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Laurent Puech : « Une société de la simplification »

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Doctor consulting patient

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Crédit photo Liudmila Dutko - stock.adobe.com
Dans le cadre d’une proposition de loi destinée à mieux protéger les victimes de violences conjugales, le secret médical pourra désormais ne pas être respecté. Une exception qui, selon Laurent Puech, spécialiste du secret professionnel dans le secteur médico-social, pose question.

Actualités sociales hebdomadaires : La levée du secret médical pour les femmes victimes de violences va-t-elle permettre de mieux les protéger ?

Laurent Puech : Il faut resituer cette mesure dans son contexte : celui de l’augmentation des féminicides en 2019. On sait aujourd’hui que cet accroissement n’a eu lieu que sur les trois premiers mois de l’année. Il n’empêche que la pression a été très forte à ce moment-là, ce qui a largement conditionné le Grenelle des violences faites aux femmes, lancé en septembre de la même année. Le contexte a été déterminant : il fallait éviter à tout prix le passage à l’acte létal. La possibilité de lever le secret médical et de permettre au médecin d’informer le procureur de la République ou de faire un signalement même si la patiente n’est pas d’accord est une proposition du rapport sur les homicides conjugaux rendu en octobre 2019. On est dans une société de l’émotion et de la simplification, c’est le problème. De l’extérieur, on peut penser intuitivement qu’un soignant qui voit des hématomes ou des traces de coups doit signaler et que, une fois la police prévenue, le problème sera traité. Mais le propre des situations de violences conjugales est d’être complexe. On ne fait sans doute pas assez ou pas bien sur ces questions, mais dire qu’on ne fait rien, comme on pourrait le croire, est faux. Depuis 2010, la tendance générale est plutôt à la baisse en matière de féminicides : en 2006, 195 femmes ont été tuées et, sur les dernières années, on est plutôt autour de 115 à 120. Il y a parfois des rebonds, comme l’année dernière, pour laquelle les chiffres ne sont pas encore publiés mais devraient se situer aux alentours de 126 à 149. 

ASH : Ne vaut-il pas mieux signaler, même pour rien, plutôt que passer à côté d’un drame ?

L. P : Dans le cas des féminicides, le ministère de la Justice a montré que 60 % des femmes avaient porté plainte avant. Le fait qu’elles aient vu un médecin ou non ne change pas grand-chose, même si celui-ci fait partie des interlocuteurs qu’elles peuvent voir régulièrement. Pour certaines femmes, la levée du secret médical sera utile, mais, pour d’autres, cette réponse peut être contre-productive. Elles penseront qu’elles n’ont plus intérêt à tout raconter à leur médecin, et masqueront ou ne se confieront pas sur ce qu’elles vivent dans le huis clos conjugal. On leur ajoute une couche de violence supplémentaire. Une des réponses efficaces à cette question est de sécuriser la parole des femmes, car parler peut parfois créer du danger. Elles ont besoin de pouvoir le faire sans crainte. A défaut, elles risquent d’être dissuadées de consulter. Le cadre législatif actuel offrait déjà la possibilité au médecin de faire un signalement à l’autorité judiciaire, soit avec l’accord de la victime quand il pressent qu’elle subit des violences, soit sans son accord quand elle n’est pas en capacité mentale ou physique de se protéger. En revanche, il est obligé de le faire lorsqu’il estime qu’il y a péril pour la personne. Dans la nouvelle loi, ces dispositions demeurent, mais on rajoute la notion de « danger vital immédiat ». Or le péril comporte déjà l’imminence d’un danger. 

ASH : Le professionnel de santé est appelé à agir aussi s’il juge que la femme est sous emprise… mais comment l’évaluer ?

L. P : La question n’est pas l’emprise, dont la définition est très large, mais le niveau de l’emprise. Ce sera au médecin de se débrouiller avec ce flou. Le refus de déposer plainte n’est pas forcément le marqueur d’une domination. Les femmes veulent que la violence cesse mais, de façon tout à fait rationnelle, certaines ne souhaitent pas pour autant que l’autre soit sanctionné parce qu’il y a une histoire commune entre eux, des enfants… La plainte les renvoie souvent à une menace d’emprisonnement de l’auteur. Protéger quelque chose, peut-être une idéalisation de l’autre, ne signifie pas qu’elle est sous emprise. Il existe aussi des situations de brutalités dans les couples sans qu’il y ait emprise de l’un sur l’autre. Toutes les violences ne sont pas de même nature. Là, c’est comme si l’on construisait une image de la fragilité, voire de la nécessaire substitution à la victime. En l’incapacitant, on sous-tend comme légitime sa protection malgré ou contre elle. Le fait qu’une victime vienne voir un médecin n’est-il pas un signe objectif d’une capacité à se protéger, peut-être partielle ou insuffisante, mais néanmoins réelle ? Faire un signalement contre son gré la ramène à un statut de personne mineure ou d’adulte non responsable. 

ASH : La levée du secret médical existe déjà dans la protection de l’enfance…

L. P : Absolument. Les soignants ou les travailleurs sociaux ont la possibilité de lever le secret professionnel pour signaler des maltraitances, sauf situation de péril où ils y sont également contraints. C’est donc le même cas de figure. Sauf qu’il est régulièrement question de modifier la loi afin que la possibilité de signaler devienne obligatoire. La commission des lois du Sénat a examiné sérieusement ce sujet sensible et a décidé, dans un rapport remis en février dernier, de ne rien changer. En effet, les pays où l’obligation est actée notent une augmentation des signalements injustifiés et un risque de dilution des cas les plus graves dans un ensemble de cas à traiter. L’affaiblissement du secret professionnel peut amener aussi, dans certains contextes, les familles maltraitantes à ne plus emmener leurs enfants chez le médecin. 

ASH : S’ils ne signalent pas, les médecins peuvent-ils être accusés de non-assistance à personne en danger ?

L. P : C’est un écueil. C’est un peu comme si on leur disait : « C’est toi qui vois. » Certains peuvent être mal à l’aise et préférer fermer les yeux de peur des complications, du style : « Je n’ai rien vu, rien entendu. » D’autres ouvriront le parapluie pour se protéger et signaleront, même si la femme refuse. Il leur est demandé d’agir « en conscience », mais qu’est-ce que cela signifie ? L’évaluation d’une situation de violences repose sur des éléments objectivés ou pas. Le professionnel n’a pas besoin d’une levée du secret médical mais d’appuis, car il est très souvent seul face à une situation de mauvais traitements qui le travaille. C’est  là qu’il faudrait mettre des moyens. C’est pareil pour les travailleurs sociaux, qui connaissent l’importance de la temporalité sur ces sujets mais n’ont pas vraiment été entendus dans le cadre du Grenelle. La société du tout-signalement a ses limites. L’enjeu est plutôt de se demander comment soutenir les professionnels face à un dilemme éthique, comment les aider à nourrir leur pensée afin qu’ils ne soient pas happés par le fantasme du sauveur ou tétanisés par la peur, de façon à prendre une décision éclairée. Il n’y a pas de bon choix à l’avance, mais un choix le plus justement évalué. Sans oublier qu’aider une victime, c’est se tenir à ses côtés dans ce qu’elle veut. 

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