C’est un outil bien connu des clubs de prévention spécialisée. Depuis les années 1980, les chantiers éducatifs se déploient dans les quartiers à coups de pinceaux pour rénover un hall d’immeuble défraîchi, de bêches pour embellir un espace vert. L’action, qui s’exerce depuis 1999 dans le cadre d’un contrat de travail et d’une rémunération, permet à des jeunes, à partir de 14 ans, d’accéder à une première expérience professionnelle et d’agir sur l’espace social et ses représentations.
La mesure a fait ses preuves, pourquoi ne pas l’étendre ? C’est l’idée développée en Savoie par la Sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence depuis le printemps 2020. A l’époque, la crise sanitaire bouscule le quotidien des services. Dans les maisons d’enfants à caractère social (Mecs), alors que l’épuisement des jeunes se fait sentir, les habituels séjours d’été prennent un coup dans l’aile.
Confortée par une subvention du plan pauvreté, l’association décide d’ouvrir l’accès de ses chantiers éducatifs aux jeunes des dispositifs d’hébergement. « L’apport financier pour l’été était une porte d’entrée évidente qui a permis de mobiliser », explique la cheffe de service Julia Sorin. En filigrane, l’idée pourrait constituer un levier pour réduire le nombre de sorties sans solution, trop nombreuses, à la fin des dispositifs d’aide sociale à l’enfance. « En Mecs, on travaille le projet de départ et d’autonomie, mais ce n’est pas toujours facile de basculer de l’internat à une situation où l’on se retrouve seul face à soi-même », poursuit Julia Sorin.
Plateforme d’insertion
Le chantier éducatif devient ainsi prétexte à un accompagnement complémentaire de celui réalisé au sein des structures d’hébergement. « Un éducateur en Mecs n’a pas la même posture qu’un éducateur technique en prévention spécialisée, détaille la cheffe de service. Le premier gère le quotidien, du lever au coucher, avec les suivis de la scolarité ou des soins qui peuvent susciter des tensions. Le second s’inscrit dans des questions sociétales plus larges. Il engage des rapports différents, avec des échanges sur l’orientation professionnelle et le monde du travail. »
Travaux de second œuvre, aménagements d’espaces verts ou missions de nettoyage… En deux ans, une vingtaine d’ados ont bénéficié d’un contrat, le plus souvent de 50 heures (deux semaines de 25 heures). « On a vu plein d’effets bénéfiques en termes de vécu avec le collectif et de remobilisation, souligne Raphaël Primet, directeur du dispositif prévention. Passé l’expérimentation, la Sauvegarde a obtenu des financements du département (100 000 €) pour recruter deux éducateurs techniques et lancer dès novembre une nouvelle phase du dispositif.
Le service, alors rattaché à la prévention spécialisée, deviendra « plateforme d’insertion ». Aux 50 heures de chantiers s’ajouteront 10 heures dédiées à un accompagnement individualisé. Et les secteurs d’activité devraient continuer à se diversifier. Objectif : « sortir des caves » pour offrir des chantiers plus valorisants. « On a récemment monté des chapiteaux pour une troupe de théâtre, créé et vendu des bijoux avec l’aide d’une créatrice, expose Julia Sorin. De plus en plus, on va essayer de développer des chantiers qui permettent une rencontre avec d’autres univers. »
Attachée à l’échange entre pairs, l’association invite les jeunes, dans le cadre d’un nouveau contrat de travail, à partager leur expérience auprès de futurs salariés et à travailler les plaquettes et autres plans de communication. Une cinquantaine de jeunes devraient participer à cette nouvelle phase du dispositif : d’abord, ceux de la Sauvegarde (dispositifs d’accompagnement diversifié, milieu ouvert sous mandat, mineurs non accompagnés, etc.) ; ensuite, ceux des autres associations de protection de l’enfance du département. Fin 2023, la plateforme d’insertion fera l’objet d’une évaluation par un service interne, l’Observatoire des pratiques des jeunes. A la clé, la pérennisation de l’expérience.