Pendant plus d’un an et demi, le refus, pour un étranger sous le coup d’un arrêté d’expulsion, de se soumettre à un test PCR a été considéré comme constitutif d’une soustraction à une mesure de reconduite à la frontière – une infraction punie de trois ans d’emprisonnement maximum. Et ce, à tort, comme le rappelle la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 10 novembre 2021 (n° 21-81.925).
Cette décision apparaît cependant bien tardivement. Selon plusieurs avocats spécialisés en droit des étrangers contactés par les ASH, ce sont probablement « plusieurs centaines » de personnes étrangères qui ont été illégalement condamnées sur ce fondement (1), aussi bien dans le cadre d’une expulsion, d’une interdiction de territoire ou de la mise à exécution d’une interdiction de retour. Entre-temps, le législateur a pris soin de donner une base légale à cette infraction avec la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021.
« Pas une infraction à l’époque des faits »
Dans l’affaire jugée par la Cour de cassation, une personne d’origine guinéenne a fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) au début 2020. Le 27 octobre de la même année, en pleine deuxième vague de l’épidémie de Covid-19, il a été interpellé puis placé en rétention administrative. Le 23 novembre suivant, les autorités lui ont demandé d’effectuer un test PCR en prévision de son expulsion, prévue 48 heures plus tard via un vol commercial assuré par Air France. Du fait de l’épidémie, la compagnie exigeait alors que tout passager présente un test PCR de moins de 72 heures avant son embarquement.
Le refus de se soumettre à ce test a alors été considéré par les juridictions comme une soustraction à mesure de reconduite à la frontière. L’homme a été condamné en première instance à une peine d’emprisonnement de deux mois. Puis la condamnation confirmée en appel le 21 février 2021.
Dans son arrêt du 10 novembre dernier, la Cour de cassation annule cette dernière décision : « Le législateur n’avait entendu sanctionner que la soustraction à l’exécution de la mesure et non le refus de consentir à des actes préparatoires à celle-ci, sauf exceptions spécialement énumérées, parmi lesquelles ne figurait pas le refus de se soumettre à un test de dépistage, indique-t-elle. Ainsi, le refus par un étranger de se soumettre à un test de dépistage de la Covid 19 nécessaire à l’exécution d’une mesure d’éloignement ne constituait pas une infraction à l’époque des faits. »
Au moins des dizaines d’affaires similaires se sont produites, et très probablement des centaines. Un avocat spécialisé en droit des étrangers, qui officie sur Twitter sous le nom de Maître McClane, raconte aux ASH : « Au début de la crise sanitaire, une consœur me sollicite pour un étranger qui a fini en garde à vue pour avoir refusé de se soumettre au test PCR. Je me suis tout de suite dit que ça ne pouvait pas tenir une seconde. Je tente d’expliquer au parquet que ce n’est pas légal sur le plan médical ni sur le plan des libertés individuelles, mais il me répond qu’il s’en fiche. »
La justice au service de la politique
Finalement, la personne, d’origine tunisienne, a été condamnée à trois mois ferme et à deux ans d’interdiction de territoire, pour cette seule infraction qui, pourtant, sur le plan purement juridique, n’existe pas. « J’ai été contacté pour plusieurs dizaines de personnes, poursuit l’avocat. On s’est battus, on a travaillé sur tous types de conclusion : en relaxe, en nullité ou en exception d’illégalité. Rien ne passait. Dans cette situation, on est vraiment Don Quichotte face aux moulins à vent. Nos conclusions de relaxe font vingt pages mais, à chaque fois, nos clients prennent trois mois ferme avec mandat de dépôt. On est face à une autorité judiciaire qui fait du politique. »
Dans les semaines qui ont précédé l’arrêt de la Cour de cassation, les parquets ont senti, semble-t-il, le vent tourner. Plutôt que de systématiquement demander une peine d’emprisonnement ferme, ils ont eu recours à des alternatives, comme la composition pénale ou la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Cette dernière procédure, allégée, permet de proposer au prévenu une peine inférieure à celle encourue en échange de la reconnaissance de sa culpabilité.
Pour remettre de l’ordre, le législateur est intervenu par un amendement au projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire, devenu la loi du 5 août 2021. L’article L. 824-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit désormais que « le refus, par un étranger, de se soumettre aux obligations sanitaires nécessaires à l’exécution d’office de la mesure dont il fait l’objet » est puni de trois ans d’emprisonnement, au même titre qu’une soustraction à une mesure d’éloignement.
« Jamais on ne l’accepterait pour des nationaux français »
Une nouvelle base légale, donc, mais qui n’est pas sans décourager les avocats engagés, comme Maître McClane : « La notion d’ “obligation sanitaire" est particulièrement floue. On peut parler de n’importe quel examen médical. Aujourd’hui, c’est le test PCR pour le Covid, mais demain ça sera quoi ? un test contre le VIH ? Une ponction lombaire ? Pour moi, c’est aussi l’expression d’une volonté de l’Etat de faire comprendre aux personnes étrangères que même leur corps ne leur appartient pas, qu’il est sous le contrôle de l’autorité, et qu’ils perdent leur droit de consentir à un examen médical. Ce qui est appliqué pour les étrangers, jamais on ne l’accepterait pour des nationaux français. »
En France, l’Etat semble en effet vouloir s’assurer à tout prix que, pour les étrangers en situation irrégulière, l’enfer ne dure pas qu’une journée.
(1) Les ASH ont contacté le ministère de la Justice pour obtenir des chiffres plus précis, mais la chancellerie n’a pas donné de réponse.