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Semaine de 4 jours : bonne idée ou miroir aux alouettes ?

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En avril 2024, une enquête flash de l’Udes révélait que 75,7 % des dirigeants estimaient que cette organisation du temps de travail pouvait constituer un élément d’attractivité et de fidélisation des salariés. 

Crédit photo Quality Stock Arts - stock.adobe
[MANAGEMENT] Remis sur le devant de la scène, ce modèle de travail alternatif apparaît comme un élément d’attractivité dans des métiers du travail social qui peinent à recruter. Là où la semaine de 4 jours est déjà pratiquée, le bilan est pourtant assez mitigé. Entre satisfaction vis-à-vis d’un dispositif qui offre aux salariés davantage d’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, et déception face à une mesure qui désorganise les services et les équipes.

Dès son arrivée à la direction de l’ONG Singa Global en 2021, Benoît Hamon a lancé le chantier de la généralisation de la semaine à quatre jours sur 35 heures. Logique de la part de celui qui avait fait de la réduction du temps de travail l’un des points-clé de son programme de candidat à la présidentielle en 2017. Mais au-delà de sa seule dimension politique, ce réajustement des horaires de travail au sein de cette association pour l’inclusion économique des réfugiés visait surtout à renforcer la cohésion des équipes. Avec quelques années de recul, un bilan plutôt positif : « Moins de demandes de télétravail, une meilleure implication des salariés, une baisse de l’absentéisme, un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle et, in fine, une meilleure productivité », expliquait l’ancien ministre de François Hollande, en marge du congrès annuel d’ESS France qui se tenait à Paris les 12 et 13 juin derniers.

 

Elément d’attractivité

L’idée de la semaine de quatre jours fait son chemin au sein des structures de l’économie sociale et solidaire (ESS), tous secteurs confondus. En avril dernier, une enquête flash de l’Udes (Union des employeurs de l’ESS) révélait que 59 % des dirigeants estimaient que cette organisation du temps de travail pouvait être compatible avec leur activité et 75,7 % qu’elle constituerait un élément d’attractivité et de fidélisation des salariés. Certains sont d’ailleurs des convertis de longue date : à l’Union départementale des associations familiales du Finistère (Udaf 29), où la semaine de quatre jours est une réalité – quoique facultative – pour les 145 salariés depuis 2005, les bénéfices sont observables : « La possibilité de s’organiser sur quatre jours constitue l’un des principaux éléments d’attractivité qui participe au fait nous ne rencontrons pas de difficultés de recrutement. Associés à d’autres dispositifs QVT (qualité de vie au travail), entre 2016 et 2023, le taux d’arrêts maladie est passé de 8,4 % à 4,2 % », se félicite son directeur, Eric Moreau, qui ne croyait pas vraiment au dispositif lors de son arrivée en 2016.

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Certes, en un peu moins de vingt ans d’existence, cette mesure d’adaptation du temps de travail, qui répondait surtout au besoin de limiter le volume horaire des trajets des salariés, aura nécessité quelques réajustements horaires. Aujourd’hui encore, elle suscite un surcroît de travail chez les managers chargés des plannings, et exige occasionnellement que des salariés en travail à domicile reviennent sur site lors des périodes de creux, en été particulièrement. Mais, globalement, la formule a pris. Au point de devenir pour l’Udaf 29 un avantage concurrentiel en matière de recrutement.

Car c’est justement sur la qualité de vie au travail que se joue en partie le succès du dispositif : « Les évaluations sur la semaine de quatre jours avec réduction du temps de travail démontrent ses vertus en matière de rétention du personnel, de hausse de la productivité et de réduction de l’absentéisme. Tous les indicateurs sont positifs, sauf celui de l’emploi : le partage du travail n’est plus l’objectif comme il a pu l’être dans les années 1990. Aujourd’hui, c’est surtout le bien-être des salariés qui est en jeu », analyse Jean-Yves Boulin, chercheur associé dans le domaine du travail et de l’emploi à l’université Paris-Dauphine. La semaine de quatre jours, source d’attractivité ? C’est bien sous cet angle que Gabriel Attal a encouragé les employeurs à s’emparer du sujet lors de sa déclaration de politique générale en janvier dernier. Sauf que dans son esprit, il était plutôt question de semaine « en » quatre jours plutôt que « de » quatre jours, c’est-à-dire sans réduction du temps de travail (voir encadré ci-contre).

 

Modèle soutenable ?

Au-delà de la querelle sémantique, c’est bien là où le bât blesse. S’agit-il de condenser une semaine de 35 heures – 37,5 heures en réalité si l’on tient compte de la durée hebdomadaire effective du travail en France, selon l’Insee – en quatre jours ou de réduire le temps de travail à 32 heures ? La question, posée notamment par le fondateur de Nouvelle Donne et ancien député européen Pierre Larrouturou – ou la CGT, qui a fait des 32 heures son nouveau cheval de bataille –, a son importance alors que la thématique de la pénibilité du travail s’est imposée dans tous les secteurs économiques.

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A l’Urssaf de Picardie, où l’on a expérimenté la modulation du temps de travail à partir de mars 2023 sur la base du volontariat, les candidats ne se sont pas bousculés face à la perspective de réaliser leurs 36 heures hebdomadaires en seulement quatre jours, soit des journées de travail de neuf heures. « Si la semaine de quatre jours est appliquée sans réduction du temps de travail, elle se traduira par une augmentation du volume journalier du travail », résume Jean-Yves Boulin. Avec, potentiellement ses dangers : « Dans le travail social, passer aux quatre jours par semaine sans réduction du temps de travail quotidien me paraît difficilement soutenable alors que les emplois de ce secteur sont particulièrement prenants sur les plans physique et cognitif », poursuit le sociologue. A contrario, l’exemple d’une expérimentation menée en 2015 en Suède consistant à ramener la durée journalière de travail à six heures dans plusieurs structures sanitaires et sociales a rencontré un certain succès. Mais le coût final de la mesure a convaincu le pouvoir politique de ne pas la généraliser…

Autre élément d’importance : la semaine de quatre jours ne convient pas à tout le monde. Une étude du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), au profit du groupe Adecco et dévoilée en avril 2024, montre que ce rythme de travail est surtout plébiscité par les familles monoparentales (65 %), les jeunes actifs entre 25 et 39 ans (55 %), les habitants des grandes agglomérations (55 %), les femmes (54 %), les professions intermédiaires (58 %) ou les employés (56 %).

 

Désorganisation des services

Pas une panacée universelle, donc. Comme en témoigne cette directrice d’une structure sociale de l’est de la France de quelque 800 salariés où la semaine de quatre jours est appliquée indifféremment depuis 2017 en dépit de la multiplicité de ses activités (petite enfance, établissements médico-sociaux et éducation populaire). Résultat : « La semaine de quatre jours profite surtout aux catégories les plus favorisées : médecins, cadres et salariés du siège. Soit les mêmes qui avaient déjà pu bénéficier des avantages du télétravail », résume-t-elle. Ce qui n’est pas sans créer certaines tensions au sein des équipes. Ainsi qu’une désorganisation des services, notamment concernant l’accueil en crèches avec des journées d’ouverture réduites, au grand dam du public… mais aussi des mairies et des caisses d’allocations familiales qui avaient pourtant accepté de soutenir financièrement l’application de la réduction du temps de travail. Un casse-tête donc. Qui semble à ce point insoluble qu’aujourd’hui, l’hypothèse d’une dénonciation de l’accord instaurant cette adaptation du temps de travail trotte dans les têtes…

« La semaine de quatre jours, ce n’est ni la panacée, ni une martingale. C’est juste une manière rationnelle d’organiser le temps de travail en fonction de la nature de l’activité. Comme trop souvent en France, on veut décliner à l’ensemble de l’économie un dispositif initialement conçu pour l’industrie, pour la chaîne de montage, comme s’il était reproductible tel quel partout ! » soupire un ancien cadre RH de la Macif. En 2000, l’assureur avait été un des premiers à se lancer, adoptant une formule originale de 31,5 heures de travail hebdomadaire sur quatre jours, avant d’y renoncer en 2019 pour se caler sur les 35 heures réglementaires sur cinq jours. L’Udes, de son côté, ne souhaite pas prendre parti dans le débat : « Devant la diversité des situations, nous avons décidé de ne pas faire de la semaine de quatre jours une revendication. Nous avons juste établi qu’il s’agissait d’une piste d’amélioration pour l’attractivité de nos métiers. »


 

Paroles de pros

« La possibilité de s’organiser sur quatre jours constitue l’un des principaux éléments d’attractivité qui participe au fait que nous ne rencontrons pas de difficultés de recrutement. »

Eric Moreau, directeur de l’Udaf 29

« Dans le travail social, passer aux quatre jours par semaine sans réduction du temps de travail quotidien me paraît difficilement soutenable alors que les emplois de ce secteur sont particulièrement prenants sur les plans physique et cognitif. »

Jean-Yves Boulin, chercheur associé CNRS/Paris-Dauphine


Semaine « de » quatre jours ou « en » quatre jours ?

 

1. Semaine de quatre jours sans réduction du temps de travail (« en quatre jours »)

Le temps de travail hebdomadaire initial est maintenu et l’amplitude horaire des quatre journées de travail est donc étendue (arrivée plus tôt et/ou départ plus tard ; pause déjeuner plus courte). Le nombre de jours travaillés est généralement réduit à quatre, mais le format peut varier selon les organisations ou les postes (trois jours et demi, quatre jours et demi, alternance de semaines en quatre et cinq jours…).

 

2. Semaine de quatre jours avec réduction du temps de travail

Le temps de travail hebdomadaire est réduit, sans baisse de salaire. Selon les modèles, la réduction est plus ou moins importante :

→ le passage à 32 h de travail hebdomadaire permet de ne pas élargir l’amplitude horaire des quatre jours de travail ;

→ le passage de 39 h à 36 h s’accompagne d’un changement d’horaires (arrivée plus tôt et/ou départ plus tard), mais limite l’allongement des journées.

 

3. « Temps convenu »

Cette organisation du temps de travail structure les plannings de l’entreprise selon les disponibilités des salariés. Chaque semaine, ces derniers indiquent les créneaux horaires sur lesquels ils peuvent travailler. Toutes les huit semaines, le nombre d’heures de travail effectivement réalisées est décompté, pour permettre d’ajuster le volume d’heures les semaines suivantes (travailler plus ou moins). Deux fois par an, les salariés peuvent réviser leur temps de travail hebdomadaire.

Classification établie par le Crédoc dans le cadre de l’étude réalisée pour le groupe Adecco : « Semaine en quatre jours, horaires flexibles : des formules qui séduisent, mais dont les avantages pour l’ensemble des salariés restent à démontrer ».

>>> Sur le même sujet : Bass : pourquoi le projet d’Axess sur les horaires atypiques fait l’unanimité… contre lui

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