Ce mercredi 18 mai, sous le soleil printanier, plusieurs centaines de personnes sont présentes à l’accueil de jour du Secours catholique de Calais. Ici, elles peuvent trouver un peu de chaleur, de l’électricité, du wifi, du thé et du café. Ce jour-là, l'équipe du dispositif mobile de soutien aux exilés (DMSE) de la Croix-Rouge est présente. Devant le portail du local, la clinique mobile est garée, toutes portes ouvertes.
Camille et son équipe se sont installées dans une salle, à l’intérieur du grand bâtiment. « Depuis une semaine, nous avons enfin des cabines pour permettre un peu d’intimité aux personnes qui appellent leurs familles, elles sont même isolées phoniquement », se réjouit-elle. Camille est responsable opérationnelle terrain de la Croix-Rouge dans les Hauts-de-France, en charge notamment du rétablissement des liens familiaux.
Cinq minutes pour reprendre contact
Cette mission spécialisée existe depuis la création de l’organisation et fait même partie des protocoles additionnels des Conventions de Genève. Sur le terrain, il s’agit de « maintenir ou rétablir les liens entre les membres d’une même famille et faire la lumière sur le sort des personnes portées disparues, lorsqu’un conflit, une catastrophe naturelle ou d’origine humaine, ou toute autre situation ayant une incidence sur le plan humanitaire, vient rompre les liens familiaux ».
A Calais, le maintien du lien familial se fait surtout par téléphone. En maraude ce matin-là Rue de Judée, sur l’un des campements de la ville, une cinquantaine de personnes chargent leurs téléphones sur les générateurs du Refugee Info Bus. Les sept travailleurs de la Croix-Rouge, en possession de plusieurs téléphones, proposent de passer un appel de cinq minutes à leurs familles. « C’est un premier contact qui permet également de rencontrer les personnes et de les orienter », explique Camille.
Téléphones perdus en mer
Grâce à l’application Libon, ils ont la possibilité de téléphoner gratuitement dans de nombreux pays du globe. « Calais est une frontière assez particulière, où les besoins basiques ne sont déjà pas assurés, ajoute la responsable. Alors, dans ce contexte-là, garder le lien avec sa famille n’est pas toujours une priorité pour les personnes. » Sans compter que lors des tentatives de traversées en mer, les téléphones sont souvent perdus ou noyés.
La Croix-Rouge agit alors en premier lieu sur la prévention : « Nous conseillons d’enregistrer les numéros de téléphone importants sur les cartes mémoires, si possible sur une boîte mail, de toujours prévenir une personne de son départ, en partageant la géolocalisation. » Lors des maraudes, les bénévoles de la Croix-Rouge distribuent aussi quelques flyers de prévention, notamment sur les risques en mer. L’été approche, avec lui le beau temps et l’explosion des tentatives de traversée de la Manche. En 2021, près de 35 000 personnes étaient arrivées sur les côtes britanniques.
Des officiers de recherche volants
La route de l’exil, souvent longue, sépare des familles. Et la Croix-Rouge a pour mission également d’aider à se retrouver. Pour cela, de part le monde, ses bureaux sont en lien pour effecuter les recherches des personnes disparues. C’est Emma qui se charge de cette tâche dans les Hauts-de-France : elle est ce qu’on appelle un « officier de recherche volant ». Basée à Lille, elle se déplace une fois par semaine à Calais pour réaliser des entretiens de recherche avec les personnes désireuses de retrouver un proche.
Actuellement, elle gère près de 200 dossiers. « La plupart des demandes à Calais proviennent de personnes arrivées au Royaume-Uni et qui recherchent un proche encore sur la route », explique-t-elle. Lors de ces entretiens, les questions portent sur le trajet effectué par la personne recherchée. « Si la séparation est récente et visuelle, les entretiens durent un peu moins d’une heure, avec souvent la présence d’un traducteur », détaille l’humanitaire. « Mais si la séparation est plus ancienne ou est synonyme de rupture de tout contact, les entretiens peuvent durer jusqu’à deux heures. » En 2021, l’organisation a fait passer à Calais vingt-six entretiens de recherche.
« Trace the Face »
Emma entreprend deux types de recherches. Celles « entrantes », d’un proche qui tente de retrouver une personne sûrement présente à Calais, puis les « sortantes », dans les cas où il s'agit de retrouver une personne sur la route de l’exil. Dans le second cas, « nous pouvons faire appel aux équipes de la Croix-Rouge mobilisées dans le monde entier pour la retrouver ». Pour la jeune femme, le contexte calaisien complique cependant le travail d’enquête, « beaucoup des personnes qui vont lancer des recherches font ensuite la traversée pour le Royaume-Uni, et nous perdons alors le contact avec elles ».
A l’accueil du Secours catholique ce jour-là, un homme d’une trentaine d’années se présente. Il vient d’Afghanistan et n’a plus de nouvelles de son frère depuis dix-sept ans. Après un an de recherches infructueuses, il veut essayer l’un des outils de la Croix-Rouge, « Trace the Face » : sur ce site web, il publie sa photo expliquant qu’il recherche son frère. Si l’une des équipes de la Croix-Rouge présente dans le monde pense l’avoir retrouvé, il aura accès à une photo de la personne recherchée, qui elle n’est pas publique.
Confiance et consentement
A Calais comme ailleurs, les équipes de recherche de la Croix-Rouge travaillent en lien étroit avec d’autres associations comme France terre d'asile pour la recherche de mineurs ou les centres de rétention administrative pour les personnes retenues. « A chaque entretien, nous faisons signer un formulaire de consentement pour partager les informations données avec les autres associations ou les administrations », explique Emma. « Cela prend du temps. Il faut rassurer les personnes et détailler ce que nous allons faire de leurs informations. Il faut établir un véritable lien de confiance. »
En 2021, les équipes du rétablissement des liens familiaux ont réalisé près de 200 maraudes. Au total, ce sont plus de 5 000 appels passés par les personnes en exil qui ont abouti.