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Handicap : « On a beau avoir des lois, on ne les applique pas »

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Avocate au barreau de Marseille, Me Eglantine Habib intervient en appui des associations et collectifs de parents d’enfants en situation de handicap.

Crédit photo Nicolas TUCAT / AFP
En France, 220 000 enfants en situation de handicap bénéficient d’un accompagnement à l’école. Mais malgré les discours volontaristes sur l’inclusion, beaucoup d’élèves restent privés d’aide. L’avocate Eglantine Habib se bat pour faire reconnaître les droits des familles devant la justice.

Actualités sociales hebdomadaires - Pourquoi défendre les familles privées d’Accompagnants d’élèves en situation de handicap ?

Eglantine Habib : L’année dernière, ma sœur, qui avait ses enfants dans une école maternelle, a entendu parler d’une maman totalement désespérée. Porteur de troubles du spectre autistique, son fils Nessib n’était plus scolarisé car il n’avait plus d’accompagnant d’élèves en situation de handicap (AESH). Alors que tous les parents se mobilisaient pour la soutenir, faisaient signer des pétitions, elle m’a demandé si je pouvais faire quelque chose. Jusque-là spécialisée dans le contentieux de l’amiante, je n’avais pas l’habitude de ce genre de dossier, mais j’ai accepté. En tant qu’avocate, femme et maman, cette histoire m’a particulièrement touchée. Nous sommes au XXIe siècle et pourtant, cette mère ne pouvait plus travailler car elle devait s’occuper de son fils. Elle ne pouvait pas non plus lui garantir un accès à l’école malgré la reconnaissance de son handicap par la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Nous avons donc porté le problème devant la justice en déposant un référé liberté. Dans sa décision du 19 janvier 2021, le tribunal administratif de Marseille a reconnu que cette situation portait « une atteinte grave et manifestement illégale au droit à l’éducation » et a enjoint l’académie d’Aix-Marseille de lui affecter un AESH sous dix jours.

Cette première victoire a-t-elle constitué un tournant pour vous ?

L’audience qui s’est tenue a été très éprouvante mais on a finalement gagné. A partir de là, j’ai décidé de continuer, car c’était une évidence. Même si je ne suis pas la seule avocate à travailler sur la question, je suis de plus en plus sollicitée par des familles, notamment via le collectif « Où est mon AESH ? », créé par des parents d’élèves des Bouches-du-Rhône. Pour certaines, je suis le dernier recours. Des enfants n’ont plus d’AESH depuis un an. C’est inacceptable ! Le référé liberté est un outil intéressant. C’est une procédure d’urgence. En quelques jours, on obtient une audience puis un résultat. Cela permet aux familles de ne pas s’engager dans une procédure longue et source d’angoisse. D’autant qu’elles sont souvent dans des situations précaires. Je ne sais pas si cette victoire et celles d’autres parents qui m’ont sollicitée peuvent créer un effet boule de neige. Mais il est important de parler de ces actions en justice pour que les familles réalisent qu’il est possible d’avoir gain de cause. Certaines ne se sentent pas légitimes. Souvent invisibilisées, elles vivent aussi avec un sentiment de culpabilité véhiculé par le réseau familial, médical ou professionnel.

Il y a aussi le coût de la justice…

Une famille qui a un enfant porteur de handicap doit penser à prendre une assurance protection juridique. Celle-ci permet de couvrir les frais d’avocat. La voie de la justice peut régler bien des problèmes et il serait dommage de ne pas y avoir accès faute de moyens.

Est-il normal de prendre un avocat pour mettre son enfant en classe ?

Si le parent ne met pas l’enfant à l’école, il est hors la loi. Mais quand il veut le mettre, il ne peut pas car l’Etat ne le permet pas. C’est révoltant. Le diagnostic est le premier obstacle. Il faut des mois et des mois de rendez-vous pour réussir à le poser. Cela suppose d’avoir recours à la médecine et surtout à des spécialistes, ce qui n’est pas toujours évident pour les familles démunies. Une fois le trouble connu, les consultations de spécialistes hors hôpital, comme les bilans orthophoniques, les séances d’ergothérapie, de psychothérapie, ou l’intervention d’éducateurs spécialisés, ne sont pas prises en charge par la Sécurité sociale et doivent être avancées par les parents. Pour être remboursé, il faut monter un dossier à la MDPH, ce qui va prendre encore des mois, voire des années. Pendant ce temps-là, un enfant porteur de troubles de l’attention, par exemple, va rencontrer des difficultés de comportement à l’école. Laquelle ne va pas comprendre qu’il est en situation de handicap car elle n’a pas le document qui l’officialise. Résultat, les familles se retrouvent parfois avec un signalement d’informations préoccupantes des services sociaux. Et quand les notifications de la MDPH préconisent que l’enfant aille en Institut médico-éducatif (IME), il n’y a pas de place. A défaut, on envoie l’enfant à l’école, qui n’en veut pas. Alors on fait quoi de lui ? On tourne en rond. On a beau mettre en place des lois, on ne les applique pas. Nous sommes toujours très arriérés sur l’acceptation du handicap. Si on en parlait plus, si on était mieux informé, si les enseignants étaient formés pour accueillir ces enfants particuliers, on n’en serait pas là. Pour les familles d’enfant en situation de handicap, l’accès aux soins, à l’école et au travail est vraiment très préoccupant.

Depuis le déploiement des Pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL), les AESH se partagent entre plusieurs élèves. Une mutualisation qui fait grincer.

Les décisions de la MDPH s’imposent à l’institution scolaire. C’est la loi. Ce n’est ni au chef d’établissement, ni à l’académie, ni au directeur du Pial de décider que tel élève va mieux en ce moment et que l’on va donc lui retirer quelques heures d’AESH pour les réattribuer à un autre qui n’en a pas. Il ne faut pas laisser faire. Accepter que l’académie revoie le nombre d’heures d’AESH, c’est considérer qu’elle a le pouvoir d’analyser les besoins de l’enfant, alors que c’est la prérogative de la MDPH.

Certains parents en sont réduits à recruter des AESH privés. Cela ne crée-t-il pas une nouvelle inégalité ?

Cette pratique existe effectivement grâce à des conventions particulières et cela coûte des fortunes. C’est une nouvelle manière d’exclure un peu plus toutes ces familles qui ont besoin d’être aidées. L’Etat encourage ce phénomène.

Cette problématique ne date pas d’hier. Comment réussir à faire enfin bouger les lignes ?

Il faudrait qu’un vrai combat collectif se mette en place. Plusieurs avocats extrêmement impliqués depuis longtemps se battent pour la reconnaissance des enfants en situation de handicap. De même, énormément de petites associations soutiennent les familles. La FCPE va créer d’ici la fin de l’année une plateforme nationale permettant de déclarer les établissements où les enfants ne sont pas admis. L’idée est que tous ces acteurs se fassent entendre ensemble. A défaut, ce sera difficile d’avancer. Or, nous n’arrivons pas encore à avoir le même discours, à proposer des actions communes. Se mobiliser, c’est bien, s’unir est mieux.

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