Recevoir la newsletter

Migrants : il faut fermer les zones d’attente

Article réservé aux abonnés

Alexandre Moreau et Laure Palun 

Crédit photo DR
TRIBUNE - Après la création de la zone d’attente de Toulon à la suite du débarquement des personnes secourues par l’Ocean Viking, l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé) estime qu’il est temps d’abolir la détention administrative des personnes étrangères aux frontières.

« Le 11 novembre dernier, après plus de vingt jours d’errance en mer, l’Ocean Viking recevait une autorisation de débarquer dans le port de Toulon. Alors que le ministre de l’Intérieur annonçait un “geste d’humanité”, la réalité pour les personnes rescapées était bien loin du respect des droits humains. Le choix des autorités françaises ne s’est pas porté sur le secours, l’accueil et la protection mais sur l’enfermement. La veille du débarquement du bateau, le préfet du Var a pris un arrêté de création d’une zone d’attente temporaire à Toulon sur deux emplacements : la base militaire navale et un village de vacances. En enfermant les 234 personnes rescapées, les autorités françaises ont fait le choix de la répression de la migration et non celui de la protection des survivants.

Violations systémiques des droits

En créant une zone d’attente sur une base militaire, les autorités ont volontairement écarté les associations, dont l’Anafé, les journalistes et les parlementaires, en les empêchant d’entrer et d’exercer un droit de regard citoyen sur les conditions d’enfermement. Alors que toutes les personnes ont demandé l’asile en descendant du bateau, les autorités françaises ont eu recours à la procédure d’asile à la frontière qui a pour objectif le filtrage des personnes enfermées en zone d’attente. Les conditions d’entretien avec l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) n’ont pas respecté l’obligation de confidentialité. L’interprétariat a été défaillant. Le droit à l’assistance juridique a été entravé – les avocats et les associations de défense des droits n’ayant pas pu exercer leur mission faute de locaux et de matériel disponibles. Les personnes rescapées n’ont pas compris pourquoi elles étaient enfermées, pourquoi, après avoir failli mourir, elles étaient si maltraitées. La prise en charge psychologique des personnes ayant failli périr en mer n’a pas pu avoir lieu en raison des conditions matérielles défaillantes. La présence policière était plus importante que celle des personnes hébergées.

Les déclarations du ministre de l’Intérieur indiquant que des dizaines de personnes seraient expulsées piétinaient le principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève sur le statut des réfugiés et le droit au recours consacré par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Ses annonces indiquant qu’il avait pris contact, alors que les demandes d’asile étaient en cours, avec les pays de nationalité des personnes constituaient une violation grave et manifeste du droit d’asile.

Grâce à la mobilisation de l’Anafé et de ses partenaires associatifs, d’avocats, d’élus et de relais médiatiques, 186 personnes ont été libérées et ont pu poursuivre leur quête de protection sur le territoire.

L’arrivée de l’Ocean Viking est un exemple de plus de la crise de la solidarité et de l’accueil. Toutes les personnes secourues auraient dû bénéficier (comme ce fut le cas des ressortissants ukrainiens en 2022) d’un accueil directement sur le territoire français afin de leur permettre de se reposer et de bénéficier d’un accompagnement social, médical, psychologique, juridique, et d’un hébergement approprié avant que leur demande d’asile ou leur minorité ne soient évaluées. La gestion calamiteuse des personnes sauvées par l’Ocean Viking est un véritable camouflet pour le gouvernement. Elle est l’exact reflet des politiques migratoires française et européenne. Incapables d’assumer la nécessité d’une réponse humanitaire et respectueuse des droits humains face aux drames de la Méditerranée, les autorités françaises ont une fois de plus privilégié le tri et l’enfermement.

Un régime de sous-droits

Ce qui a été médiatisé à Toulon se passe quotidiennement dans les 98 autres zones d’attente. C’est ce que l’Anafé dénonce depuis trente ans. Enfermer, ce n’est pas secourir. Enfermer, ce n’est pas protéger. Enfermer, ce n’est pas accueillir.

Chaque année, en moyenne, les autorités françaises enferment plus de 10 000 personnes en zone d’attente, sans compter les milliers de personnes enfermées dans les lieux privatifs de liberté illégaux à la frontière franco-italienne. La zone d’attente est un espace juridique situé hors du territoire français, permettant d’appliquer un triptyque : trier, enfermer, expulser. Lorsque les personnes se présentent à une frontière, elles sont interceptées et contrôlées. Si les conditions d’entrée ou de séjour ne sont pas réunies, si les personnes demandent l’asile ou si la police considère qu’elles représentent “un risque migratoire”, la police trie, enferme, renvoie. Qu’il s’agisse d’adultes ou d’enfants, de familles ou de personnes isolées, le principe est le même : ici, on enferme !

La zone d’attente permet de soustraire les personnes aux droits garantis sur le territoire en vertu des engagements internationaux de la France. Espace clos de surveillance et d’invisibilisation, elle maintient les personnes enfermées et les pratiques des autorités loin des regards. Cet éloignement mène trop fréquemment à des abus, des violations et des violences.

Depuis trente ans, l’Anafé documente les violations des droits en zone d’attente : refus ou entraves aux soins, nourriture ou eau en quantité insuffisante, locaux insalubres, conditions d’hygiène dégradées, non-respect du droit d’asile, absence d’informations sur les droits et procédures, interprétariat défaillant, absence de contrôle du juge… Trop nombreux sont les témoignages de personnes souffrant de stress post-traumatiques (surtout des enfants) généré par la zone d’attente, de femmes faisant une fausse-couche, ou de propos stigmatisants, racistes, sexistes, LGBTphobes, d’intimidation ou de violences.

Outil de criminalisation des migrations

Chaque année, la France sacrifie l’accueil et la protection des exilés sur l’autel d’un supposé impératif de protection des frontières. Cette politique migratoire délétère, basée sur l’enfermement, a été rendue possible par des discours xénophobes martelés ad nauseam. Ces discours ont progressivement infusé dans les politiques mises en place et une partie de l’opinion publique apeurée par la désinformation, la manipulation des chiffres et les prophéties de mauvais augure. Les discours racistes ont désigné ces personnes comme un danger, ont imposé des restrictions et privations de droits et instillé l’idée que l’enfermement serait un mal nécessaire.

L’enfermement est un outil puissant de criminalisation des personnes en migration. Il est vécu par elles comme un outil de répression pour avoir migré. La zone d’attente fait partie de “l’archipel des camps” d’étrangers de la forteresse Europe. Elle consiste à “encamper”, à mettre à l’écart, à gérer le corps d’individus considérés et désignés comme indésirables. Le fiasco de l’accueil des personnes sauvées par l’Ocean Viking doit permettre d’ouvrir les yeux et de tirer les leçons de trente années de violation des droits : l’enfermement aux frontières est résolument incompatible avec le respect des droits fondamentaux et de la dignité des personnes en migration.

Edicter une politique migratoire européenne et française qui respecte les droits fondamentaux et la dignité des personnes en migration est la seule solution possible pour respecter les valeurs humanistes de l’Europe, restaurer le lien social et permettre l’intégration au sein de la société française des personnes qui se présentent aux frontières européennes. Il est donc primordial d’abolir l’enfermement administratif des personnes étrangères. »

Pour aller plus loin : debat.ash@info6tm.com

Idées

Société

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur