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Mayotte : « certains professionnels travaillent la peur au ventre » (Hugues Makengo, Cress)

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62 % des structures de l'ESS ont rencontré des difficultés de fonctionnement dont l'impact est qualifié de "fort", depuis le début du mouvement social organisé dans la région en 2024.

Crédit photo DR
[Interview]. Menaces, agressions, incendie. Les violences à l’encontre des associations locales qui interviennent depuis le début de l’année à Mayotte ont de lourdes conséquences sur les conditions de travail des professionnels. Pour apaiser les tensions, Hugues Makengo, secrétaire général de la Cress de Mayotte mise sur un discours clair porté par les responsables politiques. Le but : réaffirmer les missions d’intérêt général du secteur social.

 

Confrontée à de multiples crises depuis dix ans, une partie des citoyens de Mayotte prennent pour cible les associations d’aide aux personnes vulnérables. Directeur général de l’association Mlezi Mahore (groupe SOS) et secrétaire général du Cress de la région, Hugues Makengo dénonce un manque de compréhension des enjeux auxquels font face les travailleurs sociaux dans l’accompagnement de l’ensemble de la population.

ASH : Qu’observez-vous concernant les attaques exercées contre le milieu associatif ?

Hugues Makengo : Les mois de janvier et de février 2024 ont été difficiles pour les professionnels du secteur. Le champ de l’Economie social et solidaire (ESS) s’est trouvé pris pour cible. De nombreux acteurs de la Chambre régionale de l’Economie sociale et solidaire (Cress) de Mayotte ont été désignés comme responsables de l’immigration clandestine lors des barrages routiers érigés par la population locale pour dénoncer l’insécurité et la présence de centaines de demandeurs d’asile. Depuis le début de l’année, de nombreux travailleurs sociaux sont ainsi menacés ou agressés. C’est intolérable au sein de la République !

Comment expliquez-vous ces phénomènes de violence ?

Nous sommes incompris. Nous exerçons nos métiers pour accompagner les personnes vulnérables, il s’agit d’une nécessité impérieuse pour la société. Ce n’est pas clair pour tout le monde. Pourtant, nos contributions en font régulièrement la preuve comme durant les périodes de Covid, de crise de l’eau ou pour l’épidémie de choléra que nous rencontrons actuellement.

Il est donc nécessaire qu’il n’y ait pas de confusion. Contrairement à ce que certains individus pensent, nous avons pour mission d’assister et nous ne cautionnons pas de comportements illégaux. La semaine dernière, nos collègues de Solidarité Mayotte ont été la cible d’un incendie dans leurs locaux. Les causes seraient liées à des problématiques directes entre les citoyens et les personnes migrantes qui dormaient devant l’association. Cela engendre de l’insécurité pour les travailleurs sociaux. Malheureusement, l’ensemble des associations sont perçues comme responsables des problèmes économiques de Mayotte. Il est donc important qu’elles soient entendues par les pouvoirs publics.

> A lire aussi : Centres de rétention administrative : davantage d’enfermement en 2023

Qu’attendez-vous de l’Etat et de la collectivité territoriale ?

Ils doivent être clairs sur les mandats qu’ils nous délèguent avec leurs subventions. Les interventions des travailleurs sociaux constituent des missions qui relèvent de l’intérêt général ou du service public. Les pouvoirs publics doivent nous accompagner et rester vigilants lorsque nous intervenons. Et ce, afin que tout le monde comprenne nos missions. L’apaisement viendra aussi du courage des responsables politiques. Nous avons besoin d’un temps pédagogique pour que la population admette que les associations n’agissent pas d’elles-mêmes. Leurs actions profitent d’ailleurs à la communauté mahoraise car nous sommes aussi des acteurs économiques. Nous employons 2 836 personnes, dont 83 % font partie d’associations (chiffres 2023).

Des explications claires permettraient aussi de faire face aux idées reçues concernant les droits des demandeurs d’asile, en matière de logement par exemple car le fait d’aider les populations étrangères a des vertus, notamment sur le plan de la santé publique. De notre côté, nous sensibilisons via des plaidoyers et nous avons également écrit à nos interlocuteurs, c’est-à-dire aux ministres ou au préfet. Au niveau national, ESS France a alerté le premier ministre en février dernier sur l’insécurité et le manque de moyens dans le secteur de l’ESS.

> Sur le même sujet : « Mayotte connait déjà un droit du sol dérogatoire » (Fas)

Dans le contexte, comment réagissent les travailleurs sociaux ?

L’impact sur les professionnels est important. Certains partent travailler la peur au ventre. Nous avons pu observer leur courage, surtout ceux qui interviennent auprès des populations migrantes. D’autres n’ont pas trouvé la force de continuer à exercer à la suite des barrages. Il y a eu beaucoup de démissions. C’est compréhensible au regard de l’ampleur qu’ont pris les intimidations. Des salariés ont aussi déposé des plaintes. Selon une enquête transmise en mars à Marie Guévenoux, ministre déléguée chargée des Outre-mer, les incidents de début d’année ont généré l’annulation de 92 postes créés dans le secteur de l’ESS.

Qu’en est-il de l'implication des professionnels qui persistent à travailler, en dépit des risques ?

Nombreux sont ceux qui trouvent un intérêt à exercer sur ce territoire en raison de la multitude de besoins des populations. Les travailleurs sociaux restent portés par des valeurs. Cela engendre de la résilience, la plupart persistent dans leur métier. Il est donc du devoir de la Cress de continuer d’aller vers les pouvoirs publics et vers les leaders d’opinions pour interpeller sur les dangers si ces situations sont amenées à perdurer. Il s’agit surtout de permettre aux professionnels d’organiser leur travail dans des conditions normales, sans être la cible de qui que ce soit.

>> L’enquête sur l’impact des barrages 2024 à Mayotte

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