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Asile : un espace de répit dans l’espoir d’un nouveau départ

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Strasbourg, 3 juin 2021. La Loupiote. Espace Accueil Ressources pour les familles sans hébergement. Lusine VARDANYAN, traductrice russe et Alexandra Schlouppe, assistante sociale. Entretien avec une famille.

Crédit photo Pascal Bastien
A Strasbourg, La Loupiote offre une petite parenthèse à des familles à la rue dont la plupart ont été déboutées de leur demande d’asile. Elles y viennent dans la journée pour se reposer, se laver ou s’informer. Mais les difficultés à échanger complexifient la compréhension de chaque situation.

En ce début d’après-midi, l’ambiance est au calme à tous les étages de l’immeuble strasbourgeois de La Loupiote. Au sous-sol, une mère prend sa douche, les machines à laver tournent. Au premier, dans la salle de vie, deux femmes se reposent sur des sofas. Au deuxième, un père s’amuse avec sa fille dans la salle de jeux. Au troisième, une famille s’est isolée pour la sieste. L’espace de ressources La Loupiote est un service de l’association L’Etage, engagée dans l’insertion des jeunes en rupture et dans l’hébergement des familles en situation d’exclusion. Depuis 2017, cet espace reçoit en journée les familles à la rue. Initié par la municipalité et le département du Bas-Rhin, ce lieu de répit et d’orientation, où l’on vient surtout grâce au bouche-à-oreille, émane d’une demande des centres d’accueil de jour classiques, non adaptés aux enfants et dépassés par l’arrivée de familles. Celles-ci peuvent venir sur rendez-vous et réserver des créneaux pour les différentes pièces et services accessibles.

L’accueil et ses dessous

« Une loupiote est une très faible lumière, mais une lumière quand même », rappelle humblement Dorothée Hoeffel, responsable du dispositif. En moyenne, entre 60 et 80 adultes et enfants passent chaque jour à La Loupiote, parfois une centaine. « Nous sommes là pour nous assurer que leur passage ici les recharge. Cela demande beaucoup d’adaptation et d’énergie, entre des périodes très creuses et d’autres avec beaucoup d’arrivées où il faut réagir vite », résume Stéphanie Bouché, auxiliaire de puériculture. Outre cette professionnelle, la petite équipe se compose d’un moniteur-éducateur, d’une éducatrice spécialisée et d’autres travailleurs sociaux de L’Etage qui viennent ponctuellement en renfort. Le recrutement d’un quatrième collaborateur à temps plein est en cours. Une traductrice de l’association, compétente en russe et en arménien, intervient un après-midi par semaine.

Ce matin, l’équipe a reçu pour la première fois une famille venue d’Angola de retour à la rue après avoir été déboutée de sa demande d’asile. Un profil majoritaire depuis le déconfinement. Un entretien de « premier accueil » a permis de discerner ses besoins urgents. L’équipe a adressé une demande d’accompagnement au service municipal dédié aux ménages à droits incomplets. Elle a aussi indiqué à la famille l’adresse des Restos du cœur. Pour tenter d’accélérer sa mise à l’abri, elle a sollicité, en plus du 115, le conseil départemental, en soulignant que le plus petit des quatre enfants a moins d’un an. « Nous recueillons un récit de vie circonstancié et faisons systématiquement remonter les demandes d’hébergement aux SIAO (services intégrés de l’accueil et de l’orientation), en précisant la langue dans laquelle recontacter la famille », explique Alexandra Schlouppe, l’assistante sociale de L’Etage, en mission cet après-midi. Pour le reste, l’intervention est limitée. « Nous n’entamons aucun suivi. Quand les gens n’ont pas de référent social, nous en cherchons un. Nous n’avons qu’une mission d’information et d’orientation, souligne-t-elle. Nous sommes surtout attentifs à ce que l’on peut apporter dans un temps très court en termes de réconfort. »

Les entretiens, en premier accueil ou plus tard à la demande, révèlent un grand besoin d’information et d’explication. « Les familles ont des représentations idéales à déconstruire, précise Dorothée Hoeffel. L’arrivée en France est rarement comme elles l’avaient imaginé. Les rouages administratifs sont extrêmement complexes et causent de nombreux malentendus. Nous devons commencer par tirer au clair chaque situation. » Les intervenants sont donc mis au défi de bien se faire comprendre malgré la barrière de la langue. La communication est fastidieuse, et se fonde sur beaucoup d’imagination, de gestes, de bribes d’anglais ou d’allemand, de dessins, de prospectus en plusieurs langues et, bien souvent, de l’application Google Traduction.

« La Loupiote n’est qu’un lieu de passage, explique Félicie Klamm, éducatrice spécialisée. Nous devons accepter que l’on ne va pas accompagner ces personnes, ni savoir ce qu’elles deviennent. » Cet après-midi, elle est préposée à la salle de vie. En y arrivant, elle n’adresse qu’un discret « bonjour » aux deux femmes allongées. Elle prépare du café puis s’installe à l’une des tables avec son ordinateur, présente mais en retrait, respectueuse du repos de chacun. L’intimité est rare et précieuse dans ce moment de vie que les familles traversent. Une troisième femme s’avance d’un pas vif vers le frigo du coin cuisine pour y ranger une boîte. Ici, chacun peut préparer un repas. A partir de colis alimentaires dont les produits secs sont difficiles à cuisiner en extérieur ou de dons mis à disposition. Un coup de balai, un coup d’éponge, retrouver de simples gestes normaux de la vie quotidienne peut se révéler bénéfique dans une vie qui ne l’est pas toujours.

La dame à la boîte fond sur l’éducatrice. Pourra-t-elle profiter de la traductrice aujourd’hui ? s’impatiente-t-elle en anglais. Quand va-t-on enfin leur trouver un logement, à elle, son mari et sa fille ? Félicie Klamm tente d’expliquer à cette russophone que la traductrice est en retard, qu’elle va bientôt arriver et qu’il sera plus simple d’échanger en sa présence. Depuis son canapé, l’une des deux femmes tchétchènes envoie sa fille à la rescousse. L’adolescente s’improvise interprète pour répéter ce que la professionnelle a déjà signifié. « Si je pouvais travailler, on n’en serait pas là ! », s’emporte la Russe à travers la jeune fille, bientôt dépassée par le débit de la mère de famille, au bord des larmes. Félicie Klamm invite la jeune fille à arrêter : ce n’est pas à elle de prendre en charge cette traduction, leur signale-t-elle à toutes les deux avec calme et fermeté. « Les adultes s’appuient fréquemment sur les plus jeunes dans de telles situations, note-t-elle. Nous essayons de cadrer, de remettre les enfants à leur place… d’enfants. » La Russe poursuit son monologue à l’adresse de la mère tchétchène, profitant de l’opportunité de s’exprimer dans sa langue. « Essayer de vous reposer un peu », l’encourage l’éducatrice spécialisée, soucieuse que les esprits s’apaisent.

Assise sur son sofa, la mère tchétchène, qui souhaite se faire appeler Mariam, écoute sa fille, qui a choisi le surnom français de Léa, lui raconter sa journée. Exceptionnellement, la lycéenne n’a pas cours cet après-midi. C’est donc sa première visite à La Loupiote. La famille compte cinq enfants. Le plus petit est au parc avec son père. Les autres sont à l’école. Aujourd’hui, Mariam apprécie d’avoir pu laver du linge, cuisiné, et pris une douche, explique-t-elle en passant les doigts dans ses cheveux fraîchement lavés. La famille est à Strasbourg depuis quatre ans déjà. Déboutée, elle a dû quitter son appartement cette semaine. Depuis trois jours, tout le monde dort dans la voiture.

Parenthèse réconfortante

Cet après-midi, Stéphanie Bouché est la « volante » de l’équipe, circulant d’étage en étage pour répondre aux diverses demandes pratiques des familles. De passage au premier, l’auxiliaire de puériculture rencontre Léa pour la première fois et s’enquiert de sa fin d’année scolaire. L’adolescente lui raconte avec enthousiasme qu’elle va effectuer un stage de serveuse dans un hôtel cet été, mais qu’elle a eu du mal à trouver. « Les ados ont un grand besoin de discuter, de parler de leur vie. C’est important qu’ils soient considérés en tant que personnes, au-delà de leur situation », confie-t-elle.

Si elle partage les mêmes missions que le reste de l’équipe, Stéphanie Bouché est aussi la référente santé. Elle établit le lien avec l’infirmière et la puéricultrice de la protection maternelle et infantile, qui viennent à La Loupiote respectivement deux et une fois par semaine. « J’ai un travail d’observation et de transmission, surtout avec les enfants. Je note leur place dans la famille, leur état de santé, leur rythme. Bien sûr, certains sont angoissés par le parcours migratoire, mais ils sont moins éprouvés que leurs parents. Ils vivent dans l’instant. Leur passage ici est très rapide. Nous nous efforçons tous de rendre ce moment sécurisant et rassurant. »

Ici, le soutien à la parentalité est l’affaire de tous les professionnels, qui n’hésitent pas à décharger les parents. Ainsi, il leur arrive de garder les enfants le temps qu’un parent prenne sa douche, cuisine ou profite d’une sieste. « Ils ne peuvent pas à la fois se reposer, être dans leur rôle de parents et subvenir aux besoins de la famille. Nous pouvons aussi jouer à côté d’un parent passif et épuisé. Progressivement, il s’intègre, et reprend plus tard le jeu seul avec son enfant », assure Félicie Klamm.

L’équipe peut aussi proposer spontanément des activités. Tout en respectant les familles qui préfèrent s’isoler. De la peinture à la grande table de la salle commune, du dessin, la préparation d’une pâte à crêpes ou de pain… Ou même des matinées « bien-être » pour les mères, avec des soins du visage, annoncées à l’avance en plusieurs langues par des affichettes. Jusqu’à la crise sanitaire, plusieurs partenaires ponctuaient la vie du lieu : une coiffeuse bénévole, un groupe de musiciens, etc. Les familles présentes peuvent bénéficier plus largement des services de L’Etage, comme des balades, des visites au musée ou même des miniséjours dans les Vosges. « Nous organisons les sorties et activités avec prudence et vigilance, prévient cependant Dorothée Hoeffel. D’abord, parce que toutes les propositions ne sont pas adéquates pour des familles qui vivent dehors. Ensuite, parce que si elles n’ont rien au retour, le contraste peut être brutal. »

Lusine Vardanyan, la traductrice, est enfin là. Elle rejoint la famille russe dans la salle de jeux. Pour contenir la nervosité du mari, Félicie Klamm et Alexandra Schlouppe viennent à deux. « A leur arrivée il y a un mois, la communication était très compliquée. Monsieur s’emporte vite. Nous nous sommes jusque-là occupés des besoins de base », explique l’une d’elles. Après avoir refusé plusieurs propositions, les demandes d’hébergement de la famille semblent bloquées. Monsieur raconte les portes qui se ferment les unes après les autres, le sentiment d’être incompris, voire méprisé. « Vous êtes les seuls à nous aider », traduit l’interprète. Au fond de la pièce, sa fillette grimpe sur les installations en mousse, sous la surveillance de sa mère, qui s’efforce de lui sourire entre deux gestes d’inquiétude. La situation kafkaïenne heurte la fierté du père de famille, qui finit par croire qu’on lui en veut personnellement.

A force de questions et de reformulations, les deux travailleuses sociales discernent les possibilités de soutien et comprennent que la situation administrative de la famille a changé. Vraisemblablement exclue de la structure de premier accueil des demandeurs d’asile (Spada), elle n’a plus de référent social. Il va leur falloir clarifier ce point. Les professionnelles vont aussi accompagner les parents dans les démarches de scolarisation de leur enfant, les orienter vers une association de juristes bénévoles et leur donner l’adresse d’un espace sanitaire ouvert le week-end. Il est 17 h et la parenthèse se termine pour aujourd’hui. Chacun sait qu’il pourra revenir demain. Tandis qu’Alexandra Schlouppe donne d’ultimes indications à Monsieur en s’aidant d’une fiche en russe, mère et filles l’attendent déjà sur le trottoir.

Dès lors qu’elles ont obtenu un hébergement, les familles ne peuvent pas revenir à La Loupiote. « Si la mise à l’abri survient rapidement, elles ne bénéficient d’aucune information, d’aucun interlocuteur pour leur expliquer les rouages du système d’accueil », alerte Dorothée Hoeffel, qui propose qu’un dispositif semblable soit mis à disposition des familles hébergées à l’hôtel. En attendant, courant septembre, le bâtiment de La Loupiote va être réaménagé pour accueillir un autre service ciblant les questions d’alimentation et de parentalité.

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