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Crèche intergénérationnelle : quand Tom rencontre Josette

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Micro-crèche intergénérationnelle

Tom et Josette, premier réseau de micro-crèches intergenerationnelles

Crédit photo Jean-Michel Delage
Pour permettre aux enfants de bien grandir et aux aînés de bien vieillir, Tom et Josette joue la carte de l’intergénérationnel en installant, comme à Rennes, des micro-crèches dans des Ehpad. Une deuxième a ouvert à Bordeaux en mai et d’autres devraient suivre ailleurs, avec l’idée de créer un réseau spécialisé.

L’audience est captivée. Les plus jeunes sont dans les bras, les plus âgés sagement assis sur le tapis. A la micro-crèche rennaise Tom et Josette, c’est l’heure d’écouter l’histoire de Léontine, la lapine en peluche qui n’aime que les choses rouges. Alors forcément, quand elle met des fruits et légumes dans son panier, elle choisit des tomates et des radis. Mais c’est bien connu, les radis, « ça pique ! », s’exclame Marius, 2 ans, qui, comme ses camarades, ne perd pas une miette des aventures du mammifère à longues oreilles dans le potager imaginaire. Quelques salades vertes et carottes orange plus tard, l’attention du jeune public commence à diminuer. Cela tombe bien, c’est l’heure de la dégustation. Réunis autour de la table, les dix enfants se jettent goulûment sur les framboises apportées le matin même par le père de l’un des enfants. Une mise en bouche qui donne le ton de l’atelier qui va suivre. Direction le potager !

Jérômine Peyrègne, référente technique de la micro-crèche intergénérationnelle, et Fanny Germain, aide-éducatrice, assistent un groupe d’enfants en train de s’habiller. Lunettes sur le nez et bob sur la tête, Léonore, 2 ans, sait ce que cela signifie. « Papi-Mamie ! Papi-Mamie ! », répète-t-elle avec beaucoup d’enthousiasme. La sortie dans le potager n’est pas seulement l’occasion pour les enfants de découvrir s’ils ont la main verte. C’est aussi celle de rencontrer les pensionnaires de la maison de retraite privée Les Roseraies (établissement du groupe Domidep) qui, depuis octobre 2020, héberge la microcrèche au rez-de-chaussée. « Papi-Mamie, c’est le surnom qu’on leur a donné », explique la référente. A peine la porte passée, les enfants se précipitent dans le magnifique parc arboré de la résidence. Sous le soleil, Mélanie Allard, animatrice « potager », s’affaire autour des bacs en bois où poussent des herbes aromatiques et des fruits rouges. « Ça, c’est des grosses salades », observe en fin connaisseur Marius, qui ne peut résister à l’envie de les toucher. Mettre les mains dans la terre, lancer des paillettes de lin en l’air comme des confettis… Quoi de plus amusant quand on a 2 ans ?

Et voilà qu’arrivent les résidents de la maison de retraite, accompagnés de Maxime Ropert, l’un des deux animateurs. Leur cortège est en file indienne, et la moitié d’entre eux en fauteuil roulant. Certains sont des habitués, comme Jean-François Ronsin, 89 ans. Cet ancien responsable d’une société d’assurances participe régulièrement aux ateliers proposés en commun avec la micro-crèche. « Ça fait plaisir de les voir avec nous. Ils sont mignons et ils ont le sourire », explique-t-il. Cela lui rappelle les bons moments passés avec ses petites-nièces. L’octogénaire s’enquiert rapidement de la présence du petit Marius, son chouchou. « Ce sont souvent les mêmes personnes qui participent, un groupe de fidèles », remarque Jérômine Peyrègne. Enfants et personnes âgées commencent à bien se connaître. « Certains résidents réclament déjà certains enfants, et inversement. » Créer des liens entre les générations, c’est justement ce que visent les deux fondatrices de Tom et Josette, Pauline Faivre et Astrid Parmentier.

Retisser les liens

Pas encore trentenaires, elles se sont rencontrées en 2018 durant leurs études en master HEC « entrepreneurs ». Au fil de leurs discussions, les deux jeunes femmes se rendent compte qu’elles s’intéressent toutes les deux aux mêmes problèmes sociaux : d’un côté, la marginalisation des seniors ; de l’autre, le manque de places en crèche pour les tout-petits. De là est née leur envie de pallier ces deux manques en créant Tom et Josette. S’il existe déjà des structures de ce type en France, les co-initiatrices sont les premières à vouloir monter un réseau spécialisé. « C’est vraiment au cœur de notre projet pédagogique », assure Astrid Parmentier. Porter une entreprise ayant un impact social était, pour elles, une évidence. « On n’habite pas forcément dans la ville de nos grands-parents. Les familles sont éclatées. Avec Pauline, nous avions envie de faire des maisons de retraite des lieux de vie ouverts vers l’extérieur, de retisser les liens entre générations. » Elles dont certains grands-parents résident en maison de retraite souhaitent également changer le regard sur les aînés. Les deux entrepreneuses se sont donc rapprochées de groupes d’Ehpad (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), de résidences seniors et de logements innovants pour y installer des crèches. A Rennes, la maison de retraite Les Roseraies possédait justement des locaux inutilisés, autrefois dédiés à l’accueil des familles. Un espace de 120 m2 lumineux et spacieux, idéal pour accueillir dix enfants et une équipe de quatre professionnelles.

La pédagogie choisie est d’inspiration « Montessori » : ateliers de motricité libre, activités sensorielles, accompagnement vers l’autonomie et respect des rythmes de chacun. Jérômine Peyrègne a tout de suite adhéré au projet. « Cela a du sens pour moi. Mon père était directeur d’Ehpad », confie cette éducatrice de jeunes enfants qui a travaillé quatre ans en crèche parentale et deux ans comme référente technique de trois micro-crèches. « A chaque fois, je mettais en place des projets intergénérationnels, mais ce n’était pas assez régulier à mon goût », explique-t-elle. Chez Tom et Josette, les rencontres entre les enfants et les résidents se produisent deux à quatre fois par semaine. Toujours en extérieur pour le moment, Covid-19 oblige. Elles se déroulent souvent dans le cadre d’un atelier : gym douce, blind-test, danse-thérapie, médiation animale ou potager. Ehpad et crèche réfléchissent à tour de rôle aux activités proposées. « Il faut être vigilant à ce qu’elles soient adaptées aux deux types de publics », indique Jérômine Peyrègne. La référente technique de la crèche prend également garde à ce que les adultes ne soient pas placés dans une position d’infantilisation, mais plutôt dans un rôle de transmission de compétences. « L’entrée en institution est souvent un deuil de l’autonomie pour les résidents, parfois accompagné d’une perte d’estime de soi. Là, au contraire, on valorise leur vécu », confirme Maxime Ropert, animateur de la résidence.

Dans le jardin, ça bine et ça ratisse. L’animatrice « potager » propose aux seniors de sentir les aromates. « C’est de la mélisse, ça sent le citron. » Le calme des résidents tranche avec l’hyperactivité des tout-petits. Une ambiance dynamique qu’a bien connue Marcelle Odran. Autrefois, cette coquette octogénaire travaillait dans une garderie d’enfants. Une époque qui lui manque. « Aujourd’hui, notre société est parfois indifférente aux vieux. Il y a des jeunes parents qui ignorent les personnes âgées. Il n’y a plus de respect », se désole-t-elle.

Il est 11 h 30 et certains résidents commencent à s’enquérir de l’imminence du déjeuner. Les estomacs doivent être contentés. C’est l’heure de se séparer. « Au revoir, les papis-mamies ! » Tandis que Fanny Germain ramène les enfants à la crèche, Jérômine Peyrègne aide Maxime Ropert à prendre en charge les personnes en fauteuil roulant jusqu’à la salle à manger des Roseraies.

Les ateliers communs ont commencé en début d’année. Au début, à cause de l’épidémie, le personnel de la crèche était testé avant chaque rencontre. L’Ehpad avait demandé aux familles des résidents si elles étaient d’accord pour que leur proche y participe. Les retours ont souvent été favorables. « Les visites des familles ayant été suspendues ou limitées, cela permettait de conserver des moments de partage, de recréer du lien social », explique Marion Gervais, la directrice des Roseraies. Elle n’en retire que du positif : « Au quotidien, c’est plutôt un projet qui dynamise l’établissement. Nous avons deux animateurs. C’est une chance rare qui nous permet de prendre le temps d’effectuer des ateliers avec la crèche. » Une fois par mois, toute l’équipe, qui comprend aussi une psychologue, se réunit pour dresser un bilan et tracer les prochaines perspectives.

Vivre le moment présent

A terme, l’objectif est de parvenir à organiser un atelier en commun par jour et de diversifier les activités au maximum pour inclure tout le monde. Que les personnes soient valides ou non. Les résidents de l’unité de vie protégée sont donc également partie prenante du projet. Chaque semaine, les enfants de la crèche partagent avec eux le goûter durant une demi-heure. « De manière générale, au départ, ce sont les animateurs qui proposent aux personnes âgées de participer, et l’expérience est renouvelée si celles-ci en manifestent le désir », ajoute Marion Gervais. Si la cohabitation peut être source de joie, elle réveille parfois de vieilles douleurs. « Il y avait une dame qui venait au début à ces ateliers. Elle était contente, mais c’était aussi un déchirement pour elles de côtoyer des enfants car elle n’en avait pas eu », se souvient Jérômine Peyrègne. Quand les résidents ne peuvent pas s’exprimer clairement, c’est à l’animateur de déterminer s’ils y ont pris du plaisir ou pas. « Pour les personnes avec des syndromes démentiels, ce qui compte avant tout, c’est de vivre le moment présent », observe Anaïs Hérault, la psychologue des Roseraies.

Les bénéfices de ces échanges pour les tout-petits sont difficiles à apprécier car ils ne les formulent pas eux-mêmes. Toutefois, ils ont tendance à être plus calmes et attentifs. « Cela leur apporte de l’apaisement », assure Jérômine Peyrègne. La personne âgée porte sur l’enfant un regard bienveillant, neuf, sans inquiétude ni pression, qui augmente sa confiance en lui. A l’âge où celui-ci consolide son identité en se confrontant à l’autre et découvre la socialisation, l’expérience contribue à développer sa tolérance et son ouverture d’esprit. « Les enfants sont trop petits pour avoir conscience de la différence ou de la maladie, précise-t-elle. Ils n’ont pas non plus conscience de la mort avant l’âge de 6 ans » Ce qui n’empêche pas l’équipe de la crèche de réfléchir à la manière dont elle gérera la mort d’un résident participant aux ateliers : « Cela arrivera forcément. Il faudra alors qu’on choisisse bien nos mots. » Même si ce n’est que pour quelques mois, les seniors font partie de la vie des tout-petits, comme s’en est rendu compte Charlotte Omnes, la mère de Marius : « Il commence à nous parler des résidents. Il nous avait notamment raconté qu’une dame avait chanté Frère Jacques et qu’elle connaissait non seulement le refrain mais aussi tous les couplets. Cela l’avait impressionné. »

Comme pour toutes les micro-crèches, cette expérience à un coût : environ 1 800 € par mois, dont la moitié prise en charge par la caisse d’allocations familiales. Après Rennes, un deuxième établissement Tom et Josette a ouvert début mai près de Bordeaux. Pauline Faivre et Astrid Parmentier prévoient d’en créer huit autres d’ici 2022, majoritairement dans l’ouest du pays. « La crise du coronavirus a mis en lumière l’isolement des personnes en maison de retraite. L’environnement nous est donc très propice. Les Ehpad sont encore plus enclins à créer des projets intergénérationnels », constate Astrid Parmentier. En parallèle, sa collègue mène un projet de recherche dont l’objectif est d’étudier les bénéfices des liens intergénérationnels sur le développement du jeune enfant. Pour cela, elle a fédéré un comité scientifique composé de trois psychologues et d’un chercheur en impact social.

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