Recevoir la newsletter

#MeToo : « Les jeunes filles ne s’accommodent plus des violences »

Article réservé aux abonnés

Florence Pagneux

Auteure de Ce que nos filles ont à nous dire (éd. La Mer salée), l'enquête de Florence Pagneux fait suite à l’étude « Aux filles du temps » menée par l’association LadydeNantes.

Crédit photo Thomas Louapre
La première génération de jeunes filles post-#MeToo entend rompre avec une longue tradition de violences sexistes et sexuelles. Tel est le constat de la journaliste Florence Pagneux, dont le livre sur les 13 à 20 ans offre une plongée inédite dans la tête et le corps de ces femmes de demain.

Actualités sociales hebdomadaires - Quels constats dressez-vous sur les jeunes filles d’aujourd’hui ?

Florence Pagneux : Les jeunes filles nées après l’an 2000 déclarent être 26 % à avoir vécu des violences amoureuses, qu’elles soient physiques, psychologiques ou sexuelles. C’est énorme, d’autant plus que, parmi elles, il en est une nouvelle que nous ne mesurons sans doute pas forcément bien parce qu’elle est propre à cette génération. Il s’agit de l’emprise numérique de certains garçons sur leurs copines quand celles-ci leur fournissent leurs identifiant et mot de passe sur les réseaux sociaux, sans se rendre compte qu’elles sont sans cesse traçables. Il en est de même lorsqu’elles envoient des photos d’elles dénudées qui peuvent représenter une monnaie d’échange après une rupture. Les jeunes filles représentent plus de la moitié des victimes de cyberharcèlement. Autre violence massive, même si elle n’est pas nouvelle : le harcèlement de rue. Elles ont constamment peur de l’agression d’ordre sexuel en dehors de chez elles. Elles ne s’accommodent plus de ces regards persistants des hommes sur elles. C’est là une différence marquante avec les générations passées. Les jeunes filles d’aujourd’hui veulent évoluer librement dans l’espace public et demandent aux adultes d’agir pour que les choses bougent.

Cette génération est-elle pour autant plus militante que les précédentes ?

C’est surtout une génération plus lucide sur le sort réservé aux femmes dans notre société. Plus féministes aussi, puisqu’elles sont 7 sur 10, âgées de plus de 17 ans, à se définir comme telles. Un féminisme qui englobe toutes les formes de discriminations, celles liées à la couleur de peau, au genre, au handicap… Elles ont une vision plus inclusive de la société mais aussi plus respectueuse de l’environnement. Elles ne sont pas forcément plus engagées. Grâce aux réseaux sociaux, elles peuvent avoir des formes de mobilisation plus souples qui leur permettent de porter ces combats-là, sans pour autant être militantes comme pouvaient l’être les femmes des années 1970. Il s’agit d’un phénomène plus diffus, qui ne passe pas nécessairement par un engagement associatif et qui, finalement, peut exiger peu de leur personne.

Quels rapports les adolescentes entretiennent-elles en réalité avec les réseaux sociaux ?

Selon elles, les réseaux sociaux sont à la fois vecteurs d’émancipation, d’éducation et de libération de la parole, tandis qu’ils ont, à l’inverse, des effets délétères sur l’image de soi, dans une période adolescente souvent très complexe à vivre. Des études sont d’ailleurs en cours pour comprendre leurs liens avec l’explosion des troubles du comportement alimentaire pendant le confinement, même si on sait que ce dernier ne peut être tenu pour seul responsable. L’image que les jeunes filles ont d’elles-mêmes et de leur corps est, de façon générale, influencée par un faisceau de paramètres, à commencer par ce que leur renvoient les adultes. A l’adolescence, les garçons sont encouragés à être libres, tandis que les filles deviennent objets. On veut les garder à la maison, les surveiller. Ces inégalités de genre se répercutent sur leur tenue vestimentaire : 84 % des jeunes filles s’interdisent de porter ce qu’elles souhaitent, par peur de ce qu’elles peuvent provoquer chez l’autre, alors que le sujet n’existe pas pour les garçons. Lorsqu’on leur demande de définir le fait d’être une fille, il n’est pas étonnant qu’elles aient des termes belliqueux tels que : « C’est un sport de combat » ou « Il faut sans cesse se battre ! » Elles ont parfaitement intégré ces différences de vie entre les deux sexes. Mais elles comprennent aussi que pour évoluer dans une société plus égalitaire, il faudra mobiliser les garçons pour qu’ils ne se sentent pas mis de côté. Une attitude porteuse d’espoir, à mon sens, pour des relations plus harmonieuses.

Comment définir la place des adultes dans ce contexte post-#metoo ?

Responsables associatifs, éducateurs de tous bords, psychologues, professionnels de santé… tous les experts avec qui j’ai discuté dans le cadre de la préparation de mon livre se rejoignent sur une chose : la nécessité d’instaurer des espaces de dialogues avec les jeunes filles. Si elles s’informent beaucoup via les réseaux sociaux, rien ne remplace la parole d’un adulte bienveillant et compétent sur des sujets tels que l’éducation à la sexualité, le consentement, les relations entre filles et garçons, le rapport au corps ou encore les règles. Quand ces instances de discussion existent, quel que soit l’endroit où elles sont proposées, elles les investissent. Mais la libération de la parole doit aussi avoir lieu en famille. Or seules 6 % des adolescentes interrogées confient en parler avec leurs parents. C’est très peu alors que ces derniers ont pourtant un rôle essentiel à jouer auprès de leurs enfants, d’une part, pour ne pas les laisser seuls sur les réseaux sociaux et, d’autre parte, pour briser certains sujets tabous. Livres, podcasts, ateliers de sensibilisation… les outils sur lesquels ils peuvent s’appuyer pour trouver les bons mots ne manquent pas aujourd’hui, autant qu’ils s’en saisissent.

Les professionnels ont-ils pris la mesure des préoccupations qui agitent les filles d’aujourd’hui ?

Les acteurs qui interviennent auprès des adolescents sont très mobilisés, même si, au regard de la place accordée à l’accompagnement durant les 1 000 premiers jours de l’enfant, il existe assez peu de choses pour cette tranche d’âge. A la maison des adolescents de Nantes, par exemple, les professionnels sont entrain de se former aux questions liées au genre. A l’échelle des communes, on commence également à s’attaquer au harcèlement de rue, comme à Argenteuil, Sarcelles ou Nancy, par le biais de la campagne « Stop Harcèlement de Rue » portée par le collectif féministe Héroïnes 95. Relais de messages contre le harcèlement sur les réseaux sociaux, panneaux d’affichage lumineux, affiches à coller dans l’espace public, présence d’ouvrages de sensibilisation dans les bibliothèques ou les maisons des jeunes… Autant de propositions qui permettent d’interpeller et de sensibiliser les passants. L’école, quant à elle, s’investit dans le champ de l’égalité entre filles et garçons et teste des cours de récréation qui relèguent les terrains de foot dans un coin pour installer des îlots de verdure. Résultat : filles et garçons évoluent dans un climat beaucoup plus apaisé. Enfin, il existe aussi des outils pour lutter collectivement contre le harcèlement de rue, comme les formations « Stand Up » dispensées par la Fondation des femmes qui se multiplient en France. Tout ceci est prometteur mais cela demande des moyens. Reste que cette génération est fin prête pour que les lignes bougent pour de bon, et on la décevrait beaucoup à ne pas l’écouter.

Entretien

Société

Protection de l'enfance

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur