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Faut-il rendre imprescriptibles les crimes sexuels sur mineurs ?

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Marie Dosé, l'avocate, face au juge Edouard Durand. 

Crédit photo DR & Panconi
Non pour l'avocate Marie Dosé qui estime que les délais actuels de prescription, sont suffisants et qui souligne les risques d'une justice arbitraire avec le temps. Oui, pour le juge Edouard Durand qui soutient que l'imprescriptibilité ne représente pas une vengeance, mais plutôt un moyen pour les victimes de rétablir leurs droits . Il affirme également que le rôle de la loi est de reconnaître les crimes, pas de les ignorer.

Parmi les 82 préconisations de son rapport final, la Ciivise plaide pour supprimer la prescription en matière de violences sexuelles faites aux enfants. Si les professionnels s’accordent pour regretter les dysfonctionnements du système judiciaire, en matière notamment de prise en charge des victimes ou de délais d’attente, la question de supprimer la date butoir pour exercer une action en justice continue de faire débat.

 

La prescription est un rempart contre l’arbitraire des poursuites

Je conçois qu’il existe un régime spécifique de prescription de l’action publique en matière de crimes sexuels sur mineurs. Chacun sait le poids du silence, du refoulement, de la sidération, et des traumatismes que de tels actes sont susceptibles d’engendrer. Il faut du temps pour réaliser le mal qui a été fait, poser les mots et saisir la justice. Mais tout ceci a déjà été pris en considération : les délais de prescription de l’action publique ont été régulièrement allongés jusqu’à permettre à la victime de déposer plainte plus de quatre décennies après les violences sexuelles subies. Désormais, un adulte peut saisir la justice jusqu’à ses 48 ans. Enclencher l’action publique plus tard n’aurait aucun sens, notamment parce que la preuve n’est pas éternelle. Tous les faits dénoncés aujourd’hui sont prescrits parce que l’ancien régime s’applique, selon la règle de non-rétroactivité de la loi pénale. Dans le système juridique actuel, Vanessa Springora, autrice du Consentement (éd. Grasset), aurait pu déposer plainte puisqu’elle avait moins de 48 ans au moment de la révélation des faits.

 

Le temps judiciaire n’est pas le temps de la réparation

Par ailleurs, le procès n’a pas en soi de vertu cathartique et son dessein n’est pas de réparer psychologiquement la victime. La justice doit d’abord se concentrer sur la question de savoir si un homme est coupable ou non des faits qui lui sont reprochés et, le cas échéant, décider de la peine la plus juste à son encontre. Or, 80 ans après les faits dénoncés, le dépérissement des preuves est incontestable et on ne peut, sans risquer de sombrer dans l’arbitraire, fabriquer une déclaration de culpabilité. Comment se défendre d’une accusation quand les témoins ont disparu, quand il ne reste rien de la scène de crime évoquée ? Même si le procès peut, parfois, aider à la réparation de la victime, ça n’est pas son but. Il peut d’ailleurs, au contraire, la replonger dans le mal qui lui a été fait de façon extrêmement violente. Le temps judiciaire n’est pas le temps de la réparation. Beaucoup de parties civiles souffrent de devoir se confronter à nouveau des années plus tard à la violence subie.

Et puis, l’imprescriptibilité risque d’enfermer la victime dans une identité victimaire qui ne participe pas à sa réparation : se définir par le mal que l’autre vous a fait perpétue le lien entre victime et auteur. Plutôt que de concentrer les débats sur la prescription, des moyens doivent être donnés à la justice pour mieux accueillir et écouter les victimes, pour mieux former les enquêteurs. Par exemple, j’ai pu constater à quel point les ateliers de justice restaurative pouvaient être constructifs, tant pour le condamné que pour la victime. La confrontation judiciaire entre la victime et son bourreau recèle trop d’enjeux. Dans un procès, les aveux et les regrets de l’accusé sont rarement considérés par la partie civile, qui y voit une absence de sincérité ou une stratégie de défense pour éviter une condamnation trop lourde.

Marie Dosé, avocate, auteur de L'éloge de la prescription, (ed de l'Observatoire)

 

S’opposer à l’imprescriptibilité revient à être dans le déni

La question de savoir s’il faut rendre imprescriptible la poursuite des crimes et délits sexuels commis contre les enfants est légitime : il n’y a pas d’obstacle juridique, philosophique, moral, politique qui interdisent de la poser. Contrairement à d’autres préconisations de la Ciivise, elle nécessite un débat et une réflexion collective. Après l’avoir examiné avec rigueur en auditionnant des experts, en prenant le temps de débattre, nous avons considéré que les arguments habituellement invoqués pour s’y opposer n’étaient pas solides. Pour commencer, l’argument du dépérissement des preuves est profondément injuste. Parce que même quand la plainte est déposée quelques heures après les violences, on oppose déjà aux victimes l’absence de preuves. Au contraire, quand du temps passe, on arrive davantage à réunir d’autres types de preuves, d’autres victimes, d’autres témoignages. On entend aussi souvent dire qu’avoir une date limite pour exercer une action en justice peut inciter certaines victimes à se lancer. Depuis quand subordonne-t-on l’énoncé d’un droit à l’interprétation hypothétique de l’usage qui en sera fait ?

 

Réduire les délais d’instruction

On veut par ailleurs faire croire que l’imprescriptibilité serait l’illustration d’une forme de haine éternelle. Mais soumettre sa demande à un tribunal face à des transgressions aussi graves en recourant à la justice est le contraire de la vengeance. Ou alors c’est tout le système pénal qui devrait être anéanti. De la même façon, l’idée que la prescription est facteur de paix sociale est erronée. Ce qui a été conçu pour l’assurer, c’est de remettre la loi à sa place, pas de faire comme si les crimes n’existaient pas. D’ailleurs, de nombreux Etats de droit ont adopté l’imprescriptibilité pour les violences sexuelles envers les enfants.

On soutient que la justice n’est pas là pour réparer la souffrance des victimes. Mais qui prétend qu’elle a une fonction thérapeutique à part ceux qui veulent la discréditer ? Ce que les victimes attendent, c’est d’être restaurées dans leurs droits et que l’agresseur qui a commis une transgression majeure soit reconnu comme ayant enfreint la loi. Je suis juge des enfants, pas thérapeute. Mais je sais que mieux j’exerce mes fonctions, plus la décision judiciaire est structurante pour les personnes à qui elle s’adresse.

Lorsque la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise préconise l’imprescriptibilité de l’indemnisation, personne ne pousse de hauts cris. Ce qui poserait problème serait-il le fait de déclarer des criminels coupables et de leur appliquer une peine pour leur infraction ? En raison de phénomènes spécifiques à ce type de violence, comme la stratégie de l’agresseur, l’amnésie traumatique ou la peur, et surtout le déni social extrêmement puissant, la révélation des faits en la matière se révèle complexe. Le temps qui passe ne passe pas pour les victimes. C’est ce que j’appelle le présent perpétuel de la souffrance. Plutôt que d’accumuler des arguments sans substance, mieux vaut se donner les moyens de réduire les délais d’instruction et les nombreux classements sans suite ou relaxes pour inspirer confiance aux victimes afin qu’elles puissent avoir recours aux institutions le plus vite possible.

Edouard Durand, juge des enfants et ex président de la Ciivise

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