faire un pas de côté pour regarder différemment les pratiques des jeunes et ne pas faire porter au numérique toute la responsabilité de leurs comportements. Le jugement ne sert à rien non plus, car la plupart des conduites à risques qui découlent de l’utilisation de ces outils sont des signaux qui parlent surtout de l’état de santé mentale des jeunes. En renforçant la compétence des professionnels, ils peuvent se sentir légitimes et ainsi lever les leviers de blocage. Pour accompagner un jeune sur TikTok, par exemple, il n’est pas nécessaire de comprendre comment cela fonctionne. Paradoxalement, le besoin d’accompagnement est également important pour les jeunes professionnels, car ils sont eux-mêmes empreints d’une grille de lecture liée à leurs propres habitudes. Importante est également, la notion d’exemplarité : certains travailleurs sociaux dans les foyers se posent la question de la régulation de l’usage du smartphone. Mais si dans le même temps ils pénètrent dans la chambre de l’adolescent avec leur propre téléphone à la main, les yeux rivés sur leur propre réseau social, ils sont en pleine contradiction. Symboliquement, il est important de montrer que les adultes savent, par moments, s’appliquer un cadre et le respecter, au moins en termes d’affichage.

Concrètement, quels enjeux peuvent ainsi être soulevés ?

Nous amenons les professionnels à se questionner sur la manière de gérer le phénomène des « nudes », d’envoyer des photos dénudées par le biais des réseaux sociaux ou de messageries privées. A cet égard, nous observons des postures très différentes chez les travailleurs sociaux. Certains sont dans l’évitement du risque et vont confisquer le smartphone alors que d’autres s’efforcent davantage d’être dans la compréhension. Nous essayons de les pousser dans ce sens-là, en les aidant à comprendre les enjeux, pour leur permettre ensuite d’adapter leur posture professionnelle en fonction des situations et d’être en capacité de les contextualiser. Il n’est pas possible de généraliser l’approche mais si les professionnels ne sont pas suffisamment outillés en amont dans leur capacité de réflexion, le risque est de tomber dans les poncifs habituels : moraliser la pratique du jeune ou la diaboliser. Aujourd’hui, nous sommes surtout dans une logique d’évitement des risques. Mais il faut remettre en perspective les enjeux éducatifs. Qu’on le veuille ou non, ces outils sont au cœur d’un processus de construction des adolescents.

Une réflexion au niveau institutionnel s’avère-t-elle également nécessaire ?

Actuellement, on nous demande surtout d’intervenir pour venir renforcer les compétences professionnelles des acteurs sur des thèmes un peu pointus. Mais il existe effectivement un manque de réflexion stratégique, de prévention primaire de la part des institutions. Nous passons notre temps à opérer comme des sapeurs-pompiers, à intervenir face à des problèmes d’urgence. Il y a aussi des phénomènes de mode, d’impulsions, donnés en termes de fléchage budgétaire pour mettre l’accent sur certains sujets. Il faut pouvoir gérer l’urgence mais aussi la situation en amont, pour éviter l’urgence. Nous sommes trop souvent enfermés dans une logique court-termiste de solutionnement rapide des problèmes.

Les professionnels travaillent de plus en plus avec les réseaux sociaux. Quelles questions cela pose-t-il ?

Pour les éducateurs, ces outils pourraient être facilitateurs et même un prolongement naturel de leur métier, mais le problème est que leur utilisation reste là encore peu pensée en amont par les institutions. Cet usage doit pourtant être bien encadré. Confier un téléphone portable à un travailleur social peut représenter pour lui une importante charge mentale. Lorsqu’un éducateur se crée un compte sur un réseau, il faudrait pouvoir s’assurer de l’existence d’un cadre statutaire suffisamment protecteur avec des règles préalablement établies, afin qu’il puisse les répercuter auprès des jeunes qu’il accompagne. Le principe de ces réseaux est l’instantanéité, le fait d’être joignable 24heures sur 24, 7 jours sur 7. Mais que se passe-t-il lorsqu’un éducateur est de repos, qu’il n’est pas d’astreinte, ou tout simplement en congé ? Parfois la volonté d’« aller vers » à tout prix peut mettre les professionnels en difficulté, voire en danger, dans une société qui se judiciarise de plus en plus.

Quel accompagnement éducatif mettre en place dans un univers qui dépasse parfois les adultes ?

Nous voyons en effet régulièrement émerger des initiatives vers des réseaux sur lesquels les adultes se sentent spontanément plus à l’aise, tels que Facebook. Mais on oublie qu’il n’y a plus aucun jeune sur ces réseaux, même Instagram est aujourd’hui vieillissant. Nous sommes dans un écosystème hyper-dynamique, où tout va très vite. Le risque est de déployer des dispositifs qui sont inopérants. Cet accompagnement éducatif autour du numérique reste encore ici et là bridé et paralysé par une espèce de fracture générationnelle. Voilà un mois, par exemple, nous intervenions auprès de travailleurs sociaux de l’ASE qui nous racontaient que leur chef de service ne voyait pas l’intérêt d’aller sur Snapchat. Les éducateurs, dans ce cas, se sentent souvent isolés, voire se remettent en question professionnellement. Il nous apparaît nécessaire que les équipes et les responsables soient tous sensibilisés. Cela permet d’ouvrir le dialogue et d’avancer ensemble en analyse de pratiques sur la situation d’un jeune. C’est particulièrement important en ce qui concerne le numérique, je pense, car tout le monde a son opinion sur le sujet. Or, si le professionnel a bénéficié de la formation et qu’il est dans une volonté de remise en question de ses pratiques tandis qu’il n’est pas suivi par sa hiérarchie, les conséquences peuvent être délétères.

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