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Etrangers : le zèle de certaines préfectures sur les OQTF

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FRANCE-ECONOMY-MIGRATION

Photo d'illustration.

Crédit photo PHILIPPE HUGUEN / AFP
Plusieurs avocats ont remarqué une multiplication du nombre d’obligations de quitter le territoire français (OQTF) dites « sans délai  », laissant ainsi peu de temps aux intéressés pour former un recours.

« Être méchant avec les méchants », avait promis le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin début novembre, lors de la première présentation de la future loi sur l’asile et l’immigration. Certaines préfectures semblent avoir pris au mot ses propos. Plusieurs avocats constatent une multiplication du nombre d’obligations de quitter le territoire français (OQTF) sans délai. Une décision prise, pour rappel, par le préfet, qui oblige l’intéressé à sortir du territoire dans les 48 heures suivant la notification de la décision d’éloignement (1).

Dans une instruction du 17 novembre 2022 (publiée sur le site du Gisti), le ministre avait d'ailleurs invité les préfets à « prendre des OQTF à l'égard de tout étranger en situation irrégulière, à l'issue d'une interpellation ou d'un refus de titre de séjour ».

 « Il se passe un truc »

« Cela fait un mois environ que je me dis qu’il se passe un truc, raconte Maître Claude Coutaz, avocat au barreau de Grenoble, aux ASH. En Isère, on constate des pratiques inédites. Par exemple, une OQT sans délai notifiée le vendredi midi à une personne qui demandait un simple renouvellement de récépissé. D'habitude, la notification de la décision se fait avec un certain délai, ce qui laisse le temps aux personnes de se tenir prêtes et de consulter un avocat. »

Avec cette nouvelle pratique, l’intéressé n’a pas suffisamment de temps pour se défendre et former un recours. « Souvent, les préfectures nous disent que l’erreur est humaine et que le juge est là pour faire son contrôle, ajoute Me Claude Coutaz. Sauf que le contrôle ne peut se faire que si on est en capacité de faire un recours... »

Des arguments parfois discutables

Les notifications cavalières ne sont pas les seules pratiques nouvelles de ces préfectures qui font du zèle. Certaines d’entre elles justifient de plus en plus les OQT pour menace à l’ordre public, avec des arguments parfois discutables. Concrètement, la préfecture va se baser sur le seul motif d’un mince casier judiciaire pour motiver un refus de renouvellement de titre. « Dans les motivations, on trouve même, parfois, des faits avec classement sans suite », s'étonne Me Claude Coutaz.

Une tendance confirmée par un autre avocat, qui exerce dans le département des Ardennes. Il explique aux ASH : « On a eu 45 dossiers en deux semaines, ça n’est pas habituel. La préfecture signe des OQTF sans délai pour des raisons d’ordre public de toute nature. Ça peut être une conduite sous stupéfiants en 2020, un cambriolage classé sans suite, une affaire de vente de contrefaçon de chaussures de sport qui n’est pas encore jugée… tout est bon. » L’avocat soupçonne la préfecture de consulter le fichier de traitement d’antécédents judiciaires (TAJ) sans vérifier l’existence d’une condamnation.

« La préfecture se contente d’évoquer le TAJ pour dépeindre un comportement général, renchérit Me Claude Coutaz. Si, encore, cela concernait des personnes condamnées plusieurs fois et pour lesquelles les services de l’Etat perdraient patience après une énième condamnation… Mais même pas ! » Les préfectures concernées notifient des OQTF à des personnes présentes depuis des années sur le territoire français et qui n’avaient jamais eu de difficultés de renouvellement de leur titre de séjour.

De son côté, Me Patrick Berdugo, avocat au barreau de Paris, n’a pas ressenti de bouleversement significatif ces dernières semaines : « Cela s’est toujours fait régulièrement, c’est archi classique. Pour faire simple, environ 80 % des personnes placées en rétention administrative le sont sur une OQTF sans délai. » Mais l’avocat a remarqué tout de même un léger changement : « Ce qu’on constate depuis plusieurs mois, c’est qu’il y a de plus en plus d’OQTF sans délai sur des refus de séjour. » Une tendance de fond qui, selon lui, date de bien avant l’apparente nouvelle politique du ministère de l’Intérieur traduite dans l'instruction du 17 novembre 2022.

Création de sans-papiers

Même si la pratique est loin d’être généralisée donc, elle semble tout de même se multiplier. Selon nos informations, une tendance similaire a été observée à Toulouse, Lyon ou Périgueux. Cette multiplication des refus de séjours assortis à une OQTF a une conséquence : elle crée d’autant plus de personnes sans-papiers.

Au vu du nombre de personnes concernées, les services de l’Etat ne pourront pas absorber toutes ces mesures, et le taux d’exécution des OQTF risque également d’en pâtir. « Ces OQTF ne seront pas exécutées, prédit en effet Me Claude Coutaz. J’ai vu passer une OQT pour une personne qui est présente en France depuis dix-sept ans, et qui a même trois enfants français. Là, la préfecture crée un sans-papier de toute pièce ! ».


(1) Mesure d’éloignement, l’OQTF est à distinguer de l’expulsion, qui n’est réservée qu’aux cas très graves. L’expulsion peut être contrainte par les forces de police pendant toute la durée du voyage.

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