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A Nancy, Grandir dignement propose un service civique adapté pour les jeunes en rupture

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Crédit photo Pascal Bastien
A l’initiative de l’association Grandir dignement, de jeunes volontaires accompagnent des jeunes en difficulté engagés dans un service civique adapté. Au programme, activités de solidarité et de citoyenneté et accompagnement social. Le dispositif pourrait bientôt être reconnu par le ministère de la Justice.

Autour d’une table basse, quatre jeunes découpent des brocolis en riant. Ils préparent le repas qui sera servi lors de la maraude de cet après-midi, dans le centre-ville de Nancy. Au menu du jour : purée de brocolis et potiron, compote de pommes, pain et bananes, avec des produits de la Banque alimentaire. Côte à côte, Samy, 17 ans, et David, 18 ans, volontaires en service civique adapté, Mélissa Oliveira, 21 ans, volontaire en service civique accompagnante, et Clara Umenhover, 20 ans, stagiaire et étudiante à l’institut régional du travail social (IRTS).

Depuis 2017, l’association Grandir dignement, historiquement active auprès des jeunes aux prises avec la justice en Afrique, propose à Nancy des services civiques à des jeunes en difficulté âgés de 16 à 20 ans. D’autres jeunes volontaires en service civique les accompagnent, sur le principe des pairs aidants. Une opportunité rare de remobilisation pour ces adolescents en rupture qui ont souvent passé des années en institution sans perspectives. Dans l’esprit de simplicité du prêtre salésien Don Bosco, les volontaires en service civique adapté suivent un programme de 24 heures par semaine d’activités de solidarité, de citoyenneté et de contact avec l’environnement, assorties d’un accompagnement social pour qu’ils rebondissent sur un projet scolaire et professionnel.

A Nancy, Grandir dignement peut accueillir 12 volontaires. Initialement pensé pour les jeunes issus de la protection judiciaire de la jeunesse, souvent en fin de mesure de réparation pénale, voire en remise de peine, le dispositif s’est ouvert aux adolescents de l’aide sociale à l’enfance. Des éducateurs chargés de prévention y orientent aussi des jeunes. « D’autres arrivent simplement par le bouche à oreille, sans éducateur référent, complète Mostefa Merabet, éducateur spécialisé et coordinateur social du dispositif. La porte est grande ouverte. » Ces jeunes en rupture scolaire n’ont pas pu profiter des dispositifs d’insertion. « Nous remplissons un vide institutionnel », n’hésite pas à affirmer Mostefa Merabet.

Découper les poireaux fait pleurer Samy. « Je n’ai pas du tout l’habitude de faire la cuisine », admet l’adolescent, arrivé aujourd’hui. A l’issue d’une semaine d’observation, il décidera s’il souhaite s’engager. Sur le plan juridique, le service civique adapté est un service civique classique de huit mois. Il ouvre droit à une rémunération mensuelle de 587 €. Un attrait important pour les adolescents, même si aucun n’en parlera aujourd’hui. « Je suis venu parce qu’ici ce qu’on fait est concret », souligne Samy.

Ni chef, ni copain

Affairés à leur tâche, Mélissa Oliveira et Samy comparent la cuisine roumaine et celle de la mère du jeune homme, dont la spécialité est le couscous. La jeune volontaire sera la référente de Samy, même si chaque accompagnant peut ici suivre les autres jeunes au fil des besoins. « Jusque-là, j’avais beaucoup de théorie. Je voulais me faire une expérience professionnelle », explique la diplômée en psychologie et sciences de l’éducation, qui hésite encore, dans l’attente d’être acceptée dans un master : « J’aimerais travailler comme psychologue expert judiciaire, dans la protection de l’enfance, en criminologie ou en victimologie. J’ai appris le sens de l’observation. Percevoir les besoins de chaque jeune est essentiel pour bien les orienter par la suite. » A l’issue de chaque activité, les accompagnants rédigent une fiche de suivi pour pouvoir réaliser un bilan mensuel de l’évolution du jeune qu’ils accompagnent. Après deux mois et demi de service civique, Mélissa Oliveira retient : « Notre mission demande de la neutralité et de la bienveillance. Ne pas juger les jeunes, ne pas entrer en désaccord avec eux, et surtout ne pas les comparer entre eux parce que chacun a son parcours de vie. » Pour la jeune femme, le point de vigilance le plus important est d’éviter l’écueil d’une trop grande proximité avec les jeunes.

« Nous avons la chance de pouvoir faire ici un travail complètement personnalisé », met en avant son tuteur, Mostefa Merabet, qui a connu dans sa carrière une multitude de structures pour enfants et adolescents. « Beaucoup de jeunes en institution n’ont été pris en charge que dans un cadre collectif. Il n’y a pas le temps de s’occuper d’un jeune à la fois. » Seul professionnel de l’équipe, l’éducateur spécialisé supervise les volontaires en service civique accompagnants dans leur suivi social des jeunes et les épaulent directement par des points d’étape. Il oriente les accompagnants dans leurs initiatives et, au besoin, prend le relais. « C’est aussi un cadrage psychologique. Je leur apprends à ne pas s’attacher et surtout à garder une distance. A ne devenir ni le petit chef, ni le copain », complète-t-il.

Pour le coordinateur social, le fait que les accompagnants viennent d’horizons variés constitue un grand atout. « Tatiana, qui est étudiante en histoire, a organisé des activités autour de l’Egypte antique. Cette transversalité offre une ouverture qu’on ne retrouve pas dans une équipe où il n’y a que des travailleurs sociaux. » Le rapport de jeune à jeune est, selon lui, un atout précieux pour mettre les volontaires en service civique adapté en confiance. « Je sais bien que je représente au contraire une figure d’autorité. » En service civique depuis sept mois, Tatiana résume : « Notre objectif est de montrer à ces jeunes qu’ils ont des capacités. Ils ont un grand besoin d’être écoutés. L’écoute crée la confiance. » Rédiger des mails ou un CV, renouveler une carte Vitale, gérer son argent… La jeune femme assume l’idée qu’accompagner peut consister à « faire à la place » : « On leur montre les bases pour qu’ils se les approprient et puissent le faire d’eux-mêmes après. » Dans le cadre de la construction du projet professionnel du jeune, les accompagnants se chargent aussi de démarcher les entreprises pour des stages ou des immersions. « Si j’ai l’opportunité de travailler dans le social, je la saisirai », confie la jeune femme, qui a rejoint Grandir dignement pour financer ses études. « Ça me plaît beaucoup, et je suis en train de remettre en question mon projet de formation », assure-t-elle, déjà en quête d’un emploi dans une structure d’insertion, en parallèle de la poursuite de ses études.

Tatiana est la référente de Kevin, 16 ans, en service civique adapté depuis cinq mois. Quand l’adolescent a débarqué, assure-t-elle, il était perdu et cherchait beaucoup à plaire : « Je l’ai vu douter. Maintenant il sait ce qu’il veut et il s’affirme. » Kevin est venu ici parce qu’il cherchait de l’aide pour trouver un projet professionnel et qu’il ne voulait pas rester assis sur une chaise à ne rien faire. « Avant, je n’aimais pas les éducateurs. Ils ne me soutenaient pas vraiment. J’étais découragé. Ici, ils ont fait plus et plus vite. Au final, on bouge beaucoup. On n’est jamais au même endroit. Avec nos accompagnants, on peut se tutoyer et ça change tout, on est moins méfiant. »

L’adolescent se félicite d’avoir à appris à « s’occuper sans faire de bêtises ». Les premières activités qui lui viennent à l’esprit ? Les sorties au musée et les excursions de quelques jours en dehors de Nancy. Passionné par l’exploration urbaine – ou urbex (de l’anglais urban exploration) – et par la photographie de bâtiments abandonnés, Kevin a raconté dans un livre l’histoire de chacun de ses clichés. « C’est Tatiana qui m’a donné l’idée, remercie-t-il. Je faisais beaucoup de fautes. Elle a corrigé et m’a expliqué. Et, comme ça, j’ai su m’améliorer. » Son ouvrage a déjà trouvé un éditeur. Avec l’aide des accompagnants, Kevin a aussi mis en ligne un site pour exposer ses photos. S’il projette de poursuivre l’expérience en diffusant un logo et peut-être une ligne de vêtements, son choix n’a pas changé depuis son arrivée : « J’ai toujours voulu être chauffeur poids lourd, comme ma mère », lâche-t-il dans un sourire. Le jeune homme doit bientôt visiter un lycée professionnel.

Le passé, c’est le passé

L’équipe de Grandir dignement compte sur un réseau d’une dizaine d’entreprises et d’associations partenaires pour organiser des temps d’immersion, des stages et des remises à niveau. « Nous n’avons jamais fini de démarcher », insiste Mostefa Merabet, actuellement à la recherche d’un centre équestre pour un jeune qui souhaite devenir palefrenier. Cet après-midi, Kevin et David assistent à un atelier de débats de société organisé par deux bénévoles étudiantes en management des organisations sanitaires et sociales. Euthanasie, homosexualité, choix de la maternité… A tour de rôle, l’un des participants, accompagné ou accompagnant, tire une carte avec une affirmation. Puis un jeune doit l’argumenter, quand un autre doit défendre le raisonnement contraire.

C’est l’heure de la maraude. Samy, Mélissa Oliveira et Louise, stagiaire, recherchent des personnes sans domicile fixe dans les rues du centre-ville de Nancy, équipés de sacs de course contenant les dix repas préparés. La première personne à en accepter un est une femme. Samy confie le repas à Mélissa Oliveira et reste en retrait. Il se réserve, précise-t-il ensuite, pour un homme à qui il a l’habitude de donner de la monnaie à l’entrée d’une supérette : « Je le connais et je suis sûr qu’il me reconnaîtra aussi. » Sur le chemin, les jeunes font connaissance. Samy s’ouvre. Les blagues fusent. Malgré sa réserve sur le terrain, c’est avec enthousiasme que l’adolescent a accepté de participer à cette maraude. D’autres sont beaucoup plus réticents, comme l’explique Mélissa : « Ils ont beaucoup d’a priori. Ils n’ont pas envie que leurs amis les voient faire ça et les jugent parce qu’ils parlent à une personne démunie. » Petit à petit, Samy prend de l’assurance, jusqu’à proposer la gare comme dernière étape de la journée. « Là-bas, il y a toujours du monde ! » Le groupe, qui ne dispose plus que d’un repas complet, se met en quête d’une personne seule. Sans succès. Sur le parvis, Samy n’hésite pas à aborder avec le sourire un groupe de SDF et à leur distribuer seul les dernières bananes et compotes.

Chaque semaine, les volontaires de Grandir dignement entretiennent un jardin et y cultivent des légumes au fil des saisons. Un second jardin devrait bientôt voir le jour sur un terrain mis à disposition par la commune de Cerville, voisine de Nancy. L’action est un tel succès que l’association va lancer une épicerie itinérante afin d’écouler la production. Pour mettre en valeur la main verte des jeunes, une collaboration avec des écoles est également en projet.

Pour Mostefa Merabet, la journée n’est pas terminée. Ce soir, dans l’objectif de recruter de nouveaux volontaires, le coordinateur social présentera le service civique adapté aux professionnels d’une maison d’enfants à caractère social (Mecs) de la métropole. Née à Nancy, l’antenne française de Grandir dignement est désormais implantée aussi à Metz, dans la Moselle voisine, et devrait s’installer prochainement à Strasbourg. Elle intervient pour des échanges sur la citoyenneté dans les quartiers pour mineurs des centres pénitentiaires de Metz-Queuleu et de Fleury-Mérogis (Essonne). Pour le moment, l’association n’a recruté des volontaires accompagnés que dans la région Grand Est. Dans l’idée d’inclure des jeunes éloignés, Mostefa Merabet est en quête de partenariats pour des hébergements.

« Notre message aux jeunes est que leur passé, c’est du passé, et qu’ils sont avec nous pour écrire une nouvelle page, détaille-t-il. Nous ne sommes pas là pour les juger. Ce sont eux qui nous en parlent s’ils le souhaitent. » Leurs confidences aident toutefois l’équipe à adapter les accompagnements et les projets. « Leurs éducateurs référents ne sous-transmettent pas d’anamnèse [récit des antécédents d’une personne accompagnée]. Tout au long du service civique d’un jeune, son éducateur continue de le suivre et reste parfois méfiant, invoquant le secret professionnel. Davantage de partage d’informations nous faciliterait le travail », pointe l’éducateur spécialisé. Une reconnaissance du dispositif par le ministère de la Justice est en négociation.

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