ASH : D’où vient ce projet de mission parlementaire sur la monoparentalité ?
Fanta Berete : Cette mission parlementaire s’inscrit dans le cadre des travaux que j’avais engagés autour de la création d’une carte « parent solo » qui aurait bénéficié aux parents isolés afin de leur octroyer un certain nombre d’avantages pour leur faciliter la vie. Ce projet avait pris la forme d’une proposition de loi qui aurait dû être inscrite au bureau de l’Assemblée à l’été 2023, mais les émeutes de juillet ont convaincu l’Elysée et Matignon d’y mettre fin. Nous avons alors réfléchi, avec le cabinet d’Aurore Bergé qui venait d’être nommée ministre des Solidarités et des Familles, à l’idée d’une mission parlementaire sur la monoparentalité qui apporterait une définition précise et inclusive de ce concept. Aujourd’hui, les différents acteurs qui travaillent sur ce sujet (Insee, sociologues…) disposent chacun de la leur et certaines sont parfois contradictoires. La mise en place de cette mission, que je devais initialement porter avec mon collègue Paul Christophe (Horizons, Nord), a été à son tour, ralentie par le remaniement gouvernemental et, aujourd’hui, elle prend place dans le périmètre des ministères de Catherine Vautrin (Travail, Santé et Solidarités) et Sarah El Haïry (Enfance, Jeunesse et Familles).
Quelle est le périmètre de votre mission ?
Cette mission s’articule autour de cinq chantiers : d’abord établir un état des lieux des différentes prestations existantes et leurs incohérences afin de rationaliser le système. Ensuite, travailler sur les moyens d’actions des caisses d’allocations familiales (CAF) envers les parents solos, évaluer – et au besoin réajuster – les dispositifs existants, notamment liés aux pensions alimentaires. Troisièmement, établir des pistes pour favoriser la co-parentalité. Les émeutes de l’été nous ont fait prendre conscience d’énormes carences à ce niveau-là. Il ne s’agit pas de s’immiscer dans la vie privée des familles, mais de faire en sorte qu’il existe davantage de complémentarité entre les deux parents. Notamment à la période de l’adolescence où les jeunes se construisent. Le logement constitue notre quatrième axe de travail. C’est un sujet particulièrement difficile. Les auditions réalisées lors de la préparation de la proposition de loi nous ont montré que la difficulté pour se loger obligeait parfois des parents séparés à continuer à cohabiter sous un même toit, ce qui n’est pas sans conséquences en termes de violences faites aux femmes. Il va falloir trouver des solutions afin de développer une politique du logement permettant d’éloigner des conjoints séparés. On va réfléchir à un certain nombre de pistes, parmi lesquelles la possibilité de faciliter le turn-over dans le parc du logement social. Il n’est que de 20 % aujourd’hui. Certains acteurs associatifs proposent de faire du statut de parent isolé une option supplémentaire en matière d’éligibilité au logement social. Je n’y suis personnellement pas favorable car il existe déjà beaucoup trop de catégories concernées, mais la mission aura le mérite de nous faire débattre de ces questions.
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Enfin, le dernier thème abordé sera celui de la monoparentalité et de l’emploi. Beaucoup de parents isolés – et là encore, essentiellement des femmes – voient leur carrière bloquée à cause de leur situation. Difficile d’évoluer professionnellement lorsque l’on se retrouve seul(e) avec des enfants à charge ! Là encore, nous risquons de rencontrer des situations compliquées. Celle des femmes de ménage amenées à intervenir sur site très tôt le matin ou très tard le soir, par exemple. Un certain nombre d’entre elles sont des « mamans solos » et ce rythme de travail nuit à leur équilibre familial. Gabriel Attal a d’ailleurs annoncé vouloir lancer une expérimentation en faveur de la conciliation de leur temps de travail avec les horaires classiques des entreprises. Mais en même temps, ces horaires décalés s’accompagnement de diverses primes auxquelles elles ne veulent pas renoncer pour ne pas perdre du pouvoir d’achat… Il va falloir jongler avec tout cela.
Comment votre mission s’articule-t-elle avec la proposition de loi « transpartisane » sur le statut des familles monoparentales portée par le député PS Philippe Brun ?
C’est une proposition de loi intéressante qui embrasse un large panel de sujets comme l’emploi ou le logement. Philippe Brun a d’ailleurs récupéré et inclus dans son projet des travaux préparatoires qui avaient été réalisés par des parlementaires de la majorité comme Aude Luquet, du Modem, sur la partie « parent solo » ou Caroline Yadan, de Renaissance, sur la fiscalité des familles monoparentales. Tout cela donne un texte très complet… mais qui a très peu de chances d’arriver jusqu’au bureau de l’Assemblée à cause de l’absence de créneau parlementaire pour le porter. La mission reprendra sans doute un certain nombre de mesures contenues dans cette proposition de loi. Pour ma part, avant juillet, je veux porter un certain nombre d’amendements au projet de loi de finances pour l’année prochaine qui en reprendront certains que je juge urgents comme la possibilité pour un parent isolé de pouvoir continuer à percevoir l’allocation de rentrée scolaire même pour les enfants ayant dépassé les 18 ans, ce qui n’est pas actuellement possible. Ce sera le seul moyen de voir cette mesure passer avant le mois d’août. Nous allons également travailler avec Xavier Iacovelli et la SNCF pour imaginer des réductions sur les billets de train de parents solos et faire entrer cette mesure en vigueur au plus tôt.
Ambitionnez-vous de définir un statut juridique de la monoparentalité ?
C’est l’objectif. L’exercice ne sera pas aisé. Il va falloir en déterminer les contours avec précision. Est-ce que le statut vaudra pour la personne qui garde les enfants durant la semaine ou s’appliquera-t-elle aussi au parent qui les a en charge le week-end ? C’est quelque chose qui ne figure pas encore dans mon scope. La mission sera l’occasion d’y réfléchir.
Allez-vous associer des travailleurs sociaux à vos travaux ?
Oui. Je souhaite constituer une forme de « conseil des parties prenantes » qui se réunirait mensuellement pour étudier avec nous toutes les facettes de la monoparentalité. Evidemment, les travailleurs sociaux, les associations, mais aussi des agents de l’administration y auraient toute leur place. Faire travailler ensemble les décideurs politiques et la société civile pour trouver des solutions, c’est l’état d’esprit qui animait La République en Marche entre 2016 et 2017. J’aimerais renouer avec cela.