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Management de transition : un exercice d’équilibriste

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Businessman resolves confusing problem

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Crédit photo alphaspirit - stock.adobe.com
Saisir la complexité d’une organisation en crise tout en la mettant en mouvement : telle est la tâche ardue des « manageurs de transition ». Sollicités en urgence, ils doivent associer fermeté, sens de la diplomatie et de l’observation pour identifier les problèmes des structures et tenter de les résoudre.

« Réinventer les orga­nisations. » Après trente années de responsabilités dans des structures sociales et médico-sociales, c’est ni plus ni moins le leitmotiv de Christine Vigne. Après avoir été directrice générale adjointe d’une association de lutte contre l’exclusion, elle s’est lancée dans le management de transition. « Ça me libère du quotidien, de la routine. Changer les lignes de l’intérieur est épuisant », confie-t-elle. Depuis 2018, elle intervient dans des structures en crise pour une durée de quelques mois, le temps de trouver des successeurs à des postes laissés vacants à son arrivée. « Les directeurs craquent, ils s’en vont », assure Christine Vigne, qui a rejoint ainsi cette discrète mais demandée catégorie de manageurs spécialisés. Arriver en pleine tempête, « sans passé ni avenir », lui procure « une grande liberté ».

Le management « de transition », dit aussi « intérim management », vise d’abord à remplacer en urgence le départ d’un cadre, lequel peut être plus ou moins précipité. « Les vacances managériales sont souvent liées à des environnements compliqués. Généralement, on constate des conflits entre équipes, l’absence de cadres intermédiaires », observe Bruno Vidal, directeur des opérations chez MCG Managers. « Le cas standard, c’est le directeur qui a atteint son plafond de verre sur une problématique managériale », abonde Nicolas Martin, fondateur du cabinet DirecTransition, qui confie aussi mener de plus en plus d’interventions en tant qu’administrateur provisoire, à la demande des financeurs.

Diplomatie

Diriger des établissements qui révèlent leurs dysfonctionnements, apaiser des crises, reprendre en main des équipes, réorganiser des services, remettre des pratiques en conformité, voire accompagner des réformes plus profondes : telles sont, pêle-mêle, les missions de ces cabinets qui mettent en valeur leurs capacités d’adaptation rapides à de nombreuses situations. Pour le meilleur comme pour le pire, en fonction de la commande initiale du client. « Dans le cadre d’une analyse de pratiques managériales, on s’était rendu compte que la direction générale avait recruté en parallèle quelqu’un dont la mission consistait à restructurer un service et à renvoyer six personnes qui posaient problème », se rappelle Valère Socirat, directeur de l’Association nationale des cadres du social, laquelle intervient également auprès de structures et propose, à échelle très réduite, ses propres prestations et formations de management de transition.

Mais cette plasticité, qui résulte de la diversité des commandes, renvoie aux conditions concrètes de leur activité. Les manageurs de transition débarquent sur des terrains mouvants. Quand s’engage une mission, « on rencontre l’association pour comprendre le contexte, les enjeux, mais aussi pour saisir ce qu’ils ne nous disent pas ou ce dont ils n’ont même pas conscience », explique Nicolas Martin. « On en découvre toujours plus sur le terrain, ajoute Bruno Vidal. En raison de leur expertise, les manageurs ont tendance à trouver des cadavres dans les placards et des choses qui sont perfectibles. »

Cette imprévisibilité appelle un important travail de diagnostic, établi un temps après le début de la mission. « Cela requiert une vraie capacité d’observation, d’analyse, ainsi que de l’humilité », estime Valère Socirat, qui fait valoir l’importance d’un décryptage poussé des organisations, tant sous l’angle de leur culture que sous celui des jeux de pouvoir qui s’y déploient. Autant d’aptitudes qui nécessitent d’adopter une posture d’ouverture et de dialogue, en multipliant les entretiens et les réunions. Il s’agit non seulement d’établir des relations de confiance mais aussi de libérer la parole, de prendre le temps d’écouter. « De passage, on interroge de manière plus indépendante. Avec le luxe de pouvoir parler à tout le monde », insiste Fabrice Lançon, formateur en management de transition à Espace Sentein, à Montpellier.

Éloignement du terrain

Mais on attend aussi de ces manageurs qu’ils agissent rapidement. « Il convient à la fois de prendre le temps et d’accélérer », poursuit Fabrice Lançon. A l’étape du diagnostic, l’expérience acquise s’avère décisive pour avoir un « œil rapide ». L’appui des manageurs de transition eux-mêmes, via du codéveloppement ou de l’analyse des pratiques, s’impose aussi pour guider la prise de décisions complexes. « Le secteur social et médico-social, comme d’autres environnements, ne supporte pas bien la violence dans l’approche », remarque Bruno Vidal. La fonction requiert de la diplomatie. Quand un cadre ne se trouve pas au bon poste, « il faut savoir lui faire entendre raison », ajoute le directeur des opérations, qui souligne à cet égard l’usage très fréquent de la rupture conventionnelle comme porte de sortie.

Toutefois, l’aptitude des manageurs de transition à faire changer les organisations tient aussi au contexte. « Notre parole pèse un peu plus qu’à la normale, constate Nicolas Martin. Souvent, on peut observer que les crispations se dirigent plus contre une personne que contre le changement en lui-même. Notre position de tiers nous permet alors de nous montrer plus efficients dans la résolution du problème. »

Quelles traces laissent finalement ces manageurs éphémères ? Au-delà de la gestion des affaires courantes et de la résolution des situations les plus graves (maltraitance, agressions, non-respect de la législation), ceux que nous avons interrogés pointent les problèmes managériaux des établissements sociaux et médico-sociaux. « La course à la taille a généré de l’éloignement entre les acteurs du terrain et les équipes dirigeantes. Les professionnels de terrain sombrent dans l’incompréhension totale de leurs directeurs, qui ont leurs propres pré­occupations », déplore Fabrice Lançon. « Notre modèle extrêmement pyramidal a même oublié le principe de subsidiarité. Vous arrivez dans des structures exsangues, qui ont zéro capacité à agir à cause du chef qui n’est pas là », analyse Christine Vigne, citant l’exemple d’une structure où elle recevait « 200 mails par jour » de la part des équipes, signe d’une appétence au contrôle de son prédécesseur. Dans ses interventions, elle travaille « systématiquement sur l’autonomie de chaque salarié et l’interdépendance avec son équipe ». En outre, d’aucuns mettent en cause le profil exclusivement gestionnaire des manageurs actuels issus d’écoles de management. 

Une fonction, plusieurs statuts

Dans un tel contexte, les manageurs de transition se montrent lucides quant à leurs limites. « Les associations sont encore dans cet esprit de l’intérim. Elles n’ont pas toujours bien intégré que le management de transition pouvait être un outil d’accompagnement au changement », remarque Bruno Vidal. Il peine, parfois, à ancrer ses bonnes pratiques. « Il m’est arrivé de mettre en place des comités de direction forts qu’un successeur n’a pas pérennisés, alors que les équipes se les étaient appropriés. » Il n’est pas toujours simple, non plus, de contrer la quête de contrôle des sièges associatifs sur les établissements. « On peut avoir un problème quand les dysfonctionnements ne proviennent pas de l’établissement où l’on intervient mais du siège qui nous y envoie », confie Nicolas Martin. Vous l’écrivez dans le rapport d’étonnement, mais avec toute la nuance qui s’impose pour ne pas fragiliser l’espoir d’un changement », reconnaît ce professionnel chevronné, alors conscient que le sujet lui échappe des mains.

En pratique, les manageurs de transition peuvent intervenir soit en tant qu’indépendants dans le cadre d’une prestation de service, soit directement en tant que salariés de la structure qui les sollicite. Le choix n’est pas totalement neutre : « En cas de plan de sauvegarde de l’emploi, le fait de ne pas être salarié peut poser un problème sur le plan du droit en donnant lieu à des contestations du côté des instances représentatives du personnel », estime Bruno Vidal, de MCG Managers. Toutefois, les différences de pouvoirs entre ces deux statuts sont à relativiser. « La jurisprudence permet désormais à un personnel extérieur non salarié de présider le comité social et économique. Mais on manque un peu de recul », explique Nicolas Martin, de DirecTransition. Au-delà des enjeux juridiques, ces manageurs de transition privilégient l’intervention en tant que tiers. Un statut qui offre, selon eux, une plus grande liberté dans la relation avec les structures. Mais celui-ci peut être jugé coûteux par ces dernières, d’autant que les contrats à durée déterminée sont parfois « mieux reconnus par les financeurs », note Christine Vigne.

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