Il n’est pas encore dix heures du matin, ce vendredi 10 décembre, quand la camionnette blanche du WoodYard arrive sur le parking de la zone commerciale de Coquelles, près de Calais. « Ce n’est pas vraiment notre camionnette en fait. On l’a empruntée à une autre association parce qu’on vient tout juste d’acheter la nôtre, mais on n’a pas encore enlevé les sièges pour y stocker du bois », sourit Valentin, un jeune Breton de 26 ans. Très peu pratique, et l’on comprend très vite pourquoi. A l’arrière du fourgon, une vingtaine de sacs de toile remplis de bûchettes, d’une vingtaine de centimètres chacune. « On prend chaque jour environ 120 sacs remplis, qu’on distribue sur les différents lieux de vie », continue le bénévole en poussant une brouette pleine à craquer. Ce matin-là, le vent souffle à près de 70 km/h. Après une nuit de pluie torrentielle, le chemin qui mène au campement n’est plus qu’une gigantesque flaque brunâtre. La brouette glisse sur la boue, quelques sacs en tombent. Les deux autres bénévoles, face au vent, peinent à avancer.
Tout le long du chemin, ils saluent les personnes qui se réveillent et entrouvrent leurs tentes pour guetter du coin de l’oeil ce qui se passe. Ça et là, ils prennent un sac dans la brouette et le vident à côté des tentes, près des feux éteints. Les bourrasques n’arrivent pas à faire s’envoler les bûchettes de l’un des seuls feux allumés. L’âtre est protégé par une bâche, gonflée comme une voile de bateau. Deux hommes d’une trentaine d’années veillent : sur un des feux, une conserve de lait commence à bouillir, sur l’autre, du café noir, bien sucré. « Ce campement se trouvait avant sur l’un des champs qu’on voit au bout du chemin, mais à force de se voir expulsées du terrain tous les deux jours, les personnes ont fini par s’installer le long du mur qui le longe », raconte Valentin.
Le WoodYard existe depuis la « grande jungle », le bidonville qui accueillait jusqu’en 2016 près de 10 000 personnes exilées qui voulaient tenter la traversée de la Manche pour atteindre l’Angleterre. Depuis son démantèlement, les lieux de vie se sont morcelés sur toute la ville et les bénévoles du WoodYard passent, tous les deux jours, sur chacun d’entre eux pour y distribuer du bois. « On est la seule association à se rendre partout, ce qui nous permet d’évaluer assez précisément combien de personnes vivent à Calais. On aimerait bien aller à Grande-Synthe également puisqu’il y a de la demande en bois, mais il nous faudrait un hangar. Idéalement à mi-chemin entre les deux villes », espère le militant associatif en déchargeant sa brouette.
Equitable
Cet hiver, ils et elles sont une quinzaine à avoir rejoint le WoodYard. Dans le hangar des associations, à la sortie de Calais, les bénévoles se partagent les tâches entre découpe du bois dans leur petite scierie en plein air et distributions sur les campements. Le bruit des tronçonneuses couvre celui des bûches fendues. En fond, deux enceintes crachent de la techno au rythme des coups de hache. Ce jour-là, Lisa, Pauline et Pierrot s’activent à la découpe. Deux tas de bois de plusieurs tonnes ont été livrés depuis la Belgique et les Vosges. En novembre, l’association en a déjà distribué 39 tonnes.
Lisa, 23 ans, donne deux semaines de son temps à l’association. La jeune bénévole vient d’Allemagne, où elle finit ses études dans le secteur du social : « Je voulais partir en Biélorussie et en Pologne au début, mais l’accès était très compliqué. Alors je suis arrivée ici, à Calais, où il y a toujours besoin de monde. » Et la demande en bois ne va pas s’arrêter : « C’est un travail dans la durée, mais qu’on sent très utile pour les personnes qui vivent ici dans ces conditions », explique-t-elle en pesant un gros sac. Huit kilos précisément. Elle sourit, puis le jette avec les autres.
Certains bénévoles viennent en voisins. Comme Pierrot, Dunkerquois. Il partage son mi-temps dans un camping avec ses journées au WoodYard où il vient donner, de temps en temps, un coup de main. A 66 ans, le retraité s’étonne du peu de locaux parmi les bénévoles : « Moi, je sais ce que c’est qu’un bout de bois. Je bossais dans l’insertion avant et surtout dans le milieu du bois. Mais je suis heureux de voir que, chez les jeunes, il y a une véritable volonté de se rendre utiles. » En mettant les bûches déjà fendues dans un sac de toile, il décompte : « On remplit environ deux cents sacs par jour, ce n’est pas rien ! Mais on ne les conçoit pas trop gros pour que, lors des expulsions, les personnes puissent les prendre avec leurs affaires. »
Pauline, une Normande de 27 ans, sort du hangar et allume une cigarette. La photographe de métier est venue donner de son temps à Calais, en rejoignant une amie. Engagée également à Briançon, où elle participait à l’accueil solidaire, elle reviendra en janvier au WoodYard où elle semble avoir trouvé sa place : « Il y a une question de genre ici que je trouve intéressante. On n’imagine pas que beaucoup de filles sont au WoodYard et pourtant, c’est une association super équitable. On s’est retrouvées par hasard ici pour couper du bois et on a rencontré beaucoup de filles. Alors qu’il pourrait y avoir la peur de la hache, on finit par se rendre compte qu’on sait et qu’on peut couper du bois. » Derrière elle, gantée, Lisa manie la tronçonneuse et scie des bûchettes. Une fois par semaine, les bénévoles se retrouvent pour échanger sur les distributions et, cette semaine, l’arrivée du froid va accroître la demande en bois, nécessaire au chauffage et à la nourriture. « Ce qui m’a le plus frappée en arrivant à Calais, ce sont les conditions de vie des personnes exilées mais aussi le non-respect du droit. Ils ne peuvent pas interdire les distributions... alors ils érigent un mur, des pierres, ou creusent une tranchée pour nous empêcher de venir aider », se désespère Pauline.