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« Interroger son histoire permet de s’autodéterminer »

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Ludovic Jamet

Adjoint au directeur des politiques d’accompagnement pour l’institut départemental de l’enfance, de la famille et du handicap pour l’insertion en Seine-Maritime (Idefhi).

Crédit photo Ludovic Jamet
Une étude menée pour l’Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE) a conduit Ludovic Jamet à s’interroger sur les changements de lieux d’accueil pour les enfants placés. Une situation qui engendre des dynamiques morbides plutôt que résilientes.

Actualités sociales hebdomadaires - Y a-t-il des périodes où les enfants placés se sentent plus insécurisés ?

Ludovic Jamet : J’en compte au moins deux. La première concerne les enfants accueillis précocement, entre 4 et 8 ans, pour lesquels nous rencontrons des difficultés à stabiliser un lieu d’accueil. Ils ont plusieurs domiciles et passent, par exemple, de services de placement familial à une maison d’enfants à caractère sociale (Mecs), pour retourner à un autre type de placement. D’autres connaîtront trois ou quatre assistantes familiales. Le premier accueil est pourtant déterminant pour la réussite d’une protection. Quel que soit leur âge, il est essentiel de les informer sur leur situation et l’organisation de leur quotidien à court et à moyen termes. Or les professionnels disposent parfois de très peu d’éléments à communiquer. Les difficultés de stabilisation interviennent aussi au moment de l’entrée dans l’adolescence, entre 12 et 16 ans. Certains enfants entrés très jeunes en protection de l’enfance, en grandissant, saturent et expriment l’envie ou le besoin de retourner chez leurs parents pour se confronter à la vie ordinaire. Pour d’autres, placés plus tard, l’entrée dans l’adolescence a agi comme un révélateur des fragilités parentales et des dysfonctionnements familiaux.

Quelles sont les conséquences sur ces enfants ?

Lorsque les enfants sont confrontés à une multitude de lieux d’accueil différents, qu’ils ne bénéficient pas d’un endroit adapté à leurs besoins, à leurs troubles et à leurs possibilités du moment, ils ont du mal à s’ancrer. Une sorte d’effet boule de neige se développe : à chaque changement, nous prenons le risque d’alimenter leurs difficultés. Pour entrer dans une dynamique résiliente, pour que les jeunes puissent acquérir des ressources mobilisables dans leur vie d’adulte et sur lesquelles ils s’appuieront à leur adolescence, la continuité s’avère nécessaire. Et ce aussi bien pour les lieux d’accueil que pour les figures d’attachement qui leur servent de référents.

Que change cette sécurisation sur le long terme ?

Elle permet au jeune ou à l’enfant d’interroger son histoire auprès de quelqu’un qui la connaît et de se l’approprier. Il aura plus facilement accès à ses émotions et sera donc à même de les verbaliser. Il sera en mesure d’être en capacité de s’autodéterminer, de se projeter vers l’avenir, de savoir qu’il peut s’appuyer sur des ressources qui lui sont proches. A terme, il pourra adopter un rapport à lui protecteur et pourra imaginer l’avenir avec plus de chance ou de confiance. A contrario, un enfant qui passe par plusieurs services, qui est perdu dans ce que l’on appelle « la ronde des professionnels », peut connaître une déficience adaptative, une incapacité à interagir et une défiance envers la figure adulte. On parle alors de « dynamique morbide ». Il ne comprend pas son histoire, se trouve dans l’incapacité d’exprimer ce qu’il ressent et de se lier à des adultes. Tous ces éléments entravent le travail éducatif indispensable pour éviter les répétitions de schéma dans les parcours.

Quels éléments déterminent cette dynamique résiliente ?

Quand des jeunes adultes se penchent sur leur passé alors qu’ils ont connu plusieurs lieux d’accueil, l’impossibilité de se raconter leur histoire en y mettant du sens au regard de leurs souvenirs et de leurs émotions est particulièrement délétère. Le contraire est sécurisant et leur permet de se construire, aux niveaux identitaire et narratif, une image de soi positive et congruente au regard de ce qu’ils ont vécu dans leur chair. Tout enfant demande à ses parents de raconter comment il était durant la petite enfance. En les en privant, une part d’eux-mêmes leur échappe. Gestion des émotions, développement, sécurité narcissique, capacité à se projeter, à tenter des expériences, à découvrir des environnements différents du sien… Les freins sont nombreux. Lorsque le lien d’attachement a été présent par un lieu d’accueil durable, ces ressources sont acquises et il est plus aisé d’affronter les épreuves difficiles de la vie.

Des dysfonctionnements institutionnels sont-ils en cause ?

Les institutions et les services de protection de l’enfance font face à des défis et des difficultés qui ne leur permettent pas toujours de garantir une permanence de l’action et de l’attention éducative. Les changements sont toujours des paris incertains. Le renouvellement rapide des carrières des professionnels et le manque d’attrait pour ces métiers aggravent les problèmes. Un mineur croise plusieurs éducateurs référents. L’instabilité organisationnelle est un autre facteur. La mise en place régulière d’innovations, de nouvelles mesures et de structures crée un environnement instable qui fragilise l’accompagnement dans un parcours constant et sécurisé. Par ailleurs, chez les enfants dont les troubles sont marqués, l’évolution trop lente vers une prise en charge à dimension thérapeutique est préjudiciable. Il en résulte un développement entravé de l’enfant qui peut aller jusqu’au comportement suicidaire, ainsi qu’une apparition de troubles dans les capacités intellectuelles et cognitives. L’état de sidération dans lequel les enfants vont être par rapport à un environnement qui leur fait peur et le manque de stimulation entraînent des déficiences modérées ou importantes. Elles se concrétisent parfois en angoisses très fortes qui perturbent leur apprentissage et leur scolarité. Ces effets sont encore plus importants sur l’enfant qui a connu une maltraitance sexuelle.

Comment enrayer cette dérive ?

Il y a toujours la possibilité d’entamer un travail avec les services de la protection de l’enfance, la pédo­psychiatrie ou avec les établissements médico-sociaux. De mettre en place des espaces de soins et éducatifs qui permettent à l’enfant de renverser la dynamique dans laquelle il se trouve. Mais ce n’est pas simple. Des moyens, une continuité d’accueil, et une bonne coordination entre services sont indispensables. Personne ne peut répondre seul aux besoins. Or chaque entité dispose de ses propres principes éthiques, temporels ou spatiaux. Le temps de l’Education nationale n’est pas celui d’un suivi psychiatrique ou celui dédié à l’accompagnement des parents… Les champs de compétences et d’interventions de chacun doivent être délimités et la coresponsabilité acceptée. En fonction du premier intervenant autour duquel les autres coconstruisent, les actions diffèrent. Pour les professionnels, le point de difficultés le plus saillant se situe autour du dispositif initial, les organisations régionales ou départementales en silos des politiques publiques étant à la source de clivages dont les effets se répercutent sur les situations déjà complexes des enfants. Une meilleure coordination est indispensable.

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