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Un toit et des soins : social et médical s’associent pour accompagner les réfugiés malades

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À Entzheim (Bas-Rhin), de nombreux enfants jouent dans le hall de l'un des points d'accueil des ukrainiens malades que l'association Arsea a reçus au plus fort de l'affluence de deplacés. 

Crédit photo Aresa
Les deux ne vont pas toujours ensemble, mais l’association Arsea, à Strasbourg, a réussi le pari : réunir les professionnels des secteurs médical et social pour accompagner les personnes malades arrivées d’Ukraine en 2022. Aujourd’hui, elle concentre aussi ses efforts sur les populations démunies atteintes de troubles de santé. Une coordination au cordeau.
 
 

Inventer une filière d’hébergement d’urgence dédiée aux publics malades. C’est à cette expertise nouvelle que les circonstances ont conduit Arsea. Un décloisonnement entre médical et social d’une ampleur inédite pour cette association régionale engagée de longue date dans les champs de l’insertion et du handicap. Dès les premiers jours de la guerre en Ukraine, Strasbourg a été l’un des principaux points d’arrivée des déplacés de guerre : 6 000 personnes sont arrivées dans le Bas-Rhin au cours de la première année du conflit, dont la moitié dès les trois premiers mois. Arsea a été l’un des opérateurs missionnés par l’Etat pour les recevoir, et le seul à s’engager pour les 12 % d’entre eux ayant des problématiques de santé à prendre en charge rapidement – 5 % des arrivants nécessitaient même des soins lourds. Et pour cause : au plus fort de la pandémie du Covid-19, cette association a organisé dans l’urgence l’hébergement et l’isolement des personnes à la rue ou en hôtels de l’agglomération de Strasbourg infectées par le virus. Ses centres ont compté jusqu’à 120 places occupées. Une démarche qui l’a contrainte de mettre en place au pied levé une coopération entre ses travailleurs sociaux volontaires et les médecins et infirmiers libéraux en présence renforcée. « L’expérience nous a révélé que ces personnes en grande précarité pouvaient reprendre soin d’elles grâce à un accompagnement social et médical conjoint », retient Nadia Kechid, directrice des centres d’hébergement spécialisés d’Arsea.

Avec l’accueil des populations ukrainiennes, en mars 2022, Arsea consolide sa méthodologie. Les capacités de son premier centre sont bientôt saturées. L’association en ouvre deux nouveaux. Ils deviennent centres d’hébergement d’urgence et de soins de proximité (CHU-SP). « Parmi ce public ont afflué de très nombreuses personnes avec des pathologies chroniques déstabilisées ou des personnes atteintes de cancer en rupture de traitement », rapporte Laure Pain, médecin et conseillère médicale de l’agence régionale de santé (ARS), co-financeur du dispositif avec la direction départementale du travail et des solidarités du Bas-Rhin. Parmi les arrivants, qui comptaient aussi des personnes âgées ou porteuses de handicap, beaucoup étaient déposées à Strasbourg par des proches qui repartaient aussitôt. « Il fallait délivrer des soins puis pouvoir rapidement renvoyer ces personnes sans repères ni médecin traitant à un domicile adapté. L’enjeu était aussi de ne pas saturer les urgences », ajoute Laure Pain.
 

Accueil des publics démunis

Aujourd’hui, les arrivées d’Ukrainiens ont drastiquement ralenti, même si elles se poursuivent. Mais, forte de son savoir-faire, l’association expérimente depuis mars 2023 avec les services de l’Etat l’accueil des publics précaires signalés pour mise en danger. Parmi lesquels une femme enceinte de triplés contrainte de dormir dans sa voiture à son huitième mois de grossesse ; un bébé atteint d’une maladie auto-immune et sous respirateur, replié avec ses parents dans le hall de l’hôpital ; une personne âgée échouée dans une chambre d’hôtel et voyant son cancer progresser sans traitement… « Nous sommes face à des gens avec de telles pathologies et de tels états de précarité et d’isolement qu’il leur faut impérativement un toit et un environnement attentif pour pouvoir être soignés. Ces personnes ne disposent d’aucun entourage pour les soutenir », résume Danièle Drapier, médecin coordonnatrice du dispositif.

Après l’urgence, le CHU-SP vise à les insérer dans un réseau de soins de proximité. Leur séjour dans la structure peut durer six mois, renouvelable une fois. « Le centre recrée les conditions pour utiliser le droit commun, et donc la médecine ordinaire, et pour gérer sa pathologie en autonomie. Tout ce qui n’est pas possible sans un vrai domicile », dessine Laure Pain. L’équipe se donne deux mois pour que la personne bénéficie d’un médecin traitant. « L’idée est de réfléchir ensuite avec elle à un projet à la fois de soin et de vie. Mettre à l’abri n’est pas suffisant, souligne-t-elle. Un tel projet ne peut se construire que conjointement avec une équipe médicale et une équipe sociale. »

Au CHU-SP, les professionnels médicaux et sociaux interviennent sous le régime du secret partagé. « A leur arrivée, les personnes acceptent par contrat que leurs informations médicales puissent être connues de l’ensemble de l’équipe. C’est la limite de notre accompagnement. Si elles n’acceptent pas, nous ne pouvons pas les prendre en charge. Mais dans la pratique, cela n’arrive pas », explique Nadia Kechid. « Il est important que les informations médicales puissent circuler entre nous pour que les travailleurs sociaux puissent appuyer l’urgence d’une ouverture de droit, défend Danièle Drapier. Je peux toujours réaliser une consultation gratuite. Encore faut-il qu’après la personne puisse avoir une prise de sang, des médicaments. Les travailleurs sociaux doivent donc comprendre les besoins pour adresser leurs demandes au bon endroit. Je joue alors un rôle de conseil pour qu’ils puissent comprendre les diagnostics. » Aux infirmières de vulgariser ensuite au jour le jour les implications concrètes des pathologies.
 

Entre urgences sociales et médicales

Cette sensibilisation du social au médical est immédiatement cruciale pour le fonctionnement du centre : « Une urgence sociale est rare. Nous avons bien trois jours pour la voir venir. En revanche, une urgence médicale peut amener à un décès. Donc il faut que les travailleurs sociaux aient la capacité de comprendre pour ne pas faire de mauvais geste au mauvais moment », expose Bruno Fuchs, cadre intermédiaire du service. « Parfois, ce sont les éducateurs qui vont me rendre attentive à un symptôme que je n’avais pas remarqué », retourne Danièle Drapier. Les gens ne distinguent pas les interlocuteurs. Ils vont aller se plaindre de leur mal de dos à un éducateur et venir me dire à moi qu’ils n’ont pas assez de sous. D’où l’importance de nous informer les uns les autres. »

Le travail en proximité constante depuis des bureaux ouverts et partagés facilite la tâche de l’équipe. La médecin intervient au centre une matinée par semaine. « Dès qu’elle arrive, je peux lui demander de remplir un rapport médical pour une demande d’hébergement adapté, qui doit être solide, illustre Anna Piu, éducatrice spécialisée. Sans cela, la démarche aurait pris deux semaines. Là, c’est fait en une demi-heure et je peux directement envoyer le dossier. » Prises de rendez-vous, communication entre les différents professionnels médicaux et paramédicaux, synthèse et tri des résultats… Très présentes au téléphone, les infirmières coordonnent les parcours de soin de chaque usager. « Elles sont parfaitement repérées dans certains services de l’hôpital. Leur accompagnement et leur coordination rassurent les professeurs hospitaliers tout comme les médecins de ville », met en avant Bruno Fuchs. Le CHU-SP travaille en lien renforcé avec les services hospitaliers et cliniques de cancérologie, de pédiatrie et d’obstétrique.
 

Accompagnement tous azimuts

Pour un public majoritairement allophone et isolé, l’accompagnement physique dans les démarches médicales est au centre de l’action de l’équipe. « Selon le degré de complexité, les infirmières, le traducteur ou une aide médico-psychologique se déplacent aux rendez-vous avec les personnes. À leur retour, une infirmière reprend systématiquement avec elles les comptes-rendus et les ordonnances pour s’assurer que les patients en comprennent bien les enjeux. Tous les documents sont centralisés », détaille Bruno Fuchs. « Les infirmières du centre ont un rôle important d’éducation thérapeutique, souligne Danièle Drapier. Nous accueillons des personnes qui ne prennent leurs médicaments qu’un jour sur deux, alors qu’il s’agit de traitements à vie. Cela prend du temps de casser de telles habitudes bien ancrées. »

>>> Lire aussi ; L’hébergement citoyen, « une solution à mobiliser » selon un rapport du HCR

Qu’il s’agisse pour eux d’une première expérience interdisciplinaire ou d’un engagement de plus longue date, les membres de l’équipe ont intégré que le social et le médical se renforcent l’un l’autre. Point clé de leur succès : des binômes référents infirmière-travailleur social pour chaque usager. « La répartition des tâches est claire, explique Nadia Kechid. A partir du moment où le travail de l’un dépend du travail de l’autre, la coordination s’impose d’elle-même. » Le social et le médical main dans la main ? « Souvent, on a appris au médecin que le social, c’est trop d’empathie qui nuit à la relation patient-médecin. Et dans le social, il y a l’idée que la médecine est une zone dangereuse, qu’on ne sait pas comment ça fonctionne. Ici, on mixe. L’idée est que tout le monde connaisse le travail de l’autre et les enjeux derrière chaque situation », reconnaît Bruno Fuchs, qui centralise un fil d’information personnalisé continu à destination des référents de chaque personne suivie. Une complémentarité source de motivation pour Anna Piu : « Si une personne ne peut pas recevoir de soin, elle n’est pas en état pour que je travaille ses droits ou son projet avec elle. Là, on peut enfin parler d’une prise en charge globale, qui comprend une part sanitaire trop facilement oubliée. »

 


 

Un comité santé-précarité pionnier

La santé des personnes impacte leurs besoins sociaux, lesquels, inversement, impactent la santé… Partant de ce constat, la Ddets (direction départementale du travail et des solidarités) du Bas-Rhin et l’ARS (agence régionale de santé) du Grand Est coordonnent depuis 2019 des actions conjointes, au sein d’un comité santé-précarité qui se réunit tous les mois. Les CHU-SP d’Arsea sont l’un des outils communs vers lesquels orienter les personnes en situations complexes de santé qui peuvent leur être présentées en commission par des acteurs de l’hébergement social comme du soin. Dès 2018, l’accueil dans le département de réfugiés avec des besoins spécifiques de santé, confiés par le HCR (Haut-Commissariat aux réfugiés), avait préfiguré ce partenariat pionnier.


Paroles de pros

« Avec l’expertise de ma collègue infirmière, je sais quelle question poser et quand je dois m’inquiéter ou pas. Dans une structure classique, face à un problème, j’appellerais systématiquement les urgences. »

Anna Piu, éducatrice spécialisée

« Comprendre la complexité du parcours d’accès aux droits sociaux va me permettre de tenir compte des délais administratifs pour anticiper les rendez-vous médicaux. »

Marie-Lou Koch, infirmière-coordonnatrice


Une organisation pluridisciplinaire

Le CHU-SP accueille 60 personnes dans 30 logements tout équipés, d’une à quatre places, accessibles à une mobilité réduite et adossés à des espaces de vie et d’animation collective. En moyenne, la moitié d’entre elles sont suivies pour des problèmes de santé. Pour les accompagner, l’équipe compte trois travailleurs sociaux, trois infirmières – dont la mobilisation à temps plein est une première pour l’association –, un interprète et une aide médico-psychologique, sous la responsabilité d’un chef de service. Leur travail est coordonné lors de trois réunions (une de service, une réservée au social et une dédiée au médical) toutes les trois semaines. La médecin coordinatrice dispense ses recommandations aux équipes lors de son passage hebdomadaire. Les infirmières référentes peuvent aussi avoir des réunions mensuelles avec l’équipe médicale hospitalière de personnes en situation particulière. Le cadre intermédiaire reste en lien quotidien avec la médecin coordinatrice pour tenir infirmières et travailleurs sociaux référents informés des actualités de leurs bénéficiaires. Un pédiatre reçoit également sans frais les enfants à son cabinet. Depuis février 2022, 522 personnes malades ou atteintes de syndrome post-traumatiques ont été suivies, dont 87 enfants, 245 pathologies, 5 hospitalisations à domicile ont été prises en charge.

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