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« On vend l’inclusion sans se soucier de sa mise en œuvre »

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Magali Jeancler

Enseignante, Magali Jeancler est l’auteure de L’Envers de l’école inclusive (éd. Gallimard, 2022).

Crédit photo DR
Si l’inclusion des élèves en situation de handicap est une noble idée sur le papier, en pratique, elle confine parfois à la maltraitance, estime Magali Jeancler, professeure des écoles en réseau d’éducation prioritaire, dans un livre qui mêle témoignage et analyse. Au-delà du manque de moyens, elle dénonce le recul de l’Etat social.

Actualités sociales hebdomadaires - Qu’est-ce qui vous a incitée à écrire ce livre sur l’école inclusive ?

Magali Jeancler : En tant qu’enseignant, on se questionne souvent sur nos pratiques. Concernant l’accueil d’enfants handicapés dans ma classe, j’avais des doutes depuis plusieurs années. Jusqu’au cas d’un élève autiste, en 2017, dont je parle dans ce livre car il incarne toutes les difficultés et paradoxes auxquels on peut se confronter. Tant ma propre impuissance face à la situation, mon absence de formation, que la souffrance de mon élève m’ont poussée à écrire. Car si au fil des années le nombre d’élèves en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire ne cesse d’augmenter, les conditions de leur accueil sont le plus souvent indignes. A l’écoute des discours politiques, j’ai ainsi eu l’impression d’une immense hypocrisie : on brandit le prétexte de l’égalité devant l’instruction, on vend l’inclusion comme un grand progrès, sans se soucier de la qualité de sa mise en œuvre. En réalité, on attend qu’un professeur soit également un soignant sans y mettre les moyens.

Le problème vient-il uniquement du manque de moyens ?

La question des moyens est évidemment fondamentale. J’ai l’impression qu’on détricote ce qu’on avait pourtant posé comme essentiel à une bonne inclusion. A savoir l’accompagnement humain, le partenariat entre l’Education nationale et le médico-social – inexistant dans les faits –, et la mise en place d’un projet personnalisé de scolarisation rédigé par les équipes soignantes. Aujourd’hui, ce projet doit être élaboré par les enseignants eux-mêmes. De la même manière, on abandonne l’appui individuel au profit d’un accompagnement mutualisé pour plusieurs élèves en situation de handicap. Quant au personnel accompagnant les enseignants en classe, comme les AESH, la massification des inclusions, amplifiée par une désinstitutionnalisation accélérée en 2019, n’a jamais été suivie d’un recrutement d’auxiliaires scolaires en proportion suffisante. Entre 2015 et 2019, le nombre de notifications d’accompagnement établies par la MDPH a augmenté deux fois plus que le nombre de postes. Sur l’académie de Paris, 300 démissions de personnels accompagnants ont eu lieu à l’été 2021, soit 10 % des effectifs. Mais au-delà des moyens, l’inclusion indifférenciée des handicaps confine aussi à la maltraitance de certains enfants, en particulier ceux souffrant d’un handicap mental.

Selon vous, l’immersion en milieu ordinaire ne devrait pas être l’unique expérience. Pourquoi ?

Le postulat est que la voie inclusive est une voie d’excellence et la solution à privilégier systématiquement pour les enfants handicapés. A en croire les textes, elle permettrait d’enseigner à tout le monde sans baisser le niveau. Il est utopique d’imaginer que des journées de classe criblées d’interruptions assurent la continuité nécessaire à un véritable apprentissage. Je ne suis pas en capacité d’offrir un accompagnement continu à un élève autiste, par exemple. Or la notion de temps long est très importante pour les enfants présentant un handicap. Vous ne pouvez pas les laisser seuls pendant trente minutes, mais il faut aussi s’occuper du reste de la classe. Je ne prétends pas avoir toutes les réponses et je ne nie pas qu’être en milieu ordinaire peut favoriser des déclics et des développements, mais je m’interroge après avoir vu des enfants en échec scolaire devenir mutiques. Car ils sentent très bien quand ils sont en décalage, incapables de suivre le cours. Et ce sentiment d’infériorité et de solitude peut être ressenti de façon très violente. Globaliser les handicaps engendre aussi le risque d’en finir avec la spécialisation et, de fait, de reléguer le soin.

Que pensez-vous des Ulis et UEMA ?

Les unités localisées pour l’inclusion scolaire (Ulis) et les unités d’enseignement en maternelle autisme (UEMA), c’est très bien, car l’enseignant est beaucoup moins seul et peut travailler avec un coordonnateur qui, lui, est spécialisé. Mais on revient à un problème de personnels et de locaux. Les témoignages d’unités surchargées abondent. Par endroits, les effectifs de ces classes excèdent le seuil légal : il n’est pas rare d’avoir des unités regroupant 15 enfants, voire plus, et la croissance du nombre d’élèves en Ulis était estimée à 7 % par an entre 2018 et 2022. Cela impliquerait la création de 240 unités par an. Or le gouvernement n’en prévoit que 50 à chaque rentrée depuis 2019.

Le « virage inclusif » fait-il référence au « virage ambulatoire » de l’hôpital ?

Il y a une doxa ambiante qui s’appelle le recul de l’Etat social. Elle touche autant l’école et l’hôpital que le handicap. Quand une concertation sur l’école inclusive est organisée, je trouve incroyable qu’on ne convie pas les enseignants mais qu’on demande à des cabinets de conseil de plancher sur le sujet. On touche à l’aspect politique du problème, répondant à une logique d’économies budgétaires plus que d’investissement ad hoc. Les décisions prises aujourd’hui dans la précipitation entraînent une désorganisation profonde qui déstabilise élèves et professionnels, et questionne les missions fondamentales de l’école. On assiste à une sorte d’inclusion sauvage avec un recensement statistique extrêmement lacunaire, un démantèlement des structures de soin de proximité, une absence de recrutement de personnels spécialisés comme de formation, ou encore, sans plan d’aménagement et grands travaux dans les écoles. Comme faux-semblant d’évolution, on a, par exemple, créé des pôles inclusifs d’accompagnement localisés (Pial) qui œuvrent à rationaliser les moyens humains. A terme, « inclure mieux » signifiera seulement « inclure plus ». Je crains qu’in fine le handicap finisse par reposer sur les épaules de la personne ou de la famille et plus sur la collectivité, ce qui irait aux antipodes de l’idée initiale d’égalité des chances.

À qui vos propos s’adressent-ils ?

J’aimerais que les professeurs prennent la parole et s’expriment sur ce qui se passe dans leurs classes. De nombreux enseignants partagent mon quotidien mais ils redoutent le poids de l’idéologie : on a peur de paraître “contre” l’inclusion. Mais il est impossible de mener une politique digne sans regarder les difficultés en face. Mon propos, c’est donc avant tout une volonté de revenir à l’expérience de terrain et une envie de redonner du crédit à la parole des enseignants. Je comprends le désarroi des parents face au manque de places à l’école. Mais on ne peut pas leur laisser croire qu’en mettant leur enfant handicapé dans une classe ordinaire sans plus d’accompagnement, tout ira pour le mieux.

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