Ils ne s’attendent à rien, mais se préparent tout de même à être déçus. C’est dans une ambiance de sinistrose que les partenaires sociaux des branches sanitaires et de l’action sociale se préparent à engager l’édition 2024 de la conférence salariale des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) qui s’ouvre aujourd’hui. Traditionnellement, c’est au cours que cette grand-messe annuelle que représentants des ministères du Travail, de la Santé et des Solidarités, organisations d’employeurs et syndicats de salariés déterminent la revalorisation des points conventionnels qui fixent les rémunérations des salariés de ces branches pour l’année à venir.
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Mais cette année, les jeux paraissent joués d’avance. En annonçant un plan d’économies de 10 milliards d’euros – dont environ un milliard pour le seul périmètre du sanitaire, social et médico-social – Bruno Le Maire a d’ores et déjà plié le match. Et douché au passage les espoirs de révision à la hausse des rémunérations pour près d’un million de salariés. « D’habitude, on est en colère à la sortie de la conférence… cette fois, on l’est déjà avant même d’y rentrer ! » déplore Julie Massieu, pilote de la délégation Bass au sein de la fédération CGT de la santé et de l’action sociale. Et inutile au passage, du côté des syndicats, d’espérer fléchir la partie gouvernementale en organisant un raout de salariés mécontents devant les portes de la Direction générale de la Cohésion sociale qui accueille habituellement l’évènement puisque les débats, comme l’année passée, se tiendront à distance en visioconférence.
D’ordinaire, c’est plutôt l’opposition classique patronat-syndicats qui anime ces rendez-vous annuels. Ici, même les représentants des employeurs font grise mine en s’attendant à des enveloppes d’augmentations encore moins généreuses qu’à l’accoutumée. A commencer, explique mezzo voce un négociateur patronal, par la Fehap, la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés solidaires, qui réclamait entre 300 et 500 millions pour les personnels de ses établissements et sait qu’elle repartira sans doute avec beaucoup moins, rabotages budgétaires de Bercy obligent.
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Le problème, c’est que les annonces du ministre de l’Economie et les Finances surviennent alors que les établissements sont à l’os, accusant un sérieux déficit de main d’œuvre. « Nous sommes confrontés à d’énormes difficultés de recrutement. Etant donné les faibles niveaux de rémunération, nos métiers deviennent de moins en moins attractifs. Si rien n’est fait, notre système de santé court à la catastrophe », prophétise Loïc Le Noc, secrétaire national de la CFDT santé-sociaux. Avec des professions qui recrutent encore sur des niveaux de rémunération infra-SMIC et des grilles de classification à la progression plutôt chiches – c’est le cas, par exemple pour les agents des services hospitaliers – il y a urgence à desserrer les cordons de la bourse pour susciter des vocations, explique la CFDT. « Si le seul plan de carrière proposé, c’est le SMIC, ce n’est pas étonnant qu’on ait du mal à trouver du monde », soupire Loïc Le Noc.
Les exclus du Ségur au menu
Mais d’autres sources de crispations sont attendues. Sur l’inégalité salariale qui persiste depuis la fin du Ségur de la Santé de 2020, notamment. 92500 salariés environ demeurent toujours exclus de l’augmentation de 183 euros acquise à l’issue de l’évènement. Parmi ces retoqués de ce coup de pouce au pouvoir d’achat, des cadres hospitaliers, les personnels des centres de santé et des dispositifs d’appui à la coordination (DAC), mais aussi la majorité des personnels administratifs et des fonctions supports des établissements. Souvent déjà les plus mal payés… « Cette revalorisation salariale doit profiter à l’ensemble des salariés de nos branches, sans distinction. Il n’est pas acceptable que des salariés d’un même établissement, faisant parfois les mêmes missions dans le même secteur, soient moins rémunérés que leurs collègues », tempête Pascal Corbex, secrétaire général de la fédération nationale de l’action sociale FO (Fnas-FO). Des revendications que son organisation entend bien porter à la conférence salariale, de même que ses désidératas concernant l’augmentation des budgets formation, l’amélioration des conditions de travail, la hausse des niveaux en prise en charge pour les structures de l’aide à domicile et… le retrait pur et simple du programme d’économies de Bercy !
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Ne manquerait plus, redoutent les syndicats, que le gouvernement profite de l’occasion pour remettre sur la table le projet de négociation sur une convention collective unique. Celle-là même à laquelle la CGT, FO et Sud avaient opposé une fin de non-recevoir après une année et demie de forcing de la part d'Axess (plateforme patronale regroupant la Fehap et Nexem) et face à laquelle seule la CFDT s'était présentée porteuse d'un contre-projet. « Ce serait la première pierre pour fixer des niveaux d’embauche à 15% au-dessus du SMIC », plaide Loïc Le Noc. Sauf que pour les trois organisations syndicales réfractaires, c’est toujours non. Sauf à généraliser au préalable l’augmentation de 183 euros pour l’ensemble des salariés, seule condition susceptible de les ramener autour de la table des négociations. Ambiance...
A l’issue de la conférence salariale, les organisations syndicales ont prévu de se retrouver en Intersyndicale pour discuter des suites à donner à ce qu’elles décrivent d’ores et déjà comme un échec annoncé. L’espoir, peut-être, de recréer l’unité syndicale de l’époque de la lutte contre la réforme des retraites, voire d’impliquer leurs confédérations pour mobiliser un maximum les salariés autour de leurs revendications.